Jenie Thai ne panique pas… pour le moment.

Comme essentiellement tous les musiciens canadiens qui ont vu leur gagne-pain décimé quand l’industrie de la musique en direct s’est effondrée en raison du confinement provoqué par la pandémie de COVID-19, la célèbre pianiste blues s’est mise en mode survie et elle vit au jour le jour.

Jennie Thai

Jennie Thai

L’une des solutions qu’elle a trouvées pour joindre les deux bouts est un concept qui remonte aux origines de la musique classique : le mécénat. Dans sa version moderne sous forme d’application, il s’appelle Patreon. Les fans de Thai qui souhaitent la soutenir peuvent le faire par l’entremise d’un don mensuel variant entre 1 $ et 300 $ et ils reçoivent en retour des contenus créatifs exclusifs. Cela peut prendre la forme de musique inédite enregistrée en même temps que son album Night Fire et aller, pour les dons les plus importants, jusqu’à un concert privé sur Zoom.

« J’ai décidé de me tourner vers Patreon parce que j’ai réalisé très rapidement, au début de la pandémie, qu’il n’y aurait plus de revenus pendant qui sait combien de temps », disait Thai récemment. « J’ai des fans très loyaux, alors j’ai décidé de voir ce qui aller se passer si je transposais ma carrière en ligne. »

Thai dit que cette nouvelle aventure est « un périple intéressant » et elle admet qu’elle a dû apprendre plein de choses en lien avec les différentes technologies et aussi avec l’engagement de son auditoire.

Elle compte aujourd’hui 44 abonnés à sa page Patreon — est-ce suffisant pour subsister ? « Non », dit-elle en riant. « Ça me rapporte environ 900 $ par mois, ce qui est quand même incroyable. C’est de l’argent qui me donne un bon coup de pouce et je suis constamment à la recherche de nouvelles idées. »

Thai affirme sans ambages que la prestation canadienne d’urgence du gouvernement fédéral a été une véritable bouée de sauvetage. Elle affirme être privilégiée du fait que son fiancé, Andrew Scott, est un batteur de session très demandé.

Thai, qui devait partir en tournée avec Downchild cet été, espère que le prix des loyers à Toronto n’obligera pas Scott et elle à travailler en dehors de l’industrie de la musique. « C’est le seul boulot qu’on a eu au cours des 10 dernières années », dit-elle.

Julian Taylor

Julian Taylor

Julian Taylor, qui lançait récemment The Ridge, comprend la situation de Thai. Il s’est lui aussi récemment placé sur Patreon, mais il se concentre surtout sur les diffusions en continu en direct.

« Quand l’album est sorti, j’ai soumis ma candidature pour le programme Canada en prestation du Centre national des arts et Sirius XM, et ç’a fonctionné », raconte Taylor. « Ils m’ont permis de mettre en place un système de pourboires via GoFundMe ou PayPal, ils m’ont engagé pour donner une prestation sur ma propre page Facebook et j’ai ainsi pu recueillir des pourboires durant ma prestation. »

Taylor affirme qu’il a engrangé moins en pourboire que son cachet habituel, « mais c’est viable », affirme-t-il avant d’ajouter que les sommes que les gens paient pour le regarder donner une prestation en ligne ont diminué graduellement.

« Je pense qu’on ne peut aller au puits qu’un certain nombre de fois, et c’est pour ça que j’ai ralenti la cadence », explique Taylor qui, outre une récente prestation devant 500 personnes dans un ciné-parce dans le cadre du RBC Bluesfest d’Ottawa, a donné de nombreuses prestations dans le cadre de festivals virtuels qui ont remplacé le Mariposa, le Hillside et tant d’autres. Il a également commencé à percer du côté de certaines publications américaines en leur offrant d’être l’hôte de concerts virtuels où il en profite pour promouvoir son concept de pot à pourboire. Il admet toutefois que la seule chose qui le garde réellement à flot, c’est son travail d’hôte de l’émission du retour sur les ondes de la station de radio torontoise ELMNT-FM.

Le Torontois Mike Evin est également retourné à la source en ce qui a trait à son approche en ligne : le pianiste donne des leçons de piano, mais il songe à élargir ses activités. « Je vais me diversifier et donner des cours de création de chansons ; je pense que je vais appeler ça “Songwriting with Mike” », dit-il. Evin admet d’emblée que donner des cours sur Zoom est tout un défi.

Mike Evin

Mike Evin

« Il y a un délai et c’est donc impossible de jouer de la musique ensemble sur Zoom ou une autre plateforme », explique-t-il. « Quand tu es physiquement avec l’autre personne, tu peux lui faire la démonstration de quelque chose, jouer ensemble et vraiment “viber” ensemble. »

Mais outre les contraintes technologiques, Evin aime la portée potentielle de leçons en ligne. « Je pourrais travailler avec n’importe qui n’importe où dans le monde, il n’y a aucune limite de ce côté », dit-il. « Tu n’es pas limité aux gens qui t’entourent par ton emplacement géographique. C’est ce qui m’a permis d’avoir la confiance de me dire que je n’avais pas à travailler pour l’entreprise de quelqu’un d’autre : je peux utiliser mes contacts et mes fans pour faire avancer ma propre musique en tant qu’auteur-compositeur-interprète. »

Quant au domaine du multimédia — ce qui inclut les films, la télé, les jeux vidéo et la publicité —, Michael Perlmutter, fondateur de l’entreprise de direction musicale Instinct Entertainment, affirme que les productions ont ralenti de manière considérable, réduisant d’autant les espoirs des auteurs-compositeurs qui espèrent un placement ou une synchro de chanson.

« Même pour les directeurs musicaux, les activités ont certainement ralenti », dit Perlmutter qui est également fondateur de la Guild of Music Supervisors Canada. « Les productions américaines ne viennent plus chez nous. Et seulement quelques productions canadiennes se sont mises en branle. »

Il y a néanmoins quelques sources potentielles de revenus. « Un secteur qui n’a pas vraiment connu de ralentissement, c’est la publicité. “Les jeux vidéo aussi continuent d’être produits — les maisons de disques et les éditeurs continuent d’octroyer des licences pour ça. Je crois aussi que le secteur de l’animation va être très important.”

Perlmutter s’inquiète toutefois du fait que comme il n’y a pas beaucoup de nouvelle programmation, la valeur des redevances de droit d’exécution pourrait en souffrir, sans parler du fait que les budgets pour la musique des nouvelles productions pourraient aussi en pâtir à cause des nouveaux protocoles de santé et sécurité.

“Tout change, de semaine en semaine”, dit-il.