La voix souple de Laurence Jalbert nous accompagne depuis le début des années 90 et même un peu avant pour ceux qui l’ont connue avec le groupe Volt. Un timbre feutré pour véhiculer toute la gamme des émotions, une voix pour dire la rage, les déchirures et coups encaissés, pour célébrer la chaleur humaine, l’amour et les liens qui nous unissent à nos semblables. La chanteuse de Rivière-au-Renard a toujours eu le don d’interpréter des chansons qui remuent et réconfortent, parfois signées de sa patte, ou reçues en cadeau, comme c’est le cas sur son nouvel album, Ma route, qui paraît le 19 février.

Sur sa page Facebook, la principale intéressée décrit son nouvel album ainsi : « Album de sourires, d’espoir, de vraie vie, de vrai monde! Album de toutes sortes de sortes de guitares, de pedal steel, de mandoline… ». Le 11e album de Laurence Jalbert a vu le jour dans une sorte d’état de grâce : « Tout coulait de source, aucun engrenage ne résistait. Je me levais le matin et j’avais le sourire. C’est un album d’une grande simplicité, je n’avais jamais connu ça avant. Mais j’ai attendu longtemps avant de trouver Rick… »

« L’appel de l’album, c’est un peu comme caller l’orignal! Il faut savoir être patient; les choses arrivent au moment opportun. »

CALLER L’ORIGNAL

Ma route a pour origine la recherche d’un son précis. Laurence Jalbert écoute beaucoup de musique. Depuis quelques années, elle n’a plus de copies physiques d’albums chez elle, mais se rend chaque semaine sur iTunes et remplit son iPhone et son iPad de nouvelles chansons qu’elle écoute en voiture. « Je replonge aussi dans le répertoire d’artistes qui m’inspirent : Daniel Lanois, Emmylou Harris, T-Bone Burnett ont su créer des environnements qui sont très « racine », proches à mes yeux d’une certaine vérité. Depuis quelques années, j’avais un son précis en tête et je cherchais le réalisateur qui allait pouvoir m’emmener là où je voulais. Certaines enveloppes sonores me font léviter, je me demandais: qui pourrait bien me donner ça? » Un jour, elle entend ce son, précisément, et s’informe; c’est Rick Haworth. Elle lui envoie aussitôt un texto pour savoir s’il veut travailler avec elle… Quatre minutes plus tard, il répond par l’affirmative. « C’est là que j’ai su que j’allais avoir un nouvel album. L’appel de l’album, c’est un peu comme caller l’orignal! Il faut savoir être patient; les choses arrivent au moment opportun. »

L’automne semble tomber sur l’album, onze titres qui sentent la terre et les feuilles mortes. « Ces routes, l’automne, où les couleurs m’inspirent et me grisent, l’hiver dans le froid qui fige les images et le temps », écrit-elle dans le livret. « La chaleur des guitares, ce son de bois, de feu de camp, va très bien avec l’hiver aussi, ajoute Laurence. Avec tout ce qui se passe dans le monde, je pense qu’on a besoin de chaleur humaine. » Tout au long de l’entretien, cette idée de faire du bien aux gens reviendra comme un leitmotiv. Laurence Jalbert lance un album empreint de sérénité comme d’autres tricotent un chandail de laine pour tenir au chaud ceux qui comptent.

RETOUR AUX SOURCES

 Ma route : c’est le titre de l’album et du premier extrait, dont Catherine Durand signe les paroles et la musique. « Quand j’ai commencé à la chanter, j’ai revu mes années de routes à la dure, à me geler les pieds dans le truck à m’en donner des pierres aux reins, à chanter avec une broncho-pneumonie parce qu’il pleuvait dans ma chambre d’hôtel… Je ne travaille plus dans mêmes conditions, mais je suis passée à travers ça, je l’ai fait pendant longtemps, parce que j’avais tellement besoin de la musique – et j’ai encore besoin d’elle. Si j’ai enduré des choses comme ça, c’était pour aller à la rencontre des gens et c’est ce que dit la chanson. »

