Lil Berete est un jeune vétéran. Nous avons discuté avec le rappeur torontois quelques jours avant son 20e anniversaire à propos de la version de luxe de son plus récent « mixtape », Icebreaker 2 (lancé le 9 avril 2021). « Vous pouvez vous attendre à une œuvre bonifiée de la part de Lil Berete, aucun doute », dit-il au sujet de la différence entre cette version et la version originale parue il y a quelques mois. « Mon “mixtape” originale était carrément une explication de ce que j’ai vécu, de ce que je vis chaque jour. La version de luxe est totalement axée sur les “vibes”. Mon auditoire est beaucoup dans la rue, c’est sûr, mais ce ne sont pas des hymnes à la rue. Les versions de luxe, je les ai plus pensées pour les clubs. Je veux que chacune de ces pièces soit un “hit” dans les clubs. »

Icebreaker 2 s’inscrit dans la foulée d’une série de simples que Lil Berete a lancés au cours de la dernière année et qui ont cumulés plus de 50 millions de « streams », dont 20 millions uniquement sur YouTube. Et après plusieurs simples à l’échelle nationale et internationale avec la nouvelle génération d’artistes britanniques – Loski, Nafe Smallz, Headie One, Deno –, Lil Berete a réellement solidifié son statut d’artiste international.

Icebreaker 2 est la suite, nominalement, de Icebreaker, son mixtape précédent paru en 2018 alors qu’il n’avait que 17 ans. À l’époque, le MC originaire du quartier Regent Park de Toronto était sous contrat avec la légendaire maison de disque XL Recordings connue notamment pour avoir mis sous contrat et lancé Adele vers le statut de super vedette sont elle jouit aujourd’hui. Icebreaker 2 est cependant un projet indépendant, puisque ses liens avec XL ont été rompus, ce qui l’a obligé à revoir ses perspectives.

« J’ai appris à garder mon calme », dit Lil Berete. « J’ai appris à économiser mon argent. Quand je suis sorti de mon contrat, j’ai dû m’adapter à une toute nouvelle vie. Un peu comme si j’étais emprisonné et que je redécouvrais ma liberté… J’ai appris à être en contrôle et concentré. Mais je n’ai jamais arrêté de faire de la musique. J’ai appris plein de choses sur l’industrie, notamment le fait d’être propriétaire de tes bandes maîtresses. J’ai appris des trucs que personne ne sait, mais je ne vais pas donner ces conseils gratuitement. Tout ce que je sais, c’est que je sais ce que je fais quand je suis dans l’instant présent. »

“Mon “hood” au complet me voyait comme un Dieu, mais j’ai des problèmes personnels et financiers, comme tout le monde”

Cette notion d’être dans le moment présent se reflète également dans le processus créatif de Lil Berete. « Il est plus naturel, plus à jour », explique-t-il. « Des fois j’écris un truc et quand je mets un “beat” dessus deux ou trois semaines plus tard, le sens du texte a déjà changé pour moi… Mais si je vais en studio aujourd’hui et que je dis ce que j’ai à dire aujourd’hui, je vais réaliser, quelques mois plus tard quand je vais réentendre ce morceau, que j’étais en colère ce jour-là. Je me souviens de la journée où j’ai enregistré cette chanson. À l’opposé, si j’écris un truc une journée, mais que je ne vais en studio que deux, trois, quatre ou cinq jours plus tard, je ne serai plus nécessairement dans le même état d’esprit. »

C’est donc pour cette raison que le processus d’écriture de Lil Berete a changé : il a pratiquement cessé d’utiliser son appareil mobile – ou même un stylo – pour écrire ses textes et il a pleinement confiance que cela l’a aidé à devenir un meilleur auteur-compositeur. « Tu sais comment un chanteur peut parfaire sa voix? » demande-t-il de manière purement rhétorique. « J’ai eu le même sentiment. Je ne savais pas quel genre de rappeur je voulais être, je ne savais pas si je voulais être un gars “straight” ou un de ces rappeurs avec une voix dingue. Bref, j’ai trouvé ma zone de confort. »

Sur Icebreaker 2, la voix souvent modulée de Lil Berete tricote sur des morceaux comme ses récents simples « War Ready » et « Painallgo », c’est-à-dire avec un sens de la mélodie qu’il dit retenir de sa mère, Cheka Katenen Dioubate, une chanteuse Djeli de la Guinée dont la culture mandingue encourage l’héritage générationnel de la musicalité. « Je ne pense pas à la mélodie », dit Lil Berete. « Les mélodies me viennent naturellement. Ma mère était chanteuse, elle faisait partie de la tradition griot, alors les mélodies sont déjà toutes là. Plein de gens pensent que j’ai toutes ces mélodies hallucinantes, sauf qu’ils ne comprennent pas vraiment ce que j’essaie de dire. Quand t’as comprris ce que je veux dire, le “feeling” change complètement. »

Dans sa musique, Lil Berete fait preuve d’une fierté et d’une loyauté farouches à l’égard de ses amis du quartier de Regent Park, le plus ancien quartier de logements sociaux du Canada, dont les habitants ont été historiquement marginalisés de manière systémique et ont récemment été confrontés au grand bouleversement de la gentrification. Par conséquent, le jeune rappeur sait que même sa capacité passée à décrocher un contrat de disque au Royaume-Uni et à tourner des vidéos à Saint-Vincent est tempérée par une réalité qui se reflète dans sa musique et qui le pousse à persévérer.

« J’ai l’impression d’être le mec qui revient avec une toute nouvelle perspective, je leur donne espoir qu’eux aussi peuvent y arriver », dit Lil Berete au sujet de son retour dans le quartier après ses nombreux voyages. « Sauf que quand je suis rentré après tout ça, tout le “hood” me voyait comme un Dieu. Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que j’ai des problèmes personnels et financiers, comme tout le monde. Sauf qu’ils ne voient pas tout ça. C’est dur, des fois, quand les gens te voient comme LE mec, mais que t’es pas encore LE mec. »