Sans le savoir, la musique de Laurent Guardo s’immisce quotidiennement dans vos oreilles. Un coup d’œil à la longue liste de ses réalisations d’indicatifs musicaux pour la télé et la radio permet de découvrir qu’il est le créateur de l’habillage sonore d’émissions aussi diverses que Desautels, La Facture, Musicographie, et plusieurs autres pour des chaînes comme Radio-Canada, RDI, MusiquePlus, Musimax, LCN, Canal D et Canal Vie, entre autres.

En vingt ans de carrière, le compositeur, parolier et producteur s’est bâti une solide réputation qui lui a valu plusieurs prix de la SOCAN dans la catégorie musique de télévision. Pourtant, il s’en est fallu de peu pour qu’il change de champ d’intérêt au moment fatidique de faire face à son choix de carrière : « En fait, explique Laurent, j’avais planifié d’entrer en sciences pures au cégep, et à la dernière seconde, j’ai décidé d’aller en musique! J’ai étudié en percussions classiques au Conservatoire et j’ai fait un bac en musique à l’Université de Montréal. C’est un de mes professeurs, Massimo Rossi, qui m’a poussé vers l’écriture. Il m’a dit que je n’avais aucune technique d’écriture, mais que j’avais de bonnes idées… De fil en aiguille, j’ai commencé à composer et ç’a vraiment décollé il y a huit ans, alors que j’ai remporté un appel d’offres pour l’habillage musical d’émissions d’information de Radio-Canada et de RDI. Ça m’a donné beaucoup de travail pendant quatre ans! »

On imagine facilement que la création d’habillage musical radio et de thèmes d’émission télé est un processus très contraignant, et qu’il doit y avoir pas mal de monde ayant son mot à dire sur le résultat final. Pourtant, Laurent Guardo a toujours su conserver sa signature sonore distinctive : des sonorités modernes et dynamiques, mais avec un rendu chaleureux et une touche ethnique subtile. « Jusqu’à maintenant j’ai été assez chanceux, les gens qui m’ont engagé m’ont pas mal laissé carte blanche. Au-delà du contenu de l’émission ou de sa case horaire, j’ai tendance à me fier davantage aux émotions qu’on souhaite communiquer. Ce qui fait que parfois, même si on me demande une musique très techno, je peux arriver avec une proposition qui soit entièrement faite à la guitare sèche. Mais comme l’émotion de départ est atteinte, le client est satisfait. L’effet recherché est plus important que le style ou le choix de l’instrument, en fin de compte. »[pullquote«]Si un échantillon est là pour imiter un violoncelle, c’est certain qu’un vrai violoncelle va être mille fois mieux que l’échantillon. »[/pullquote]

Laurent se fait d’ailleurs une fierté d’utiliser surtout de vrais instruments (dont quelques instruments balinais dénichés lors d’un de ses voyages touristico-musicaux), contrairement à la tendance généralisée dans ce secteur où le recours à l’échantillonnage à partir de librairies sonores est monnaie courante. « Je pense qu’il y a des échantillonnages qui peuvent être judicieux, et j’en utilise à l’occasion. Le danger des échantillons, c’est que tout le monde utilise les mêmes sons. Tout finit par se ressembler. Quand j’utilise des échantillonnages, c’est avec des sons de mes instruments, que je transforme en quelque chose que les vrais instruments ne peuvent pas produire. Pour donner au son une twist, une couleur, une forme qui ne seraient pas possibles autrement. Si un échantillon est là pour imiter un violoncelle, c’est certain qu’un vrai violoncelle va être mille fois mieux que l’échantillon. Je trouve ça ridicule, surtout quand ce n’est que pour éviter d’engager un musicien et économiser une couple de cent dollars… »

Mais les derniers mois de Laurent Guardo ont surtout été occupés à passer de la composition sur commande, dans des formats variant entre une seconde et demie et 45 secondes, à une liberté créative totale sur les pièces de près de 10 minutes de son premier album, Songs of Experience. Pour ce disque à saveur trip hop lounge, produit à compte d’auteur et de manière totalement indépendante, il s’est entouré de précieux collaborateurs, dont Paul Brochu, Ranee Lee, Éric Auclair et Mary Lou Gauthier. Le résultat est une musique sensuelle et évanescente qui sert d’écrin aux écrits du poète préromantique britannique William Blake (1757-1827).

« Les thématiques que Blake aborde dans ses poèmes sont universelles et intemporelles, explique Laurent Guardo. C’était des thèmes pertinents à la fin des années 1800 et ils le sont encore aujourd’hui. L’innocence des enfants détruite par la méchanceté des adultes, l’intolérance du fanatisme religieux, les forces de la nature, la vie qui passe, les relations amoureuses… Et il y a un rythme dans ses poèmes qui me parle beaucoup, j’y perçois presque automatiquement la musique. Chaque pièce de Songs of Experience est comme un film sonore qui raconte l’histoire et les émotions que je perçois dans ses poèmes. »

En plus de la suite à ce premier opus, Songs of Innocence, album qu’il annonce davantage teinté par ses influences ethniques et qu’il souhaite lancer d’ici un an, il travaille également avec Daniel Lavoie à un album de musique de la Renaissance, La Licorne captive, dont il a composé toutes les musiques et écrit les textes à l’exception de deux poèmes de Rimbaud. « C’est un projet de longue date et il y a un an et demi, Daniel Lavoie a accepté de chanter sur toutes les pièces qui sont des chansons inspirées de vieilles légendes. Il y a toutes sortes de percussions ethniques et un mélange d’instruments d’époque comme de la viole de gambe et l’archiluth, ainsi que des instruments modernes. C’est presque prêt à voir le jour, j’espère que ça sortira bientôt. Mais c’est le genre de projet avec lequel il faut être patient… »

Laurent Guardo, un orfèvre de sa profession et un compositeur à découvrir au delà des musiques que nous pouvons tous fredonner.