« Chanter, c’est toujours quelque chose qui m’a intrigué », lance Alex Erian au milieu d’une conversation au sujet de Balance, quatrième et nouvel album de son groupe, Obey The Brave, lancé en juillet sur étiquette Hell for Breakfast (filiale de Slam Disques). Alex Erian est pourtant le chanteur d’OTB depuis sa fondation en 2012, et occupe les mêmes fonctions au sein de la formation deathcore Despised Icon depuis 2004.

Que veut-il donc dire ? Qu’il y a longtemps qu’il souhaitait échapper aux frontières parfois contraignantes du rôle de screamer (traduction libre: hurleur) tel que conçu dans l’univers du metalcore. Selon les standards établis jusqu’ici, et toutes choses étant relatives, Balance est ainsi l’album le plus pop de Obey The Brave, et est très certainement celui sur lequel son leader emploie le plus sa voix à des fins mélodiques. À ses côtés: le guitariste Terrence McAuley, le batteur Stevie Morotti et, depuis peu, le bassiste Ben Landreville.

« J’étais inquiet des réactions que ça provoquerait. Je m’attendais à plus de hate sur Internet, mais le monde a été assez smatte », se réjouit Erian en évoquant les critiques parfois vives que génèrent au sein des communautés punk ou métal pareil virage, aussi subtil soit-il, que l’on assimile de façon puérile à une forme de compromission, voire de ramollissement.

« De toute façon », ajoute-t-il à propos de ceux pour qui la moindre modulation dans l’intensité tient de la haute trahison, « le plus important, c’est de créer quelque chose qui vient du cœur, pas de s’inscrire dans une tendance. Dans ma vingtaine, je favorisais surtout l’aspect technique, les prouesses musicales. Maintenant, tout est dans le feeling. J’ai appris que la simplicité est un art. Et sans porter un regard réducteur sur les screamers, j’avais envie de développer un autre talent. Ça a été un gros challenge. J’ai dû travailler beaucoup sur moi-même. C’est une forme de vulnérabilité de plus à assumer [que de chanter sans crier]. Tu ne peux plus te cacher derrière des textes plus ou moins intelligibles, mais je pense qu’avoir des paroles qui le sont un peu plus, ça rend le message plus universel. On voulait établir un meilleur contact avec ceux qui nous suivent et, pour moi, ça passait par là. »

Quel message? Encapsulons en une image simple le discours d’Obey The Brave en le comparant à un insolent doigt d’honneur adressé à l’adversité. « I’d rather die standing up than live on my knees », jure Erian sur No Apologies, un coup de chapeau (ou de casquette des Expos, dans son cas) à des amis de la communauté LGBTQ+ ayant préféré risquer d’être rejetés par leurs proches que de nier qui ils sont encore un autre jour. Calme le jeu, l’obligatoire titre en français, déplore a contrario les jeux de masques que nourrissent les réseaux sociaux, royaume du toc et des trompe-l’œil.

S’il n’a lui-même jamais refusé d’explorer sur disque les racoins les plus sombres de sa psyché, Alex Erian avait rarement nommé avec autant de clarté sa quête de sérénité et de lumière que sur Balance, dans lequel l’auteur et compositeur se livre à un impétueux corps-à-corps avec ses instincts délétères de repli sur soi. Arrive-t-il à Alex Erian de cultiver sa propre noirceur afin de nourrir sa créativité? Gros rire à l’autre bout du fil. Bien sûr que oui.

« Je disais à ma mère hier: « Art is pain« , mais j’essaie vraiment fort de me sortir de cette façon de penser. Ça reste difficile, parce que t’as pas le choix de t’isoler pour créer et le syndrome de la page blanche peut devenir pénible à porter. [C’est d’ailleurs le sujet de la pièce Cold Summer.] Quand tu te réserves trois ou quatre heures pour écrire dans une journée et que tu n’arrives à absolument rien, ça peut être lourd sur ta conscience. »

Tout en se gardant de trop geindre, Erian reconnaît que l’équanimité est une denrée rare sur les routes aussi exigeantes que sinueuses des musiques lourdes. Le leader s’envolait le lendemain de notre entrevue (qui avait lieu un mardi) pour la Californie, afin de participer à des rencontres avec les dirigeants de la maison de disques de Despised Icon, avant de rentrer au Québec samedi, et de filer, toujours avec Despised Icon, vers le FMEAT de Rouyn-Noranda.

Trucs d’écriture: Le metalcore est le genre par excellence des breakdowns, ces intermèdes très syncopés servant souvent dans un morceau le rôle de pont. Que devrait accomplir un bon breakdown? « L’objectif d’un breakdown, explique Alex Erian, c’est d’accroître la participation de la foule pendant le spectacle, de faire bouger les gens, de leur permettre de s’exprimer de façon physique. » Autrement dit: un bon breakdown, ça fait sortir le méchant.

Obey The Brave amorce pour sa part une courte tournée québécoise le 6 septembre à Shawinigan, et parcourra les Pays-Bas, l’Allemagne, la Belgique, la France, la Suisse, la République tchèque, la Hongrie et l’Autriche en novembre, à l’occasion d’une virée d’une quinzaine de concerts. Balance est aussi en ce sens le témoignage d’un homme qui refuse d’abandonner son idéal, malgré tous les camouflets qu’il essuie, et malgré les sacrifices que sa quête suppose.

« Tout le monde croit qu’on vit un rêve et d’une certaine manière, oui, c’est une expérience incroyable [faire carrière en musique], mais ça peut devenir difficile par moments. J’ai 38 ans, je suis en tournée depuis que j’ai 17 ans, et ce dont je me rends compte avec de plus en plus de douleur, c’est que la vie des gens que tu laisses derrière, elle continue sans toi. Ton entourage continue de vivre des expériences dont tu ne fais pas partie. Et puis je vois ce qui se passe en coulisses et c’est pas rose. Les gens pensent que sex, drugs and rock’n’roll, c’est glamourous, mais pour vrai, ce ne l’est pas pantoute. Souvent, la consommation devient une forme de béquille, d’évitement. »

Principal incitatif à ne pas arrêter: l’espoir qu’il entrevoit dans les yeux des jeunes gens qui peuplent les salles d’OTB et qui puisent dans la déflagration du metalcore l’énergie de défendre leurs convictions. « Il y a beaucoup de gens de ma génération qui sont très réticents au changement, regrette Alex Erian. Moi, à l’inverse, j’ai toujours trouvé ça important d’encourager des nouvelles idées, de nouveaux dialogues. C’est comme ça que notre monde évolue. Si, comme on le dit un peu partout, on est en état de crise planétaire, faudrait peut-être qu’on écoute les plus jeunes. »