Higher, le deuxième album de Malika Tirolien, ne sonne comme rien d’autre au Québec. Aux côtés du renommé compositeur new-yorkais Michael League, l’autrice-compositrice-interprète y jette les bases de sa «high soul», un alliage aérien de soul, de jazz, de R&B et de hip-hop.

Malika Tyrolien « Si par ‘’détonner’’, tu veux dire ‘’un son frais qu’on n’entend pas beaucoup ici’’, tu as raison. C’est exactement ça qu’on a voulu faire », répond Tirolien, quand on lui fait part du caractère assez unique de sa proposition. « Avec la high soul, on voulait créer un son original et propre à nous. »

À défaut d’avoir des assises québécoises, ce genre hybride a des racines profondément américaines, comme en témoigne sa résonance avec l’œuvre de Kamasi Washington, Thundercat, Erykah Badu et autres artistes croisant les musiques noires avec une impulsion à la fois planante et psychédélique.

En studio, la high soul est fabriquée d’une manière précise. « On a placé les micros et les instruments d’une manière particulière », explique Tirolien, qui évolue dans le groupe Bokanté avec son complice new-yorkais. « Michael a choisi d’utiliser seulement trois micros pour enregistrer la batterie, ce qui donne un son plus ovale, plus enrobant. Et on a tout enregistré avec une fréquence de 432 Hz, ce qui donne un effet plus naturel que le typique 440 Hz de la musique pop. Cette fréquence est censée nous amener dans un état de relaxation et nous faire connecter avec la nature. C’est assez ésotérique comme croyance – on y croit ou on y croit pas – mais à mon sens, ça s’inscrivait bien dans le concept de l’album. »

Deuxième partie d’une tétralogie consacrée aux quatre éléments, Higher représente l’air. De là son côté planant et ses thématiques spirituelles, qui suivent en toute logique le concept plus terre-à-terre de Sur la voie ensoleillée, un premier album qui évoquait les racines de Malika Tirolien.

Cette fois, c’est « un voyage psychédélique menant de la colère au pardon » auquel nous convie la chanteuse guadeloupéenne. À elles seules, les trois premières chansons laissent présager un parcours émotif assez tourbillonnant. « C’est une suite de trois mouvements. D’abord, y’a la colère, le feu, les envies de revanche sur No Mercy. C’est important de passer à travers ces sentiments pour mieux les relâcher, au lieu de les laisser enfouis. Ensuite, une fois qu’on a dealé avec tout ça, on peut envisager un changement. C’est ça, Change Your Life. Et, enfin, Better, c’est un mantra qui guide ma vie : le mindful thinking. Je choisis volontairement mes pensées pour qu’elles demeurent positives. Sans tomber dans le positivisme toxique, c’est l’idée de rester en contrôle de nos pensées quand ça va moins bien. »

Même si Higher se veut un album d’air, Malika Tirolien y aborde des sujets concrets. Relecture d’un poème de son grand-père Guy Tirolien, Prière attaque de front cette histoire falsifiée (et très blanche) qu’on perpétue depuis des siècles en Amérique. « C’est l’une des plus graves conséquences de la colonisation. Ça devrait être normal d’apprendre et de savoir d’où l’on vient en tant que Noir. On doit être fiers de notre histoire », soutient la Montréalaise d’adoption.

Sur Sisters, elle milite pour une plus grande solidarité entre femmes. « Ça remonte à loin la compétition qu’il y a entre les femmes. En lisant des écrits anthropologiques qui traitaient du sujet, j’ai compris que ça datait de l’époque où on devait essayer de plaire aux hommes et qu’on se faisait compétition pour être protégées par l’homme le plus fort. C’est inscrit dans notre ADN culturel, mais on en a plus besoin ! Dernièrement, je suis contente de constater qu’il y a un peu plus d’unité entre les femmes, notamment grâce à la mobilisation derrière le mouvement #metoo. C’est important de se tenir, car on a encore beaucoup de challenges à affronter. »

Malika Tyrolien Trois ans ont été nécessaires pour la création des 11 chansons de Higher. En studio à New York, Tirolien et Michael League ont peaufiné et arrangé leur direction musicale pendant près de deux ans. Un travail de longue haleine, qui a permis à Tirolien d’en apprendre beaucoup sur elle-même. « J’ai tendance à être perfectionniste, à être trop axée sur le résultat plutôt que sur le processus. J’ai parfois de la difficulté à profiter du moment présent. Heureusement, Michael me tire souvent dans l’autre direction. »

Près d’une décennie après l’avoir rencontrée dans un bar-spectacle montréalais, alors qu’elle faisait la première partie de son groupe Snarky Puppy, Tirolien se dit tout particulièrement heureuse d’avoir trouvé en Michael League un musicien qui la complète aussi bien et qui la fait autant évoluer.

L’an dernier, leur nomination aux prix Grammy avec Bokanté (pour le meilleur album world) a rappelé à Tirolien l’importance de viser l’international plutôt que de se restreindre au marché québécois. « Il y a encore beaucoup de changements à apporter au Québec pour que la musique R&B ou soul soit acceptée. Juste en me cherchant un label ici, j’ai vu que le combat était loin d’être gagné. Je me suis fait dire, texto, que ma musique ne marcherait pas », déplore-t-elle, rappelant au passage qu’il n’y a toujours aucun gala musical québécois qui récompense son genre musical. « Donc en attendant que ça change, je veux quand même me réaliser. Je n’ai pas le choix de viser plus loin. »