Au bout de la route, dans l’autre sens, il y a l’idée du retour à la maison. Deux chansons du nouvel album parlent d’enracinement. À travers les mots et la musique de Bourbon Gauthier, et la mandoline de Rick Haworth, Nid d’amour célèbre la petite maison qu’a Laurence en Gaspésie, un coin de paradis où se réfugier de temps en temps. Au printemps, ce sera la Provence / À l’hiver, la Suisse blanche, chante-t-elle. Le retour au lieu des origines, ce moment précis où l’on rentre chez soi, elle le chante aussi sur Je rentre à la maison. « Les gens qui vivent en région connaissent bien ce sentiment-là. »

Et tout à coup, une éclaircie en plein cœur de l’album prend la forme d’un duo avec la chanteuse et reine des festivals de musique country Guylaine Tanguay. Ça s’intitule Une minute à moi, c’est plein de charme, ancré dans le quotidien des femmes qui n’arrêtent jamais une minute, « celles qui, comme Guylaine et moi, sont tout le temps sur une patte à courir d’un bord et de l’autre du matin au soir, de la broue dans le toupet, entre les devoirs, le souper, les courriels, le chien, les poubelles à sortir… »

La route, la maison, les petits détails du quotidien et le chien qui passe dans une chanson pour ressortir dans une autre… Le nouveau cru de Laurence Jalbert flirte avec le country sans cacher son jeu. « Je viens de là et j’aime ça. Quand j’ai commencé, Tomber, Au nom de la raison, Corridor, pour moi c’était des chansons westerns et j’étais certaine que j’allais me faire tirer des tomates! Plus je vieillis, plus j’assume que c’est mon école. Je retourne là d’où je viens. »

LES TEMPS CHANGENT

Laurence JalbertDepuis le premier album de Laurence Jalbert à son nom lancé en 1990, l’industrie de la musique s’est transformée. L’âge d’or de la vente d’album est révolu, les règles ont changé. Difficile de composer avec ces nouveaux paramètres qui ne sont pas toujours à l’avantage des créateurs? « J’essaie de continuer à faire ce que je fais du mieux que je peux. Je fais partie de cette industrie alors je dois m’adapter. Reste qu’on nous demande de faire sonner des albums et de monter des shows d’envergure avec des moyens restreints, mais ça nous coûte aussi cher, on n’a pas de rabais parce qu’on est au Québec. Parfois je dis à mon agent : « Là, ça va faire », mais il faut savoir se réinventer. Je continue à faire mes shows et à remplir mes salles. Le business, je laisse ça à mon équipe en gardant tout de même un œil sur ce qui se passe. Tant que le public est au rendez-vous, je ne m’arrêterai pas. »

La voix, elle, s’est bonifiée avec le temps. Laurence nous laisse un peu plus sereins quand les dernières notes de la chanson se font entendre. La voix est connectée au cœur, la vie l’a forgée comme l’eau du fleuve polit les aspérités d’un rocher. « J’ai la voix d’une femme de 56 ans qui a vécu, qui a reçu des coups de couteau dans ventre et dans le dos, qui a connu son lot de bonnes et de mauvaises nouvelles, à qui la vie a donné deux enfants et quatre petits-enfants. Je ne chante plus comme au début; ce serait comme si je m’obstinais à porter les mêmes pantalons en fortrelle depuis 40 ans. La voix est le miroir de l’âme, de ce qu’on vit. Je suis encore une femme de caractère et de tempérament, mais les coups de tête se sont mués en force tranquille et je pense que ça se reflète aussi dans ma voix. »

Cette voix unique et reconnaissable qui nous accompagne depuis un quart de siècle, on se plaît à la retrouver comme un chemin au cœur de la forêt, une route qui mène jusqu’à une petite maison chaleureuse et accueillante.

Laurence Jalbert parle du premier extrait et titre de son album, Ma route :