Laura NiquayElle est née avec une guitare dans les mains, dans une famille de musiciens où on chantait autant Hank Williams que Georges Moustaki. « Je suis l’héritière de ce talent familial », dit Laura Niquay, qui offrira le 30 avril un nouvel album de chansons folk et rock intitulé Waska Matiwisin, signifiant « cercle de vie » dans sa langue atikamekw. « Et moi, je suis née pour être messagère. C’est mon talent – c’est très important de valoriser le talent qu’on a ».

Mais ce qui importe d’abord, insiste l’autrice-compositrice-interprète Laura Niquay, c’est de bien articuler en chantant. « Surtout que j’écris de plus en plus avec des mots atikamekw qu’on n’utilise plus aujourd’hui, et qui pourtant étaient utilisés auparavant. C’est bon pour les jeunes de notre communauté, ceux qui vivent en milieu urbain, surtout », comme elle d’ailleurs, aujourd’hui résidente de Trois-Rivières, à plus de trois heures de route de son village d’origine, Wemotaci, au nord-ouest de La Tuque, au Québec.

Exemple de mots en voie de disparition, tirés de la chanson Moteskano, un folk boosté aux guitares électriques cadencé par une batterie rock et des tambours traditionnels : « Nikinako ketcikinako », chantés dans le refrain. Ils signifient « enlever nos chaussures, remettre nos chaussures » – « on exprime ça autrement aujourd’hui, dit la musicienne. En plus, dans notre nation, on a trois communautés distinctes, et chacune d’elle parle un peu différemment l’atikamekw. J’ai des neveux et nièces qui habitent en ville et qui, peu à peu, perdent l’usage de notre langue, et ça me touche beaucoup. C’est important pour moi de bien chanter dans notre langue ».

Le travail d’écriture est minutieux pour Laura Niquay, qui dit consulter les ainés et travailler avec des technolinguistes – « trois femmes atikamekw qui se sont spécialisées dans le domaine » – pour s’assurer d’avoir le mot juste dans ses chansons et tenter d’en réhabiliter que le temps a presque effacés de la mémoire. « Moi-même, j’apprends des mots que je n’avais jamais entendus de ma vie, c’est pour ça que c’est important de collaborer avec une technolinguiste ». C’est sans compter les nouveaux mots venant enrichir le vocabulaire de la langue ancestrale « comme le mot ordinateur – ça fait pas longtemps qu’il a été inventé ! » Il se traduit par « Kanokepitcikan ». Le mot pour Internet est encore plus complexe: Pamikicikowipitcikan.

Ils n’apparaissent pas dans les textes de Waska Matiwisin parce que Laura Niquay préfère chanter l’universel plutôt que le moderne. L’importance de la famille, du respect de la nature, du sacré et du spirituel, thèmes centraux de son nouvel album. « C’est d’abord un disque sur la résilience », assure-t-elle, un mot dont la signification était déjà trop bien comprise des peuples autochtones avant que le reste du Canada se le soit répété pendant la pandémie.

« Il y a aussi une chanson qui parle du deuil, Otakocik/Hier, parce qu’on en vit beaucoup dans nos communautés, ça aussi, ça me touche beaucoup, explique la musicienne. Une autre chanson parle du suicide Et y’a une chanson, Nicim/Mon petit frère, qui parle du suicide. Mais ce sont des chansons qui servent à en faire la prévention – c’est pour ça que je dis que je suis une messagère. Je ne veux surtout pas être déprimante, mais je veux simplement partager mon point de vue sur ce « cercle de vie » dans lequel nous nous trouvons tous », avec ses drames et ses moments de bonheur. « Chacun vit avec ses problèmes, partout dans le monde. On est tous humains, et cet album est fait pour tout le monde ».

Laura Niquay a mis trois ans de travail pour composer et enregistrer (au studio Sophronik de Verdun, sous la réalisation de Simon Walls) la douzaine de chansons de son nouvel album Waska Matisiwin. De la ballade folk douce aux timbres de guitare slide (Aski/Terre) livrée avec cette voix qu’elle qualifie elle-même de « sablée » au rock puissamment envoyé (formidable Eki Petaman/Ce que j’ai entendu), en passant par Nicim/Mon petit frère une étonnante collaboration avec Shauit, sur un groove vaguement reggae, chantée en atikamekw et en innu.

L’une des plus touchantes de l’album se nomme Nicto Kicko, la voix apaisante de Laura Niquay se posant sur le son d’un piano droit appelant ensuite l’orchestre. Le titre signifie Trois jours, soit le temps que la musicienne est demeurée sans nouvelles de son père. « J’ai fait une chanson lente avec cette histoire, parce que trois jours sans nouvelles, c’est long, et en plus, il neigeait. Un de mes oncles avait été retrouvé mort chez lui, on ne voulait pas que ça se reproduise ». Au bout de trois jours, il a été aperçu sortant de l’épicerie. « Il ne nous avait jamais entendus / Parce que pendant trois jours / Il voulait être seul / Avec ses écouteurs aux oreilles », chante simplement Laura.

« Souvent, lorsque je compose, je cherche d’abord une mélodie, puis je m’enregistre pour ne pas l’oublier. Si, disons, j’entends une mélodie dans un rêve, en me levant le matin, je vais tout de suite jouer de la guitare. Après ça, j’écris le texte. Parfois en lisant les histoires des autres, parce qu’il y a beaucoup de gens qui m’écrivent. Ils me confient leurs histoires, leurs secrets. Moi, je trouve les bons mots dans leurs histoires, et j’en fais une chanson. »