« Parler français, c’est un choix qu’on fait chaque jour », dit Mario Lepage, alias Ponteix, Franco-Saskatchewanais qui a choisi la musique comme véhicule de la minorité. Bastion, son premier album complet a été composé en solo dans son petit village de St. Denis, une communauté francophone dans un océan de prairies où parler sa langue est une décision qui se renouvelle au quotidien.

Ponteix, Mario LepagePour parler de musique avec Mario Lepage, il faut parler de « minorité francophone hors Québec ». « Plusieurs tiennent pour acquis de mener leur vie dans la langue de leur choix, mais pour nous, c’est un enjeu. L’anglais, ça s’attrape si tu ne fais pas attention, dit-il en riant. Mon grand-père dirait “Aaaah les Anglais!” »

Le français, ça a été un combat pour Mario et sa famille et c’est pourquoi c’est encore tellement important aujourd’hui. « Mon père, dans le temps qu’il allait à l’école, il se faisait intimider parce qu’il parlait français. Beaucoup de gens de sa génération ont choisi de ne pas parler en français pour cette raison-là. »

Bastion, il s’était promis de l’écrire chez lui, à la maison, là où ses racines le portent vers les thématiques musicales les plus chères à sa culture. « Au fur et à mesure que j’écrivais, j’ai réalisé que j’avais une grande relation avec la place, se remémore Mario. Mon village natal qui est dans les plaines canadiennes m’a vraiment connecté avec mon héritage, la source de ma francophonie. »

Les chansons de Ponteix s’emboîtent avec le paysage duquel elles découlent. « À force de voir que j’avais des tounes qui parlaient surtout de ma relation avec l’endroit, je me suis dit qu’il fallait que tout se passe là, dit Mario. Les grands espaces, les ciels ouverts, je trouvais que ma musique voyageait bien dans les grands espaces. Quand tu vois tout ça et que tu regardes l’horizon, j’avais un peu l’impression que ma musique était un screenshot de ça. »

La dualité linguistique est au cœur des textes de Ponteix, qui explore les dilemmes multiples liés à la culture du lieu. « Dans Alamo, aussi, je parle de la santé mentale. C’est un double sens: l’effet de la petite voix dans ta tête qui ne veut pas se taire et la voix qui est aussi l’anglais qui est partout. Dans ma réalité, c’est inévitable », explique l’artiste.

La famille se retrouve inévitablement au centre du portrait dressé par Lepage. « J’ai retrouvé des vieilles cassettes chez ma grand-mère Irène. Elle enregistrait plein d’affaires random quand on était petits. Au début de mon album on entend ma cousine Ginette qui récite un poème il y a environ 40 ans. Et à la fin de l’album, c’est moi à trois ans, qui parle avec ma grand-mère. Elle me dit qu’on va apprendre une chanson ensemble et qu’elle va aussi m’apprendre les bonnes manières. »

Ce n’est pas un hasard si Ponteix n’est pas un groupe montréalais originaire de la Saskatchewan. Il y a des choses qu’il ne faut pas désincarner. « Culturellement il y a quelque chose de vraiment spécial là-bas. Peu importe où je serai, mon chez-moi sera toujours là-bas. » Pour lui, l’Internet permet de se mêler à ce qui se fait sans avoir pour autant à se bouger les pieds. « Maintenant, on reprend le contrôle de notre carrière. Tout n’est pas nécessairement dans les mains des maisons de disques et tu peux faire de nombreuses choses à distance. »

Un mouvement constitué de jeunes artistes est en train de s’ériger, abaissant les barrières géographique et linguistique l’une après l’autre. « On était une gang qui aimait beaucoup faire de la musique en français, confie Mario. On est tous amis et on s’encourage. On a eu des bons modèles de gens qui l’ont pas eu aussi facile que nous: Folle-Avoine, Hart Rouge, Anique Granger… ils se sont encore plus battu que nous. »

« C’est facile de l’oublier, d’oublier qu’on est francophone. Dans mon band, il y a un gars qui a des racines francos, mais ses parents l’ont tellement eu difficile avec le français, qu’ils ont décidé de ne pas transmettre cette culture-là. Bastion, c’est la source de ma francophonie. La chanson Prud’homme, sur mon album, c’est la chorale de ma communauté qui est en train de chanter dans l’église de mes ancêtres. Tout est là. »

Quand il se sent limité, Mario voit ça comme un challenge. C’est pourquoi il a construit son album en solo, en s’aidant de certaines collaborations – notamment avec Fred Levac à la coréalisation –, mais en étant toujours maître du produit. « Je suis le fils d’un fermier. C’est comme ça que mon père était. Il n’avait jamais les meilleures machines, il patentait les choses et s’arrangeait pour que ça marche. »

Le produit, paru en mars, voyagera sous plusieurs formes durant les prochains mois, et ce, devant des publics francophone et anglophone. « La musique n’a pas besoin de langue », conclut Mario.