« La teinte de cet album, c’est celle de l’amitié », résume une Mara Tremblay confinée dans les Cantons de l’Est. La couleur des retrouvailles, celles avec son vieux complice Olivier Langevin (Galaxie, Gros Mené, Fred Fortin); ensemble, ils forment depuis plus de vingt ans l’une des plus fertiles collaborations de l’histoire musicale québécoise. Ce huitième album, Uniquement pour toi, est l’œuvre d’un duo, assure Mara, auquel s’est joint un nouvel ami : l’auteur, compositeur, interprète et cinéaste Stéphane Lafleur.

Mara TremblayL’album débute avec Je reste ici, une « lettre d’amour à Nashville » où la musicienne a séjourné en résidence d’écriture à l’automne 2018 grâce à la SOCAN. « Un voyage initiatique », comme elle le décrivait au moment de quitter la ville. « J’étais dans une période ultra-fragile, se rappelle-t-elle. Je suis partie toute seule et j’ai trippé ma vie ! Je me suis sentie forte d’y être allée seule, et je me suis sentie faible en même temps », et très remuée d’avoir croisé son idole Gillian Welsh dans la rue, après être allée s’acheter une guitare neuve dans l’est de la ville.

Dans la « Music City », phare de l’industrie musicale américaine au même titre que New York et Los Angeles, « j’ai vu beaucoup de femmes, beaucoup plus qu’au Québec. Des batteuses, des ingénieures de son, des éditrices, y’en a beaucoup dans le milieu. » Mara a profité de l’occasion pour y inviter ses amis Sunny Duval et Marie-Anne Arsenault : « On a jammé ensemble, ça a donné Je reste ici ».

Une chanson qui ne sonne pas du tout country, le style musical associé à Nashville autant qu’aux premiers albums de Mara. C’est même tout le contraire : dès les premiers coups de tambour assénés par Robbie Kuster, on se croirait plutôt aux studios United Western Recorders d’Hollywood dans les années ‘60 avec le Wrecking Crew enregistrant les pistes de Pet Sounds des Beach Boys !

« On savait qu’on voulait l’enregistrer live, avec Robbie et François [Lafontaine, piano] », mais le résultat l’a tout de même surprise. « Tant qu’on n’a pas commencé à jammer la chanson, on ne sait jamais trop où elle s’en va… C’était intéressant de voir cette chanson se développer. Robbie a apporté énormément à l’ambiance. Une fois la piste de drum enregistrée, on n’y a plus touché. On s’est dit : c’est peut-être exagéré, mais on aime ça! » C’est d’ailleurs la méthode de travail privilégiée par Mara et son complice : « En studio, Olivier et moi, on se regarde en se demandant : est-ce qu’on est allé trop loin avec cette idée ? Si la réponse est oui… ben on la garde ! »

« Lorsque j’ai commencé à travailler avec Olivier, il avait 17 ans. Il m’amenait ailleurs, musicalement, je l’amenais ailleurs de mon côté. Je pense qu’on s’est vite compris à cette époque, y’a plus de 20 ans… Et sans avoir l’air de prendre la grosse tête, je dirais que ce qu’il aime en travaillant avec moi, c’est que je le pousse [à ses limites]. Je lui laisse toute la liberté, on se relance toujours la balle. »

Le résultat de cette joute créative est splendide sur Uniquement pour toi, un disque aux orchestrations denses, un disque traversé par l’urgence – « Je suis bonne là-dedans, l’urgence. J’aime juste mettre [sur mes disques] les chansons qui veulent vraiment dire quelque chose », commente Mara -, un disque en montagnes russes, d’abord joyeux et pimpant sur Je reste ici, Si belle et l’électropop de Paris, « la première chanson sur laquelle on a travaillé » et l’une des deux seules qui n’a pas été composée par Mara à Nashville. « J’avais pitché plein de tounes à Olivier, envoyé mes carnets, il a accroché sur celle-là, qui est en fait un collage de quatre chansons différentes dont il a composé le bridge. Celle-là, on l’a faite ensemble; on avait aussi envie d’écrire les paroles ensemble, ce qu’on n’avait jamais fait auparavant. »

« Je n’ai jamais même voulu être chanteuse en tant que telle. »

Puis arrive le creux de vague. On verra demain, une chanson qui craque sous le poids de la vie, écrite lorsque Mara broyait du noir. « Je m’étais toujours donné la mission de finir les chansons sur une note positive, explique Mara, sur l’espoir. Mais est arrivé un moment où j’ai simplement eu besoin d’écrire : ça va pas bien. Ça arrive à tout le monde, après tout… Faut alors juste respirer, prendre ça cool et attendre que ça passe. C’est important que les gens aient une chanson pour se référer à ce mal-être-là. »

Après les tristes On verra demain et Le plus beau des désastres, retour à la lumière avec un duo de compositions signées Stéphane Lafleur (Avec pas d’casque), comme une main tendue par un ami pour la sortir de sa torpeur. « Parfois, j’ai du mal à écrire ce genre de mots là, dit-elle. On dirait que Stéphane, lui, a réussi à trouver cette fraîcheur ». Dans les remerciements du livret, elle le remercie d’avoir « compris mon cœur ».

« Quand Le jour va où tu le mènes arrive ensuite, c’est vraiment le retour du printemps, un nouveau souffle, le bonheur qui s’installe, et ça correspond à ce qui m’arrive depuis dix mois. Y’a quelque chose qui s’est calmé à l’intérieur de moi et ça fait du bien. » L’album se termine avec une des plus belles chansons du répertoire de Mara, Comme un cadeau, écrite pour un de ses fils qui traversait alors une période de dépression : « C’était la chose la plus difficile que j’ai vécu… »

Après plus de trente ans de carrière (déjà?), Mara Tremblay savoure la parution de cet album en dépit de la crise que nous traversons tous. « Reporter sa sortie? On s’est posé la question une fois, admet-elle. Mais, tu sais, je n’ai jamais été un produit, je n’ai jamais fait de la musique pour faire des hits, je n’ai jamais même voulu être chanteuse en tant que telle. L’aspect marketing, ce n’est pas moi. Ma carrière a toujours super bien été même si certaines radios ne m’ont jamais joué, même si je suis restée underground pendant trente ans. »

« Sérieusement, j’ai cinquante ans, crise ou pas, ça ne change rien. Mon seul but est que ma musique se rende aux gens. La tournée ? Je suis rendue à un point de ma carrière où je trouvais ça fou. Ça fait 32 ans que j’ai le cul dans un truck et que je couche dans des motels, ça ne me dérange pas de donner moins de concerts. Là, pour la première fois, je sens que je me repose. »