La révolution numérique a apporté son lot de douleurs et de promesses à l’industrie de la musique. C’est maintenant au tour de l’intelligence artificielle (IA) de se pointer à l’horizon en tant que prochaine importante turbulence technologique.

Des machines qui composent de la musique ? Des logiciels qui composent pour le cinéma et les vidéos d’entreprise ? Ce ne sont pas des idées farfelues qui appartiennent à un futur digne de la science-fiction ; elles existent déjà et aident les compositeurs en chair et en os, tout en menaçant de supplanter certaines tâches qui étaient auparavant l’apanage des humains.

L’an dernier, les chercheurs des Sony Computer Science Laboratories ont lancé une pièce intitulée « Daddy’s Car », qui n’était pas sans rappeler les Beatles, créée par le logiciel IA Flow Machines, un projet de recherche financé par le Conseil européen de la recherche sous la coordination de Sony CSL Paris.

La « startup » française Aiva (Artificial Intelligence Virtual Artist) est un logiciel de composition IA enraciné dans la musique classique est destiné au marché des droits de synchronisation.

Selon les créateurs d’Aiva, « nous avons enseigné à un réseau neuronal à comprendre l’art de la composition musicale en le nourrissant d’une imposante base de données de partitions par les plus grands compositeurs de musique classique (Bach, Beethoven, Mozart, etc.). Aiva est en mesure de capter les concepts de la théorie musicale grâce à cette ingestion d’œuvres musicales existantes. »

Le premier album d’Aiva, Genesis, est disponible sur SoundCloud. Plus tôt cette année, Aiva est devenu le premier logiciel de composition à conclure une entente avec une organisation de droits d’exécution : toute la musique composée par Aiva est automatiquement déclarée à la SACEM.

Pendant que de plus petites « startups » en IA poussent comme des champignons — il suffit de constater de visu certaines des ingénieuses applications exposées au Techstars Music Accelerator de Los Angeles —, Google, Microsoft, IBM, Apple et Amazon ont toutes investi massivement afin de demeurer dans la course de la révolution IA.

Ainsi, l’an dernier, Google a lancé Magenta, un projet de recherche destiné à repousser les limites de ce que l’IA peut accomplir dans le domaine des arts. Ce sont des réseaux neuronaux qui accomplissent cela, des réseaux d’ordinateurs inspirés des réseaux neuronaux du cerveau humain.

« La révolution de l’apprentissage en profondeur est une gracieuseté de l’industrie des jeux pour ordinateurs », écrivait Larry Hardesty du MIT News. « L’imagerie complexe et le rythme frénétique des jeux vidéo modernes exigent de l’équipement qui est en mesure de garder le rythme et il en a résulté des unités de traitement graphique (GPU) qui cumulent des milliers de cœurs relativement simples dans une seule puce. Il n’a pas fallu bien longtemps avant que les chercheurs réalisent que l’architecture d’un GPU ressemble beaucoup à un réseau neuronal. »

Arne Eigenfeldt croit que l’IA stimule la créativité et ne remplacera pas la création humaine.

IBM explore plusieurs applications IA musicales, incluant Watson Beat. Comme l’explique Kelly Shi, chercheuse pour IBM, « Watson Beat compose de la musique en “écoutant” au moins 20 secondes de musique et crée de nouvelles mélodies, des sons ambient et des rythmes en se fondant sur ce qu’il a appris de l’échantillon de départ — que ce soit une création de l’utilisateur ou d’autres échantillons ou chansons. »

Jeff King, SOCAN

Jeff King, SOCAN

La SOCAN collabore avec IBM Watson et l’un des plus importants laboratoires d’IA au Canada afin d’utiliser cette technologie au bénéfice des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. « La SOCAN est très engagée dans le domaine de l’intelligence artificielle », affirme le chef de l’exploitation de l’organisation, Jeff King. « Nous voulons devenir un leader mondial dans ce domaine. »

