L’Acadie est reconnue pour son foisonnement de musiciens exceptionnels, qui savent tailler leur place au pays et à l’international. Populaire chanteuse et choriste favorisée par les Zachary Richard, Roch Voisine, Luc De Larochellière, Richard Séguin et Robert Charlebois, notamment, Lina Boudreau, née au Nouveau-Brunswick mais Québécoise d’adoption, entame au milieu des années 90 une carrière solo avec Plus jamais la mer, suivi en 1999 par Femme de l’eau. La compositrice y exploite ses découvertes musicales faites à l’étranger au cours de ses nombreux voyages. Parallèlement, la polyvalente artiste poursuit sa carrière de choriste, notamment au cinéma (L’homme invisible à la fenêtre, Les Triplettes de Belleville, La ferme de la prairie) et sur scène (Starmania, entre autres).

Paru début avril, son plus récent et 5e album, Si fragile univers, comprend 12 titres, dont les musiques pop teintées de soul, de jazz et de blues sont presque toutes signées Lina Boudreau. Pour les paroles, elle s’est entourée d’auteurs consacrés tels Zachary Richard, Calixte Duguay et Marc Chabot, ainsi que de Francine Hamelin, Joseph Edgar (qui lui a offert « 366 jours »), Stéphane Côté (avec qui elle coécrit trois pièces) et Dominique Owen. Un tout nouveau-venu, Harris Schper, complète l’équipe.

« À mes débuts, j’écrivais des textes et j’ai même gagné un prix pour ma chanson “Tour d’Ivoire”, mais j’ai délaissé l’écriture quelque peu par la suite, explique-t-elle. Jeune, lors de ma participation au Festival international de la chanson de Granby, on m’avait conseillé d’être interprète plutôt qu’auteure, et cette seule remarque a ébranlé ma confiance. J’ai poursuivi ma carrière à titre de chanteuse et choriste, mais sans jamais abandonner complètement l’écriture. »

« J’ai poursuivi ma carrière à titre de chanteuse et choriste, mais sans jamais abandonner complètement l’écriture. »

Son nouveau projet a connu des débuts un peu particuliers. Tout d’abord, elle pensait faire un album de chansons d’autres auteurs-compositeurs et a travaillé en ce sens pendant au moins six mois. Puis, à la suite de sa rencontre avec Réjean Bouchard, coréalisateur et arrangeur de Si fragile univers, l’album a pris une toute autre tournure. « Il m’a poussée à me servir de mes compositions originales. Nous avons travaillé une bonne année sur l’album, entre mes tournées aux États-Unis et en Europe. J’ai approché des auteurs que je connaissais ou que j’admirais avec mes musiques, mes idées. On se rencontrait, on partageait un moment, on discutait de mon parcours. Je laisse beaucoup de liberté aux auteurs bien sûr, mais ils veulent me connaître pour que leurs paroles collent à ma musique et à moi comme interprète. Après tout, je dois les défendre, ces chansons! »

Comment se construit un album? « On cherche un fil conducteur. Au final, on avait une bonne vingtaine de pièces et on a même dû en mettre de côté. Ce sont des choix difficiles. J’en ai gardé pour mes spectacles, pour d’autres albums. On a finalement décidé que le fil conducteur de l’album, ce serait la force, la résilience de l’homme malgré la fragilité de l’univers. C’est un thème qui me touche beaucoup. D’ailleurs, la chanson-titre m’a été inspirée par la grande marche montréalaise pour le Jour de la terre, qui a été suivie d’un spectacle sur le Mont-Royal. J’étais littéralement sur une table de massage lorsque les premières paroles et notes me sont venues. Par la suite, Dominique Owen, qui avait écrit sur mon 2e album, a complété la chanson. »

Trois titres sont coécrits avec Stéphane Côté, dont Lina admire « la plume sensible ». « On a fait des sessions intensives et ce fut un bon mariage ! » Elle a d’ailleurs d’autres projets avec lui. D’heureux hasards ont aussi enrichi l’album : « J’avais croisé Marc Chabot à Petite-Vallée et ça faisait des années que je voulais collaborer avec lui. Je lui ai envoyé la musique de ma chanson “Au présent”, mais une fois le texte écrit, je trouvais le tout trop mélancolique. J’ai réécrit une nouvelle musique sur ses paroles. Quant à “Tout le monde”, j’avais écrit un bout de texte en anglais (“Everybody”). Marc est parti de l’idée, mais c’est un texte original, pas une traduction. »

D’autres heureuses rencontres? « Francine Hamelin vit dans les Laurentides tout près de chez moi, je la croisais au café. J’aimais son travail, je lui apporté mes musiques et elle a choisi celle de “Parcours”. Harris Schper, un ingénieur de son, je l’ai croisé au studio lorsque j’enregistrais “Shine” de Zachary. Ça l’a inspiré, il a écrit “Pack It Up” en quelques heures. J’ai approché quelques personnes pour la traduire, mais dans le fond je la trouvais belle comme ça. C’est la 2e chanson en anglais de mon album. »

Et il y a ses compatriotes Calixte Duguay, qui avait déjà collaboré à une chanson devenue un classique acadien et Joseph Edgar, croisé à la Francofête de Moncton. « Je sème des graines, je dis aux auteurs que j’admire que j’aimerais collaborer un jour, et un jour, ça se produit! »

L’aventure de Si fragile univers l’a visiblement stimulée et cela à plusieurs niveaux. « D’abord, je me suis remise au piano. Puis, j’ai appris à me servir des logiciels d’écriture, je peux faire mes propres maquettes, c’est pratique! Le milieu change, tout est transformé. J’ai voulu oser, me dépasser, l’épanouissement artistique ça veut dire avoir des projets, aller plus loin. Ça me garde vivante et actuelle. Je me vois comme un vin qui murit, qui prend de la force. J’envisage maintenant d’écrire des musiques et de coécrire des textes pour d’autres artistes, tellement ça m’a stimulée, cet album. On me dit : on ne t’a jamais vue aussi heureuse, aussi sereine. On a sauté par-dessus les barrières, j’ai un sentiment d’accomplissement. »

Et l’avenir de l’industrie dans tout ça? « J’essaie de voir le côté positif. On sait que la vente d’albums est en crise. On est dans la transition, la technologie avance plus vite que la mise en place de la tarification. Mais lorsqu’on donne des spectacles et que les gens viennent te voir, ils ont moins le goût de pirater ta musique. D’ailleurs, même si l’album est en vente sur les plateformes numériques, j’ai insisté pour sortir un bel objet, avec la magnifique illustration de Caroline Hamel. On se fait dire que les gens n’achètent plus de CD, mais lorsqu’ils voient ce bel album et qu’ils ont aimé le spectacle, ils l’achètent! »

À venir? « J’ai ouvert la porte à l’inspiration, tout est possible!, » conclut une Lina Boudreau radieuse.