« Quand j’étais plus jeune, je me suis longtemps posé des questions sur mon style ; aujourd’hui, j’ai compris que c’est quand je n’essaie pas d’y penser que je suis vraiment moi-même… » Leif Vollebekk a de la chance : il ne lui aura fallu que trois disques pour arriver à cette révélation fondamentale. Pas que ses albums précédents soient banals, bien au contraire : Inland et North Americana, deux petits bijoux de folk atmosphérique, lui ont valus de véritables concerts d’éloges, ici comme en Europe, où je le joins d’ailleurs pour cette interview. Après un concert parisien, il posait ses valises à Brighton, en Angleterre, où d’autres shows l’attendent, dans une tournée qu’il effectue en compagnie de l’auteur-compositeur-interprète américain Gregory Alan Isakov (« un type formidable dans le genre de Leonard Cohen », selon Leif). Si l’on se fie aux réactions que suscite Twin Solitude, son petit dernier, paru fin février, Leif pourrait aisément se présenter en tête d’affiche, « peut-être, mais j’aime bien l’idée d’aller chercher un public qui n’est pas le mien, et puis faire des premières parties, c’est une belle leçon d’humilité », poursuit le chanteur.

« Pour moi, la première prise est toujours la meilleure parce que lorsque j’en fais une deuxième, c’est comme si je devenais le spectateur de ma propre chanson. »

Avec son ton posé et délicat, la voix parlée de Vollebekk surprend, pour qui connaît son chant, qu’on a souvent comparé à celui de Jeff Buckley, en raison de son intensité et de son élégant trémolo. Une voix agile et spontanée, dont la beauté est rehaussée par quelques aspérités que le chanteur ne cherche surtout pas à aplanir. « Pour moi, la première prise est toujours la meilleure parce que lorsque j’en fais une deuxième, c’est comme si je devenais le spectateur de ma propre chanson, explique-t-il. En fait, je me trouve à écouter le souvenir de la première prise dans ma tête. Alors je me mets à décortiquer la chanson et je commence à penser comment je pourrais améliorer tel ou tel truc : il y avait une belle montée ici, un beau decrescendo là… Et puis on se met à se copier soi-même et la beauté imparfaite des débuts finit par disparaître. »

On le comprend, Vollebekk aime la spontanéité. D’ailleurs, la quasi-totalité de Twin Solitude a été enregistrée en groupe et en direct (et oui, presque en une seule prise). « J’ai montré les accords aux musiciens et on s’est lancés. À l’exception des violons, qui ont été faits en overdub et de Vancouver Town et Elegy, dont je n’aimais pas le son et que j’ai refaites en une session rapide, j’ai gardé l’esprit libre de la première version. »

Son approche instinctive, Volebekk l’applique aussi à ses textes, qui sont de petites vignettes plus impressionnistes que narratives. « Le grand cinéaste russe Andreï Tarkovsky a dit un jour quelque chose qui m’a vraiment marqué : mes films ne sont jamais symboliques, mais toujours métaphoriques. Bon, je sais que ç’a l’air prétentieux de citer Tarkovsky, mais c’est juste une façon de dire que je veux créer des images et des sentiments plutôt que des messages. Les mots peuvent avoir plusieurs sens, je ne veux pas les fixer. » Et si ses chansons semblent parfois flotter dans l’éther (Into the Ether est d’ailleurs l’un des titres), Vollebekk les ancre souvent dans un territoire géographique précis : Telluride, Big Sky Country, Michigan, Vancouver Time… autant de lieux qu’on pourrait placer sur la carte de cette North Americana mythique qui a donné son titre à l’album précédent.  « Je ne sais pas d’où ça vient. Il y en avait beaucoup sur le premier disque et j’ai essayé d’éviter de le faire sur le deuxième, mais c’est revenu ! C’est bizarre parce que je préfère les chansons qui parlent de moments éphémères, ces petits moments qui s’envolent vite, mais que je peux revivre chaque fois que les chante. »

Va pour les sens multiples et les sentiments évanescents ; mais que dire de ce titre, qui, de la part d’un jeune homme de Montréal chantant en anglais, élevé à Ottawa par un père anglophone et une mère francophone, renvoie immanquablement à l’idée des « Deux Solitudes » ? « En fait, je n’y ai pas pensé en premier, même si ça fait partie de moi, explique Leif. Au Canada anglais, je me sens tellement francophone et l’inverse est aussi vrai. Je suis très à l’aise avec ma double identité. »

Peu importe de quel côté de la barrière linguistique il se trouve, Leif Vollebekk risque de moins en moins de se retrouver seul.