Selon King, l’IA est particulièrement utile dans le processus d’identification musicale. « Watson peut regarder 700 000 pages Web par secondes », explique-t-il. « Nous avons appliqué la puissance de Watson à YouTube et aux contenus générés par les utilisateurs. Au départ, nous nous étions concentrés sur les paroles : Watson apprenait celles-ci et partait à la recherche de correspondances. Les résultats étaient satisfaisants. Ensuite, nous somme partis à la recherche de musique, de mélodies, et ainsi de suite, et Watson s’en est assez bien tiré. Mais lorsque l’on combine les deux fonctions, l’examen simultané des paroles et de la musique, les probabilités augmentent de beaucoup. Nous considérons donc l’IA comme une opportunité très intéressante afin d’émettre des licences et de monétiser les reprises de manière intelligente et non manuelle. Utiliser l’IA de cette manière pourrait véritablement transformer l’industrie. »

King ajoute que l’IA a d’autres débouchés positifs pour la SOCAN. « Nous pouvons utiliser cette capacité de traitement et la logique apprise afin d’identifier un artiste dont la carrière est sur le point de prendre son envol », explique-t-il. « Par exemple, dans notre expérience Watson, nous avons découvert que lorsqu’un artiste est mentionné dans les réseaux sociaux hors de leur code postal de résidence, il y a de bonnes chances qu’ils soient sur le point de voir quelque chose se produire. Nous utilisons des choses de ce genre pour nous aider dans nos efforts de recrutement, afin d’identifier des gens qui devraient faire partie de l’univers SOCAN. »

Le compositeur vancouvérois et professeur à la Simon Fraser University, Arne Eigenfeldt, s’est dédié à l’exploration de la métacréation (insuffler des comportements créatifs aux ordinateurs), et il est un expert sur la question des musebots, ou robots musicaux, qui sont des agents musicaux virtuels qui créent de la musique ensemble.

« La majorité de mes créations musicales des 10 dernières années ont utilisé l’IA d’une manière ou d’une autre, et je fais partie de la communauté mondiale de créativité computationnelle ainsi que de la communauté de métacréation musicale. Toutes deux se penchent sur l’automatisation du processus de création grâce au traitement informatique, en d’autres mots, “utiliser l’IA pour créer de l’Art”. Appelez ça de la “créativité artificielle”. Ou de la “créativité machine”. »

Arne Eigenfeldt, Simon Fraser University

Arne Eigenfeldt

Eigenfeldt croit que l’IA stimule la créativité et ne remplacera pas la création humaine.

« Les ordinateurs sont des outils pour les artistes, ils nous permettent de faire les choses bien plus simplement qu’auparavant. Des logiciels plus puissants installés sur ces machines nous permettront de faire les choses beaucoup plus rapidement, mais également de manière novatrice. Avant d’explorer l’IA dans la création musicale, j’avais l’impression de tourner en rond, créativement, utilisant les mêmes façons de travailler depuis des années. Maintenant, mon logiciel est un partenaire de création qui me permet de penser à la création musicale d’une manière que je n’aurais jamais pu imaginer. »

Il n’y a aucun doute que l’IA aura un profond impact dans le paysage de la création musicale. Et l’IA est également utilisée pour découvrir et recommander de la nouvelle musique et joue un rôle influent dans un monde de diffusion en continu dans lequel nous avons le choix entre des millions d’œuvres.

Un peu plus tôt cette année, Spotify a fait l’acquisition d’une « startup » en IA musicale, Niland, afin d’améliorer les découvertes musicales proposées par son système de recommandations. L’entreprise d’identification de données musicales Gracenote a également investi dans l’IA afin de mieux classifier les ambiances et les émotions des œuvres musicales.

L’IA pourrait déboucher sur une nouvelle ère d’analyse de données qui permettrait un suivi et un paiement amélioré des redevances pour tous les ayants droit. Elle pourrait révolutionner la manière dont nous surveillons des milliards de micro-transactions et d’échanges de données dans le monde numérique.

Mais pour toutes les promesses de ces nouveaux développements, l’IA n’est que la pointe de l’iceberg technologique qui entraînera d’autres bouleversements et avancées créatives au cours des prochaines années. Comme le dit Eigenfeldt, « notre notion de ce qu’est la créativité pourrait bien évoluer en raison de ces nouveaux outils, et si nous évoluons avec elle, notre art évoluera lui aussi. »