Laurence NerbonneTenace, tenace, tenace. Qu’il est tenace le mythe vieux comme le monde voulant que l’inspiration seule insuffle à une chanson son pouvoir. Une conception de la création à laquelle Laurence Nerbonne n’avait jamais tellement adhéré, mais qu’elle rejettera complètement, pour de bon, après avoir pris part au camp Kenekt qu’organisait la SOCAN au Nicaragua en avril 2018.

En compagnie de 17 autres ciseleurs de rythmes et de mélodies, parmi lesquels certains beatmakers bien en vue de la pop globalisée, la chanteuse participe chaque matin à une séance de yoga, avant d’être jumelée avec quelques collègues et de s’enfermer en leur compagnie dans une petite cabane au bord de la mer, autour de laquelle batifolent des singes. Objectif: élaborer à l’aide de leurs ordinateurs, de leurs téléphones et de leur féconde imagination sous pression un morceau digne d’être présenté lors de la séance d’écoute commune prévue chaque soir pour 22 heures.

« C’était fou à quel point c’est impressionnant de côtoyer des gens qui sont aussi en shape créativement », se rappelle celle qui lance ces jours-ci Feu, son deuxième album, dont elle signe toutes les musiques et tous les textes. « C’est vraiment un mythe que la création, c’est juste de l’inspiration, juste une illumination. La plupart du temps, c’est beaucoup d’acharnement, beaucoup de travail. Parce que si t’as une super illumination, mais que tu n’as pas d’outils pour la mener à bout, il ne va pas se passer grand-chose. »

Laurence évoque à titre d’exemple Chandelier de Sia, un tube « qui suit les règles de construction d’une grande chanson pop, mais qui va traverser les époques, parce que Sia  y a mis de l’émotion, de l’instinct. »

Soyons poptimistes

Ses conseils pour construire une bonne chanson pop

« Réfléchir aux techniques d’écriture, à comment un bon refrain doit résumer les enjeux des couplets, aux formes que peut prendre une chanson, ça te permet d’encore plus faire honneur à ton inspiration et de rendre le résultat de ton idée de base plus clair pour la personne qui écoute. C’est comme en arts visuels: Picasso a dû apprendre à vraiment bien peindre avant de tout déconstruire. Picasso était en forme! Et pour faire une bonne chanson pop, il faut être très en forme, parce que c’est beaucoup plus difficile qu’on le pense d’arriver à cette clarté, qui est essentielle, tout y mettant l’émotion nécessaire, pour que ce ne soit pas que mathématique non plus. »

Pop: le mot reviendra à plusieurs reprises au cours de la conversation. Bien qu’elle monte dans le ring d’un hip-hop incendiaire et balance plusieurs rimes frondeuses sur quelques-uns des titres les plus percutants de Feu (Fausses idoles, Back Off), Laurence Nerbonne demeure profondément animée par son désir d’aligner la pop québécoise sur le son de la planète. Son flirt avec le rap témoigne sans doute d’ailleurs moins d’une complète réinvention de soi, que de son adhésion – très inspirée – aux codes hypercontemporains d’une pop perméable à tous les genres embaumant l’air du temps.

« La seule foi qui me reste, c’est en nous », scande-t-elle sur Fausses idoles, et ce « nous », c’est beaucoup ceux et celles qui, comme elle, aiment leur pop quand elle pulse au même rythme que le reste du globe. En 2016, le premier disque de Laurence Nerbonne, XO, affrontait Nous autres de 2Frères dans la catégorie Album pop de l’année, au gala de l’ADISQ.

« Je n’ai rien du tout contre 2Frères, mais je me suis demandé si on était bel et bien en 2016 », se souvient celle qui repartait d’Ottawa en 2017 avec le Juno du meilleur album francophone de l’année. « Je ne vois pas le rapport entre ce que je fais et le folk qu’ils font. Si on décide que 2Frères, c’est de la pop, ça prend au moins à l’ADISQ une catégorie musique urbaine. »

Il y aurait donc beaucoup de travail à faire, selon Laurence Nerbonne, afin que le poptimisme, ce courant critique ayant lavé la pop de sa réputation de genre musical superficiel partout dans le monde anglo-saxon, gagne le Québec. Il y aurait ici encore trop d’acteurs de l’industrie de la musique qui assimilent pop et mièvrerie.

« En dehors de moi, ce qui m’inquiète, c’est la pérennité de la langue française et de notre culture. Ça devient difficile pour les jeunes qui écoutent du trap à longueur de journée de s’identifier à la musique québécoise. Quand un jeune m’écrit qu’il n’écoute habituellement que de la musique en anglais, mais qu’il écoute mon album même si c’est en français, j’ai l’impression que j’ai réussi quelque chose. Ce qui est sûr, c’est que notre retard ne nous permet pas de rayonner à l’international. »

Il faudrait, en résumé, foutre collectivement le feu (!) à tous les préjugés que charrie encore au Québec le mot pop. Voilà du moins une façon parmi tant d’autres de lire le titre hautement polysémique de cet album oscillant sans cesse entre uppercut et susurrement.

« La fameuse malédiction du deuxième album, je pensais que ça ne m’arriverait pas, mais finalement oui, au point où je me suis demandé si j’avais encore le feu sacré », confie Laurence Nerbonne. « J’ai décidé de ne pas avoir peur de perdre mes acquis et ne pas essayer de refaire le même disque une deuxième fois, et ça, c’est jouer avec le feu. Pour moi, l’important, c’était qu’il y ait encore une communion, un feu, entre mes fans et moi, et la communion, elle passe par l’authenticité. » Elle s’interrompt. « Quand on y pense, le feu, c’est l’affaire la plus dangereuse, et la plus belle au monde. »

Attention le feu, c’est chaud, c’est dangereux? « Oui, c’est ça! Shout à Gabrielle Destroismaison! Elle avait tout compris. »