Sur Homme-objet, Luis Clavis aborde des thématiques bien de son époque avec sarcasme, auto-dérision et vulnérabilité.

Luis Clavis, Homme-objet, William ArcandAu terme des 15 pistes de ce premier album solo, on reste saisi. C’est qu’on ne s’attendait pas à ce que Luis Clavis, qu’on connait surtout pour ses textes ludiques et son charisme festif au sein de Valaire et Qualité Motel, s’ouvre autant à nous sur Farewell, pièce électro-pop-jazz au fond folk lo-fi qui conclut l’opus. « Quand ton odeur quittera mes vêtements / Il sera sûrement temps que je les brûle », y chante l’auteur-compositeur-interprète avec un ton morne, presque piteux.

« Je voulais me confronter pis faire des affaires plus personnelles. Dès que ça devenait un peu rushant ou simili-gênant, j’y allais. Y’a une estie de beauté d’être dans un band avec des amis d’enfance, mais à un certain moment, ça devient important de se demander ce qu’on peut faire seul », explique Clavis, rejoint dans un café rosemontois, tout près de chez lui.

Ce « certain moment » ne s’était pourtant jamais pointé le bout du nez en 15 ans d’activités avec Valaire. Devenu leader de la formation « un peu par défaut » lors des spectacles, Clavis a eu ce désir de prendre le micro en solo il y a un peu plus de deux ans, lorsque deux des cinq membres de la formation (Tō et Kilojules, alias Tōki) ont pris une pause de quelques mois pour travailler sur l’album de leur bonne amie Fanny Bloom.

« Avant ça, j’avais jamais pensé à ça », assure-t-il. « En tant que band instrumental qui a grandi dans le jazz, on voulait pas que ma voix soit associée à une teinte de frontman. On voulait toujours être bien égal, et ça me plaisait […] Mais quand les gars ont commencé avec Fanny, j’ai eu du temps pour moi. Assez pour me demander : ‘’Qu’est-ce que je fais dans la vie, moi, quand j’ai pas mes bands?’’ Je me suis mis à écrire des tracks pour moi, sans trop me demander quelle forme ça prendrait. »

Clavis a d’abord cherché ce qu’il avait de pertinent à dire. Plus conscient que jamais de sa situation sociale, c’est-à-dire celle d’« un homme blanc, québécois, privilégié et ayant eu une enfance équilibrée », il a stimulé son inspiration grâce au best-seller Libérez votre créativité, ce fameux livre d’autoassistance de l’autrice américaine Julia Cameron. « C’est un livre qui encourage les gens bloqués [à sortir de leur inaction]. Ça m’a enseigné à écrire chaque jour pendant cinq minutes tout ce qui me sortait par la tête, sans juger. À force d’écrire n’importe quoi, y’a des idées, des bouts de verse qui sont sortis. Ça m’a vraiment aidé à trouver une démarche et des thèmes propres à moi, car contrairement aux artistes que j’écoute, j’ai pas vécu de struggle particulièrement inspirant. Je suis un homme blanc, hétéro qui a jamais vraiment connu l’adversité. Même mes parents sont encore ensemble ! »

Malgré son éducation favorable, le Sherbrookois d’origine a réussi à mettre le doigt sur plusieurs bobos de notre époque. Sur l’album Homme-objet, il ironise le culte du paraître et la célébrité instantanée, tout en prenant bien soin de ne jamais se prendre pour un autre et de ne jamais succomber à la critique facile ou trop directe.

« Je me juge et je m’observe… Y’a une belle poésie de la défaite là-dedans », explique-t-il. « J’ai grandi en écoutant du hip-hop, mais au lieu de faire comme la plupart des rappeurs et de me vanter, j’ai choisi le personnage du MC un peu loser qui regarde la vie avec contemplation. J’aime cette idée de valoriser la contemplation, de vivre mes journées sans avoir ce besoin de modifier le monde pour satisfaire mes ambitions. »

« Je me demandais vraiment comment un non-chanteur comme moi allait faire pour enregistrer un album chanté. »

Une façon propre à lui d’incarner la décroissance ? « En vrai, non ! » s’exclame-t-il, en riant. « Je sais que je suis dans le même bateau que tout le monde et je prétends pas avoir LA solution. Mais j’aime l’image de la contemplation, et je crois que ça fait peut-être partie de la solution. Si on montrait à nos kids à observer plus qu’à performer, on aurait sûrement un monde meilleur. »

Cette façon de voir le monde prend forme de manière assez originale sur Cycle délicat, dans laquelle Clavis se met dans la peau de l’homme de maison (presque) parfait. « Quand j’ai écrit ça, je pensais à toute la question de la charge mentale et du surmenage professionnel. Moi, je serais ultra down d’être l’homme de maison, d’être le gars qui s’occupe de tout en attendant sa femme qui revient du travail », confie-t-il, sourire en coin.

Ces thèmes modernes s’agencent tout naturellement à une trame musicale qui l’est tout autant. Appuyé par Tōki à la réalisation, Clavis signe des compositions électro-pop aux ramifications funk et hip-hop. « Beck m’a beaucoup influencé dans la création, surtout son album Midnite Vultures. Cet album-là, c’est un hommage à Prince de la part d’un homme blanc, frêle et pas si sexy. Ce côté qui se veut sensuel avec une twist pas sérieuse, ça me fait triper. »

Par son côté posé et ses élans de nonchalance, la posture vocale de Clavis épouse également cette « twist pas sérieuse ». Le rappeur et vocaliste (qui refuse de se considérer comme un chanteur) a mis du temps avant de trouver le bon ton. « Je me demandais vraiment comment un non-chanteur comme moi allait faire pour enregistrer un album chanté. Tout ce qui me restait, c’était l’honnêteté, celle d’un gars qui assume ce qu’il a […] car je suis loin de pouvoir pousser la note comme le monde à La Voix. Je suis pas mal sûr que j’aurais affaire à quatre sièges non retournés si j’y allais. »

À l’aube de la sortie de cet album, Luis Clavis se dit satisfait, mais pas nécessairement encore prêt à affronter les réactions du public, qui a pourtant bien réagi aux deux premiers extraits, autant relayés dans les radios étudiantes que commerciales. « Ça fait un bout que je me situe entre ‘’OK c’est cool’’ et ‘’c’est le pire album qui a jamais été fait dans l’histoire de la musique’’ » lance-t-il. « Chaque étape est challengeante, et j’aime ça comme ça. »