« Auparavant, la norme était d’engager un compositeur pour avoir une musique originale », raconte Pecile. « Les gens avaient l’habitude de plus gros budgets, car ils savaient que lorsque leur production serait achetée par la télévision, ils feraient un tas d’argent. Mais dans l’univers de 1000 chaînes, sans compter les YouTube et autres, le même dollar de budget est divisé par 100; autrement dit de nos jours vous n’avez plus que quelques sous de marge de manœuvre. Aujourd’hui, je gagne plus d’argent en créant de la musique que je confie à une librairie de musique de production afin qu’ils la mettent en marché qu’en essayant de dénicher un contrat pour composer le thème d’une nouvelle émission jeunesse. »

Ross Hardy, un autre compositeur, y va de sa propre explication : « Une des raisons pourquoi je me suis tant attaché à ce marché, c’est qu’il n’y a personne qui regarde par-dessus mon épaule. Je suis le plus à mon aise dans une situation où on me dit “Que veux-tu composer ? Composes-en autant que tu veux, je m’occuperai de vendre ta musique.” »

Outre son métier de compositeur, Ross Hardy est un ancien employé de la SOCAN et il a travaillé avec de nombreux éditeurs du domaine de la musique de production au fil des ans. En juin 2013, il a fondé la compagnie de musique de production hard dont il est le PDG, en compagnie de Craig McConnell, qui agit à titre de président. Ce dernier est un vétéran de l’industrie, un compositeur de musiques de film et de télévision maintes fois primé qui est également producteur et auteur-compositeur, en plus de siéger au conseil d’administration de la Guilde des compositeurs canadiens de musique à l’image (SCGC).

Officiellement, la SCGC – dont une récente étude a démontré qu’en plus de la télé et du cinéma, un tiers de ses membres travaillent sur des projets de jeux vidéo et en ligne (35 %), la pub (39 %) et la musique franche – n’est pas très chaude à l’idée de musique de production. Pour certains compositeurs à l’écran, le prix très bas de la musique de production représente une compétition déloyale pour leur travail original et diminue la perception de valeur que peut avoir cette musique AV originale.

Dans une section du site Web de la SCGC, on peut lire : « Les librairies de musique sont des outils très utiles pour trouver, par exemple, des musiques d’époques spécifiques ou qui se synchronisent à une scène en particulier, mais lorsqu’il est question d’établir une ambiance, la majorité des librairies ont un choix limité, forçant ainsi les monteurs de musique à créer des montages et des transitions fluides entre les pièces. »

Les compositeurs qui œuvrent dans le domaine de la musique de production devraient par ailleurs toujours garder à l’esprit les risques associés au retitrage.

« En quelques mots le retitrage c’est ceci : vous avez un catalogue comportant des milliers de titres », explique Hardy. « Vous êtes une maison d’édition qui reçoit des redevances d’exécution de la part d’ODE comme la SOCAN chaque fois que vos œuvres sont exécutées. Puis, vous négociez une entente avec un réseau comme NBC dans laquelle vous leur cédez 50 % des droits en vous disant que 50 %, c’est quand même mieux que rien. L’incitatif pour ce réseau, ici, c’est que plus il utilisera votre musique, plus les redevances qu’il recevra vont être importantes. Puis, la tentation s’installe de négocier la même entente avec ABC, le réseau concurrent, sauf que pour pouvoir négocier la même entente, vous devez donner de nouveaux titres à vos œuvres. L’effet net de cette pratique est de dénigrer la valeur du droit d’auteur, la chose que nous tentons de protéger bec et ongles. En faisant cela, vous tuez toute intégrité. Ça crée des inégalités entre les catalogues de musique de production. »