Les Cowboys Fringants lancent Octobre, leur neuvième album studio en vingt ans de carrière. Le groupe a beau avoir atteint le statut de vétéran, ses membres n’entendent pas vieillir peinards dans le confort de leur banlieue.

Ça se passe dans une école secondaire de l’Assomption au milieu des années 90. Jérôme Dupras est la mascotte de sa promotion. Chaque jour, le jeune bassiste arpente bruyamment les couloirs, offrant d’intenses câlins aux filles comme aux garçons. Les élèves sont au courant: faites gaffe, on ne sait jamais quand Dupras surgira de nulle part pour vous prendre dans ses bras. Tous connaissent également son groupe country humoristique parce que le guitariste Jean-François Pauzé et la violoniste Marie-Annick Lépine, aussi de la formation, ont étudié à la même école.

Ce jour-là, Jérôme s’approche de moi tout sourire pendant la récréation. Je me prépare mentalement à recevoir un hug.

« Olivier, on se cherche un batteur pour les Cowboys Fringants. On jamme vendredi soir. T’as envie de jouer avec nous? »

Nourri au grunge de Weezer, Nirvana et Hole, le batteur que je suis à l’époque trouve le country ringard. Les roulements de caisse claire rapides et saccadés que commandent les compositions des Cowboys m’apparaissent complexes. La réponse est immédiate: « C’est gentil, mais non merci. »

« Je crois que notre retour aux chansons engagées n’est pas étranger au fait que nous soyons maintenant tous parents », Karl Tremblay

Cowboys Frignants

Vingt ans plus tard, les Cowboys Fringants ont lancé neuf disques, vendu près d’un million d’albums, remporté 11 Félix et multiplié les tournées au Québec et en Europe. Assis en face du groupe dans les bureaux de la maison de disques La Tribu, je reviens sur cette offre qui aurait peut-être changé ma vie. « On connaissait deux batteurs à l’époque : Dominique Lebeau et toi », se souvient Jérôme. « L’un de vous deux a accepté l’invitation, et je ne crois pas qu’il ait regretté son choix même si nos routes se sont séparées depuis. »

À l’aube de la quarantaine, les musiciens du quatuor complété par le chanteur Karl Tremblay sont des vétérans. « Pas de doute, quand un groupe a connu l’âge de la cassette, c’est que ces membres sont des vétérans », rigole Tremblay en faisant référence à 12 Grandes Chansons, la première cassette des Cowboys parue en 1997. « Mais Jaromir Jagr prouve qu’on peut être de bons vétérans et se démarquer parmi les jeunes », lance Jérôme Dupras.

Né pour durer

On a beau chercher, il y a très peu de groupes québécois (sinon aucun) qui ont fait carrière pendant 20 ans, sans interruption, tout en maintenant son succès populaire et critique. Selon le bassiste, « une bonne partie de cette longévité est due au public qui est demeuré fidèle au cours des années. C’est facile de poursuivre quand il y a une demande », et ce autant au Québec qu’en Europe, où le groupe se produit une douzaine de fois par année. « Là-bas, on joue dans des salles de 1500 à 6000 spectateurs, explique Jean-François Pauzé. On est chanceux, c’est comme si on était des rockstars. On arrive en tour bus dans les plus grosses villes pour jouer dans les plus grosses salles. Et ce sans aucune aide des radios commerciales. Ce n’est que du bouche-à-oreille. »

D’après Karl Tremblay, le groupe obtient ce succès, car il ne s’est jamais installé en France comme le font plusieurs Québécois qui tentent de percer le marché européen. « Si on tournait là-bas six mois par année, c’est certain que les shows seraient plus petits parce qu’il y en aurait plus. On préfère y aller intensément pendant deux semaines. On se laisse désirer même si c’est pas vraiment voulu. Avec nos familles, on s’éloigne pas trop longtemps de la maison. Ça aide aussi à la longévité du groupe. »

Autre clé du succès: aucun membre ne porte le poids du groupe sur ses épaules puisqu’il n’y a pas d’auteur-compositeur-interprète mis à l’avant-scène. « Jean-François écrit les tounes, et moi je les chante. Comme on a besoin l’un de l’autre, il ne peut pas y avoir d’égotrip. Chacun connaît son rôle.»

