Ariane Moffatt

Ariane Moffatt

Lorsque le grand manitou des FrancoFolies de Montréal, Laurent Saulnier, a contacté Ariane Moffatt cet hiver pour former Louve, ni l’un ni l’autre ne se doutait de la symbolique que prendrait le concert du groupe 100% féminin lors de l’événement de clôture du festival.

En réaction à la lettre d’opinion écrite par Laurence Nerbonne après un spectacle des Révélations Radio-Canadiennes où elle était la seule fille (« Moi pis mes bros only » publiée sur le site d’Urbania), le vice-président et responsable de la programmation des Francos voulait créer un spectacle « avec pas d’gars », sans pour autant le présenter comme un « show de filles ».

« J’ai accepté sans hésiter », se souvient Ariane. Je me suis retrouvée avec une carte blanche. Je devais monter un house band de filles. Je trouvais ça trippant, c’était pour moi un statement. Ça n’a pas pris de temps, les filles approchées m’ont dit oui. »

Marie-Pierre Arthur, Salomé Leclerc, Amylie, Laurence Lafond-Beaulne et Ariane Moffatt se sont ainsi retrouvées au centre de Louve, un nom révélateur de l’esprit de meute qui anime la formation. « On ne voulait pas appeler ça Les Louves parce qu’on trouvait que ça mettait trop l’emphase sur l’aspect groupe de filles », explique Amylie à l’origine de l’appellation.

Une fois le noyau stable en place, la rumeur s’est répandue. De nombreuses invitées se sont greffées à Louve : Safia Nolin, Klô Pelgag, Frannie Holder, Mara Tremblay, Jenny Salgado, Laurence Nerbonne, Les Hay Babies et autres surprises dévoilées lors du concert présenté le 18 juin 2017, à 19h, sur la Place des festivals.

« Si ça peut faire qu’un gars un peu mononcle se sente mal après avoir fait une joke sexiste du genre « tu joues bien pour une fille », le F.E.M. aura atteint une partie de son objectif », Marie-Pierre Arthur

2017 : l’année du réveil

Or, l’événement a pris un tout autre sens le 1er juin dernier, lorsque le regroupement Femmes en Musique (F.E.M.) a publié une lettre ouverte sur Facebook. Les 135 signataires, tous des femmes issues du milieu musical, y reprenaient le même constat que Laurence Nerbonne avait soulevé l’automne dernier : les filles sont sous-représentées dans le paysage musical.

Amylie, Salomé Leclerc

Amylie, Salomé Leclerc

« Entre chanteuses, musiciennes, auteures-compositrices-interprètes, techniciennes et autres intervenantes féminines du milieu, nous nous entendons toutes pour dire que le sexisme existe bel et bien dans l’industrie de la musique et que la plupart d’entre nous l’avons vécu, à un moment ou à un autre: ne serait-ce que par les préjugés véhiculés quant à nos connaissances de la technique ou de l’équipement, par la remise en doute de notre talent, de notre expérience ou de notre pertinence», souligne la lettre.

Il fallait bien que ça sorte un jour. Président de maison de disques, gérant, producteur, réalisateur, technicien de scène et de studio, musicien accompagnateur et même journaliste musique sont des professions à forte majorité masculines et difficiles à percer pour une femme qui s’y intéresse.

« Je ne pense pas que les gens du milieu sont mal attentionnés, poursuit Salomé Leclerc. Je connais plein de gars qui adorent travailler avec des filles autant sur scène qu’en studio. Je ne crois pas non plus que les programmateurs de festival soient de mauvaise foi, mais il y a des réflexes à avoir en 2017 avant d’envoyer son affiche chez l’imprimeur. Je pense que les discussions soulevées par le F.E.M. aident à réveiller les mentalités. »

Si Salomé Leclerc fait référence aux programmateurs de festival, c’est que le résultat de leur travail est facilement quantifiable. Selon le Journal de Montréal, 27% des têtes d’affiches du Festival international de Jazz de Montréal sont des femmes. Le chiffre passe à 22% pour le Festival d’Été de Québec, 20% pour le Festival de la poutine de Drummondville et seulement 8% pour Jonquière en Musique. Les festivals Diapason à Laval, Grandes Fêtes Telus à Rimouski et Festirame à Alma ont aussi été pointés du doigt sur la page Facebook du F.E.M.

