Il serait simpliste de croire que Martin Léon a trouvé une façon de se réinventer en devenant compositeur de musique de film. Surtout, ce serait mal saisir l’homme, l’amoureux de sons, de la poésie comme de la musique.

« Est-ce que je me suis enfargé dans cet amour des mots qui m’a amené à la chanson ? Il y a assurément de ça dans mon parcours. » Pourtant, Martin Léon rêve depuis longtemps à la composition de musique de film, lui qui a étudié la musique contemporaine à l’Université de Montréal, en plus de réaliser un stage avec le grand Ennio Morricone dans sa vingtaine. Tenter de distinguer trop finement la chanson de la trame sonore cinématographique ne permettrait pas de bien cerner le musicien, chez qui tout est intimement imbriqué, formant un ensemble simple et complexe à la fois.

« Je crois qu’au final, je cherche à saisir les éléments narratifs de la musique, que ce soit à travers un texte ou un film. Je raconte toujours une histoire, à trouver en sons une couleur à ce qui existe entre les mots. Je cherche à habiller l’invisible. »

Alors qu’il est en pleine maîtrise de son art avec Les atomes, son quatrième disque de chansons en 2010, Martin Léon se voit offrir la bande sonore du film Le journal d’Aurélie Laflamme (réalisé par Christian Laurence) et celui de Monsieur Lazhar (de Philippe Falardeau). Depuis, Martin Léon accumule les bandes sonores de film chéries par la critique ou le public : Les êtres chers d’Anne Émond, The Good Lie et Guibord s’en va-t-en guerre de Philippe Falardeau (Meilleure musique originale au Gala du cinéma québécois 2016), Les 3 p’tits cochons 2 de Jean-François Pouliot et Embrasse-moi comme tu m’aimes d’André Forcier. « Tout ça s’est chevauché à un rythme de fou. Si j’y suis arrivé, c’est grâce à mes musiciens, mes acolytes de composition que j’ai connus lors de mes disques, le pianiste-arrangeur Alexis Dumais et le guitariste-arrangeur Hugo Mayrand. »

« Pour moi, un compositeur est présent au mix sonore final d’un film. Il a son mot à dire jusqu’à cette étape-là. Sinon, il est un fournisseur de contenu. »

Martin Léon Composer de la musique de film signale un changement de perspectives majeur pour Martin Léon, proposant ainsi un nouveau regard sur le musicien qu’il est. Il admet être enchanté de se retrouver au service d’une œuvre, au service de l’autre. « En chanson, je prends 90 % des décisions. Et en ce moment, c’est trop pour moi, c’est trop d’attention. » Se cacher derrière un film, une aventure collective, et ne plus être la locomotive a un effet libérateur sur Martin Léon.

Ce passé laisse toutefois des traces et teinte la vision du métier de compositeur par la nécessité d’une identité musicale forte. Léon considère qu’un compositeur de musique se doit de laisser son empreinte sur les histoires qu’il aborde et d’être présent aux différentes étapes sonores de la réalisation d’un film. « Pour moi, un compositeur est présent au mix sonore final d’un film. Il a son mot à dire jusqu’à cette étape-là. Sinon, il est un fournisseur de contenu, chose qui ne m’intéresse pas. J’aime croire qu’un compositeur est choisi pour sa capacité d’offrir un univers précis et signé. Alberto Iglesias avec Almodovar. Alexandre Desplat qui ne fait pas la même musique pour Wes Anderson ou pour Roman Polanski. Ces compositeurs existent et ils m’inspirent. »

Cet été, Martin Léon signe deux trames sonores, celle de la comédie Les 3 p’tits Cochons 2 de Jean-François Pouliot et Embrasse-moi comme tu m’aimes d’André Forcier. Chaque film amène son lot d’expériences qui diffèrent de fois en fois en raison des rencontres et des contextes qui changent, et ce, malgré ce studio maison qui accueille les enregistrements de Martin Léon. À chaque début d’aventure, Léon plonge dans l’univers visuel du réalisateur, telle une éponge. Il lit le scénario, regarde souvent les rushs, se déplace pour voir le tournage et visionne les films précédents. Cette façon de faire s’est avérée essentielle pour Embrasse-moi comme tu m’aimes d’André Forcier, réalisateur singulier, à l’univers cinématographique poétique. Cette immersion complète a permis de diriger Léon vers une direction précise pour ce film qui s’inscrit dans les années sombres de la Deuxième Guerre mondiale au Québec.

Le film Les 3 p’tits cochons 2 de Jean-François Pouliot fut une aventure plus rocambolesque. Approché par le réalisateur après le tournage, Martin Léon travaille d’arrache-pied pour trouver le thème de cette comédie. Après deux mois d’essais-erreurs, Léon, découragé, croît qu’il n’est pas le compositeur que Pouliot recherche. Mais Pouliot lui signale à nouveau sa confiance. Léon poursuit sa quête du thème accrocheur. Lors de sa dernière présentation, Martin Léon fait aussi appel à deux amis compositeurs afin de présenter à Pouliot, dans le secret le plus complet, d’autres thèmes musicaux dont il n’est pas l’auteur. « Je ne savais plus comment me sortir de cette situation. S’il choisissait ces pièces-là, j’allais lui révéler que je n’étais pas son homme, malgré ce qu’il pensait. Étrangement, il a choisi la seule pièce du lot que j’avais composée. Tu ne peux pas savoir à quel point j’étais soulagé. »

Essoufflé par ces contrats qui se sont chevauchés, Martin Léon prend aujourd’hui un temps d’arrêt pour bien faire les choses. Pour se retrouver. Pour écrire. Écrire un scénario à temps perdu. Oui, oui, Martin Léon explore… jusqu’à Noël. S’il n’est pas question de travailler sur un nouvel album solo, il embrassera à nouveau le monde de la chanson dès que l’envie se signalera. « Et je sais que ça reviendra… »

Pour l’instant, il y a le septième art qui a allumé un feu qui brûle encore. Et surtout, il y a la vie, et le temps si précieux qu’il faut pour la vivre. « Mes valeurs profondes fondamentales ne sont pas d’avoir écrit 50 musiques de film et de vendre 350 000 disques. Ç’a déjà été ça et ce n’est plus ça. Sur mon lit de mort, je veux regarder avec fierté les relations que j’ai eues avec les gens autour de moi, je veux être l’homme qui a veillé à sa vie intérieure, je veux nourrir et me nourrir de ce qui est vivant autour de moi, et ce, peu importe la forme de cette vie. Ça ne veut pas dire de partir en voyage. Pas du tout. Ma vie est ici… Je veux embrasser cette nouvelle étape de ma vie avec une réelle disponibilité, et non avec une volonté étourdissante qui empêche de dormir… »

Pour habiller l’invisible, il faut, avant tout, savoir vivre.