Or la situation n’a pas toujours été aussi harmonieuse. À l’époque de Break Syndical en 2002, les Cowboys sont jeunes, fougueux et impulsifs. Les rôles sont mal définis et chacun tire la couverte de son côté pour briller davantage lors des sessions d’enregistrement. Marie-Annick Lépine: « C’est avec le temps qu’on a compris les forces et le rôle de chacun. Même que pour le nouvel album, on a voulu évoluer davantage en faisant appel à des réalisateurs externes pour la première fois (Gus Van Go et Werner F). Ils m’ont appris à travailler davantage mes arrangements en fonction de la chanson et non selon mes réflexes ou mes goûts personnels. »

Maintenant basé à New York, l’ex Me Mom and Morgentaler Gus Van Go est surtout reconnu pour ses réalisations rock (Trois Accords, Vulgaires Machins). On aurait difficilement pu prédire son arrivée dans le paysage country des Cowboys Fringants. « On voulait sortir du Québec, explique Jean-François Pauzé. Ici tous les réalisateurs de disques connaissent notre son. Et s’ils ne nous connaissent pas, ils ont une idée préconçue de notre musique. C’est pour ça qu’on voulait travailler avec Gus. Il ne connaissait rien du groupe. Ça nous faisait du bien sur le plan sonore .»

Vrai que Les Vers de terre surprend par ses références tex-mex. Idem pour le blues hypnotique de Mon Grand-Père ou la finale pink floydienne de Pub Royal. « Il faut dire qu’on a eu beaucoup d’aide de notre batteur Pierre Fortin pour peaufiner les arrangements », ajoute Marie-Annick.

Est-ce dire que le nouveau batteur de service (quelques musiciens se sont succédé depuis le départ de Dom Lebeau) a pris une place plus importante que prévu? « Il a pris la place qu’on souhaitait. On lui a donné carte blanche pour la section rythmique, et ses idées ont grandement influencé nos chansons. La première pièce du disque, Octobre, était d’abord une balade. Il a proposé d’accélérer le rythme et c’est ce qu’on a gardé sur le disque. »

Donneur de leçon?

Si la formation poursuit son exploration musicale, les fans ne seront pas dépaysés par les textes de Jean-François Pauzé. Savoureux lorsqu’il met des personnages en scène (Marine Marchande, La Dévisse), Pauzé signe également quelques-uns des textes les plus engagés du répertoire fringant. Le confort dans lequel vit notre société individualiste passe au tordeur. À croire que le Québec moderne n’a pas changé d’un iota depuis En Berne.

« Je trouve ça triste de constater le manque de projet et l’inaction de notre société, déplore Pauzé. Au lieu de se rassembler, l’individu vit dans la consommation. Comme si sa croissance passait par l’achat infini. C’est peut-être de la nostalgie des années 60 et 70, mais j’aurais envie de vivre dans une société soulevée par des projets porteurs, notamment en environnement, où le Québec a tout pour devenir un leader mondial. »

Cowboys FrignantsCe fameux confort engourdissant ne guette-t-il pas les Cowboys Fringants, eux-mêmes parents et majoritairement banlieusards? « Je ne nous exclus d’aucune chanson de l’album, avoue le compositeur. Oui, je vis confortablement, et je ne crois pas que je serais prêt à sacrifier tant que ça mon confort. Contrairement à ce que certains pensent, je ne suis pas un donneur de leçon. Nous sommes les citoyens d’un pays occidental, nous vivons dans le confort. Mais ça ne nous empêche pas de réfléchir à l’avenir. »

À sa défense, le groupe maintient son engagement dans la Fondation Cowboys Fringants qui contribue au reboisement de nos forêts depuis bientôt 10 ans. Pour Jérôme Dupras, président de la fondation, le constat est clair: « Le 21e siècle est davantage celui des villes que celui des provinces ou des nations. Comme il n’y a pas de projet de société ni à Québec, ni à Ottawa, c’est à l’échelle communautaire que ça se passe. C’est le milieu urbain qui reprend le flambeau alors qu’un paquet d’initiatives citoyennes rendent nos villes plus agréables. »

Suite à un concert-bénéfice présenté en avril dernier, 10 000 arbres ont été plantés dans la nouvelle forêt urbaine du Centre de la Nature de Laval grâce aux Cowboys. « Karl est revenu de l’inauguration la larme à l’œil », révèle Marie-Annick. « Cette forêt, elle va grandir au même rythme que mes enfants, explique Karl. Je vais pouvoir les amener là dans 20 ans et leur montrer ce que leur père et sa gang ont fait. D’ailleurs, je crois que notre retour aux chansons engagées n’est pas étranger au fait que nous soyons maintenant tous parents. Quand on parle de changements climatiques en 2050, ça parait loin jusqu’au jour où t’as des enfants. Ils auront mon âge en 2050. Quel monde leur laisse-t-on? Est-ce qu’ils auront les mêmes possibilités que nous? »

Tel un vétéran dans la chambre des joueurs, Les Cowboys Fringants s’imposent de par leur assurance et leurs actions concrètes sur le terrain.

Voir un extrait de l’entrevue qu’ont accordé les membres des Cowboys Fringants à notre journaliste Olivier Robillard Laveaux :

cowboysfringants.com