Jeune adulte, David Marin lisait les avis de décès dans une station de radio communautaire de Drummondville, sa ville natale. Il réprime un rire. « C’était un gros revenu pour les stations à l’époque ! », lance-t-il, comme pour justifier cette pratique largement mise à mort (!). David Marin, maître de jeux de mots, nous excusera d’en faire un mauvais – par le progrès technologique. C’est désormais sur le web, évidemment, que vous apprendrez que Lisette et Adélard sont décédés.

Mais l’amour de David Marin pour la radio, lui, ne s’est jamais éteint. Diplômé en Art et technologie des médias, l’auteur-compositeur a occupé plusieurs micros dans sa vingtaine, et en retrouve un, pour ainsi dire, dans Radio Compost, le spectacle inspiré de son plus récent et troisième album, Hélas Végas (paru en novembre 2018).

« Avant, quand je montais un show, je préparais des anecdotes, oui, mais dans le fond, puisque c’est d’abord un show de musique, on concentrait nos efforts sur la musique. Et j’ai toujours senti que je n’étais pas à la hauteur de ce que je pouvais donner, je me fiais à l’impro et à la fin, je me disais: si tu travaillais un peu plus, ce serait vraiment meilleur. »

C’est cette saine séance d’autoflagellation qui mènera à la mise en ondes de Radio Compost, la station que Marin nous invite – nous contraint – à syntoniser lorsqu’on assiste à un de ses spectacles construits comme une émission de la bande FM, avec des appels d’auditeurs, des publicités (pour le courtier d’assurance amoureuse Assurance Love), des reportages en direct du Beach Club et des animations plus traditionnelles, liant chacune des chansons pigées dans ses trois disques.

« Je suis un grand tripeux de radio de toute sorte – un bad tripeux dans certains cas, quand je passe par Québec. Faque au lieu d’essayer de trouver l’histoire, l’anecdote, qui fitte le mieux avec la prochaine toune, je me suis demandé : Quel élément de la radio peut mettre les gens dans le mood pour la prochaine toune ? L’idée, c’est de faire vivre aux gens une expérience kaufmanesque des perceptions: Qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux? Je trouve que c’est des questions importantes à se poser de nos jours. »

Il rêve d’ailleurs plus ou moins secrètement à une radio virtuelle qui permettrait de nouer un dialogue entre toutes les régions d’un Québec qui se parle trop peu. « On est tellement déconnectés de ce qui se passe ailleurs, à l’extérieur de Montréal », regrette celui qui partage son temps entre son appartement en ville et à sa maison de Trois-Pistoles.

« J’aimerais créer un espace commun qui est autre chose que de la poubelle, autre chose que du chialage, créer une vraie toile socioculturelle de ce qu’est le Québec. On vit une époque où il y a beaucoup de haut-parleurs qui parlent fort, des gens qui crient fort leurs opinions. Si on veut changer les choses, faut trouver une autre façon que ça. »

« Chu un été trop chaud / Un automne humide / Un hiver trop rude / Et un printemps timide / Je fais toutt les temps, toutt les temps / Je reviens maintenant / Avec le goût d’me refaire / Une beauté du monde », chante David Marin dans Rue de la Grève, ballade piano-voix concluant Hélas Végas.

Comme tous les grands disques de rupture, celui-là est à la fois l’autopsie d’une relation qui s’étiole, mais aussi le récit d’une nécessaire redécouverte de soi, avec toutes les questions plus ou moins anxiogènes, plus ou moins enthousiasmantes, que ce duel avec le miroir suppose.

Après avoir rapatrié ses actifs sentimentaux et s’être recousu le cœur, un gars dans la quarantaine se demande qui il est, quand il n’est plus chum, quand il n’est pas père.  « On peut s’engager en amour, on peut s’engager socialement, mais il peut arriver une étape dans la vie où on décide de s’engager envers soi-même, explique le chanteur. C’est ce que j’ai fait : j’ai décidé de me donner plein de permissions que je ne m’étais pas données depuis un bout. Je me suis retrouvé seul à ne plus négocier rien pendant un bout et j’ai laissé les portes ouvertes à tout. »

Truc d’écriture : Se donner du lousse
« Quand t’écris et que tu composes, faut que t’apprennes à te donner du lousse. Pour moi, ce que ça veut dire, par exemple, c’est que lorsque je sens que j’ai un texte plus cérébral, je vais composer une musique plus simple. Faut aussi que t’apprennes à ne pas toujours rimer à la fin, à te détacher du piétage. Il y a tellement de jouets à utiliser quand t’écris. Ça peut être aussi simple que « La nuit je mens / Je m’en lave les mains. » Ça coule, c’est le fun, c’est beau. »

Résultat : David Marin, déjà un des plus agiles paroliers de sa génération, signe dans Hélas Végas certains de ses textes les plus brillants et touchants, à l’aide d’une poésie qui invite l’auditeur à doucement en découvrir les fulgurances, plutôt que de les souligner à gros traits.

« J’ai trouvé ma zone à moi dans l’écriture en écoutant Jean Fauque [parolier d’Alain Bashung], c’est avec lui que j’ai appris elle est où la limite. Des jeux de mots, dans mes premiers disques, il y en a des plus douteux, et c’est avec Jean Fauque que j’ai compris que si je voulais jouer avec la langue, fallait que ce soit raffiné, que ce ne soit pas que du calembour poche. »

Jean Fauque est pourtant souvent taxé d’hermétisme. Comment éviter de n’écrire, que pour soi, des textes trop opaques ? « Quand j’entends « Quelle autre solution / Que de se dissoudre » [dans Faites monter de Bashung], je capote ! Pas toi ? C’est pas opaque ça ! Pour moi, un bon texte, c’est des images, des coups de pinceau. C’est mettre trois couches dans la même phrase. C’est un beau feu d’artifice pour le cerveau, pour l’intelligence, pour le cœur. » Il parle de Fauque, mais pourrait tout aussi bien décrire ici ses chansons à lui.

David Marin présente Radio Compost le 10 septembre au Ministère.