Hommage Richard Desjardins

Hommage Richard Desjardins

« Every song that I’ve ever heard / Is playing at the same time, it’s absurd » Ces paroles de la chanson « Everything Now » d’Arcade Fire représentent parfaitement l’état d’esprit du festivalier au lendemain des multiples concerts (officiels et surprises) de la 15e édition du Festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue qui se déroulait du 31 août au 3 septembre 2017 à Rouyn-Noranda (42 000 habitants), situé à 630 km au nord-ouest de Montréal. Mais commençons par la fin, si vous le voulez bien. Qui est en fait aussi le début. Vous comprendrez.

Au dernier jour du festival, la grande soirée de clôture était dédiée à un hommage au plus grand poète de la place, Richard Desjardins. À tour de rôle, la majorité des participants de l’album « Desjardins » sont venus sur l’immense scène installée carrément dans l’eau au bord de la plage Kiwanis pour interpréter ses classiques devant 12 000 de ses concitoyens… et devant Desjardins lui-même qui a transformé cette soirée déjà forte en émotion en moment mémorable par sa participation non annoncée à trois chansons à la fin du spectacle.

L’apothéose d’un hommage par la jeune génération (Klô Pelgag, Les sœurs Boulay, Fred Fortin, Safia Nolin, Émile Bilodeau, Bernard Adamus, Stéphane Lafleur d’Avec pas d’casque, Yann Perreau, Philippe B, Saratoga et Matiu), dans la ville natale du poète, en sa présence. Les précédentes représentations du spectacle intitulé « Desjardins, on l’aime-tu ? » aux FrancoFolies de Montréal et au Festival d’été de Québec n’auront finalement été que des répétitions générales avant la « vraie affaire ». Un grand moment.

 

Antoine Corriveau

Antoine Corriveau

Mais ce qui n’a pas tellement été souligné, c’est que la finale de cette 15e édition du FME renvoyait au spectacle de clôture de la toute première édition, en 2003, alors que Desjardins, fidèle à son imprévisibilité légendaire, avait manifesté le désir de se produire dans ce nouveau festival de « jeunes », créer par une poignée de passionnés de la région désirant faire découvrir aux leurs et aux amateurs de musique et professionnels d’ici et de l’extérieur du pays, la crème de l’émergence musicale. La fin qui nous ramenait au début, donc. La boucle était bouclée. Les festivaliers (incluant l’auteur de ces lignes), repus de musique et épuisés par les (très) courtes nuits légendaires du FME, pouvaient revenir tranquillement à la réalité, avec toutes ces mélodies entendues se confondant en boucles dans leurs esprits.

Mais comment un événement aux débuts modestes, s’est-il imposé, en si peu de temps ? Comment est-il devenu le centre d’attraction de la découverte musicale d’ici et d’ailleurs vers lequel non seulement les mélomanes des grands centres, mais aussi les artistes eux-mêmes veulent à tout prix converger chaque longue fin de semaine du congé de la fête du Travail ? Il n’y a qu’à demander à quelqu’un comme Antoine Corriveau, qui en était à sa 3e participation et qui a donné un spectacle particulièrement incarné et intense à l’Agora des Arts en plus d’une performance plus intime le lendemain midi au Parc Botanique À Fleur d’eau dans une ambiance champêtre parfaite pour des festivaliers en lendemains de veille…

Bien sûr, il y a l’accueil chaleureux des gens de l’Abitibi, il y a la fête, le charme d’une ville à échelle humaine, les fins de nuits au Bar des Chums (endroit pittoresque et authentique où la bière s’achète en gros format et où le Karaoké règne en roi). Mais il y a surtout une énergie positive palpable, résultante d’une implication généreuse de la communauté et du milieu des affaires de la région. Évidemment, il y a des commanditaires nationaux majeurs sans qui bien des ambitions du FME resteraient à l’état de fantasme (la SOCAN contribue également depuis plusieurs années), mais ce qui fait la différence, c’est le sentiment d’appartenance de toute une communauté pour un événement qui accumule les reconnaissances (plusieurs fois récipiendaire du Félix de l’événement de l’année à l’ADISQ) et fait rayonner leur coin de pays.