« C’est en voyant les programmations de festivals sortir que le regroupement s’est créé, souligne Ariane Moffatt. Au début, nous étions peut-être une vingtaine à s’échanger des messages privés sur Facebook. Nous commentions avec frustration le manque de filles. À un certain point, on s’est dit que c’en était assez, qu’il fallait sortir publiquement. »

« Les programmateurs n’ont plus d’excuse, explique Laurence Lafond-Beaulne. Selon la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec, il y a presque autant de femmes que d’hommes parmi les auteurs-compositeurs-interprètes recensés. Une toute nouvelle cohorte de femmes sont arrivées dans le milieu musical au cours des dix dernières années. Le talent est là, les chiffres de vente le prouvent. Pourquoi ne se faufilent-elles pas au sommet de l’affiche ? On veut faire évoluer le système. »

Une question d’éducation

Cette nouvelle génération de femmes n’est d’ailleurs pas étrangère au mouvement féministe qui secoue aussi le milieu du théâtre (le regroupement Femmes pour l’équité en théâtre est né en janvier) et du cinéma : ces derniers mois, la SODEC, l’ONF et Téléfilm Canada ont tour à tour pris des mesures pour favoriser la parité homme / femme chez les cinéastes.

« Je pense qu’il y a présentement un engouement pour tout ce qui a trait à la représentation des femmes, analyse Ariane Moffatt. Je vais me faire taper sur les doigts par mes pairs, mais si tu m’avais demandé si j’étais féministe au début de ma carrière, je n’aurais pas osé te répondre. Mais là, il y a tout un mouvement mené par une génération de chanteuses qui ont 25, 30 ou 35 ans et qui ont envie de sensibiliser les gens aux différents enjeux sociaux. Ça se passe dans le milieu culturel, mais aussi dans toutes les autres sphères de la société. »

Laurence Lafond-Beaulne, Marie-Pierre Arthur

Laurence Lafond-Beaulne, Marie-Pierre Arthur

« Si ça peut faire qu’un gars un peu mononcle se sente mal après avoir fait une joke sexiste du genre « tu joues bien pour une fille », le F.E.M. aura atteint une partie de son objectif », avance Marie-Pierre Arthur. Je demandais l’autre jour à mon fils s’il pensait que les gars jouaient mieux de la musique que les filles. Il m’a regardé avec un gros point d’interrogation dans le visage. Pour lui, la question ne faisait aucun sens, car il est habitué de voir autant son père (le claviériste François Lafontaine) que sa mère sur un stage. L’important est qu’on continue de donner l’exemple pour la prochaine génération de filles qui voudront faire de la musique. Tu veux jouer du drum, de la basse ou réaliser des albums ? C’est possible ! »

Selon Amylie, le manque d’exemples féminins forts lui a nui lorsqu’elle a amorcé sa carrière musicale il y a 10 ans. « J’ai dû traverser plusieurs étapes pour être capable d’assumer ma place parmi les gars avec qui je travaillais. Ça m’a pris du temps avant d’avoir la confiance pour réaliser mon propre album (Les Éclats lancé l’an dernier). Juste pour assumer mes choix musicaux et dire à un batteur ce que je voulais comme rythme m’a demandé de mettre des culottes que je ne croyais même pas avoir. Le syndrome de la gêne et de la timidité, je ne sais pas d’où ça vient, mais c’est un problème qui suit les femmes, qu’on soit en musique ou non. Et quand on veut prendre notre place, on se fait dire de prendre notre trou. Si on parle fort, on se fait traiter d’hystérique. La peur de se faire juger peut donner le goût de rester dans son coin. Plus il y aura de femmes qui prendront leur place en musique, plus les mentalités évolueront. »

Éveiller les consciences, changer les réflexes, donner l’exemple aux générations futures… Visiblement, le F.E.M. a d’abord un rôle d’éducation. Quelles seront ses prochaines actions ? « Une discussion entre nous s’impose », rétorque Ariane Moffatt en faisait allusion à la première grande réunion que tiendra le regroupement le 21 juin au Lion d’Or. « On verra ce qui sort de là, mais il devrait y avoir des actions concrètes. »

D’ici là, le concert de Louve prévu trois jours plus tôt aura des allures de manifeste. « D’après ce qui se dégage des répétitions, on semble avoir envie de rocker, pressent Marie-Pierre Arthur. Il y a un côté rock brut et presque grunge punk qui nous anime. Je ne pense pas qu’on sera sage sage. »

Risque-t-on de voir Louve sur scène en dehors des FrancoFolies ? « Pour l’instant, il n’y a rien d’autre de prévu, révèle Ariane. Mais disons que ce serait dommage de s’arrêter après un seul concert. »

À voir la détermination des cinq protagonistes, gageons que Louve n’est pas près de se taire.