Ce qui fait qu’un auteur-compositeur-interprète originaire de Rouyn-Noranda comme Louis-Philippe Gingras ne fait pas qu’y présenter ses chansons, mais met la main à la pâte et joue de ses outils des jours avant l’événement pour que toutes les infrastructures soient prêtes à temps. Cette année, Gingras a performé dans la salle des Chevaliers de Colomb dans un des multiples 5 à 7 gratuits qui se déroulaient simultanément, mais il avait aussi, le matin même, offert un concert dans une résidence pour personnes âgées qui, elles aussi, voulaient profiter du FME. Difficile de faire plus communautaire…

Les shows-surprises sont un autre des éléments qui fait le charme du FME et qui vient pimenter une programmation déjà bien garnie. Réellement improvisés il y a quelques années déjà, les shows-surprises sont aujourd’hui attendus avec fébrilité par les festivaliers qui doivent rester à l’affût des notifications de dernière minute sur l’application mobile du FME.

Et, la plupart du temps, ces performances à la bonne franquette dans des lieux incongrus provoquent des moments carrément magiques qui surpassent parfois les spectacles officiels dans les anecdotes post-festival. Gageons que ce sera le cas de cette courte prestation offerte par le duo montréalais Heartstreets qui mêle rap, électropop, soul et R&B… et qui avaient le sourire fendu jusqu’aux oreilles, tout comme les spectateurs de ce moment privilégié d’adoption collective spontanée dans le stationnement de la Scène Paramount, où venait de se conclure un show rap impliquant des pointures comme Alaclair Ensemble, Lary Kidd, Eman & Vlooper et Mathew James, un gars de la place. Impressions récoltées auprès des deux filles de Heartstreets, tout de suite après le coup d’éclat :

Barry Paquin Roberge

Barry Paquin Roberge,

Le cas de Heartstreets illustre à merveille la capacité du FME à propager le buzz à propos d’artistes encore méconnus du public et des gens des médias et de l’industrie accrédités en grand nombre par un festival qui prend son rôle de développeur à cœur. La groupe rock de la Rive-Sud de Montréal Zen Bamboo, la formation Le Bleu, les originaux de Barry Paquin Roberge, et les finalistes des Francouvertes 2016 Mon Doux Saigneur, ont aussi su profiter de la rumeur positive les concernant.

À travers ce défilé de jeunes pousses, il était d’autant plus étonnant de repérer un vétéran de la trempe de Pierre Flynn, programmé en 5 à 7 au Club Chimo, qui est en réalité la salle de repos du 9e Escadron de génie de l’armée canadienne ! Mais quand on y regarde plus près, à presque chacune des éditions du FME, un « vétéran » reconnu pour sa démarche artistique inspirante est invité. Pour Pierre Flynn, qui a lui-même fait part de son intérêt à se produire au FME cette année, l’esprit « émergent » ne devrait pas être l’apanage des seuls jeunes artistes, mais plutôt accompagner la route sinueuse de la création de tout artiste désirant se renouveler constamment. Entrevue à quelques heures de son spectacle :

S’il y avait une évidence qui frappait lors de cette 15e édition, c’était la saturation dans la capacité des salles et des options d’hébergement. Difficile d’imaginer comment le FME pourrait accueillir davantage d’artistes et de festivalier (92 concerts, 31 lieux différents et 37 000 entrées cette année !). Selon son président et cofondateur visionnaire Sandy Boutin, la prochaine étape développement de l’événement se fera du côté de la création. Il chérit un projet de résidence d’artistes qui auraient carte blanche et les moyens de créer une proposition musicale inédite présentée au cours du festival. Rencontré au cours de la dernière journée de ce marathon, il jette un regard sur le passé, tente d’expliquer la recette du succès du FME et se projette dans l’avenir de ce qu’il est maintenant convenu de qualifier de « du plus grand des petits festivals au Québec ».

Visionnez le résumé du FME 2017 produit par l’équipe du festival: