Leurs chansons ne parlent peut-être pas de notre amour du hockey, de Sault-Ste-Marie ou de Bobcaygeon, mais KUNÉ est tout aussi authentiquement canadien que le « méchant vent des prairies » évoqué par The Tragically Hip dans la chanson « The Darkest One ».

Tandis que la carnation du Canada change rapidement, des fusions musicales aussi excitantes qu’impossibles à catégoriser sont créées dans nos centres urbains. Et il ne s’agit pas seulement de groupes comme So Long Seven, de Toronto, composé d’un guitariste, d’un mandoliniste, d’un violoniste, d’un banjoïste et d’un joueur de… tablas. On peut également penser à Jessie Reyez et Lido Pimienta, qui ont toutes deux des racines colombiennes et qui ont gagné un JUNO et le Prix Polaris, respectivement, pour leur musique sans compromis bien ancrée dans leurs traditions.

Voici donc KUNÉ – L’orchestre global du Canada, qui réside dans une classe à part.

Mervon Mehta

Mervon Mehta

Le Canada, et particulièrement Toronto, a déjà connu des super-groupes africains et cubains, mais jamais comme celui-ci où évoluent 12 musiciens virtuoses arrivés au Canada des quatre coins du monde et un Canadien métis dont les ancêtres y vivent depuis des siècles. Le groupe est l’idée de Mervon Mehta, directeur général des arts de la scène au Royal Conservatory of Music de Toronto et il a est devenu réalité en décembre 2016 sous la direction artistique de David Buchbinder.

En l’espace de deux ans, KUNÉ a signé un contrat de disque avec Universal Music Canada et une entente de gérance avec Opus 3 Artists, qui représente également de grands noms de la musique comme Yo-Yo Ma et son Silk Road Project, Roseanne Cash et Béla Fleck.

Musicalement, le groupe joue un intriguant amalgame de musiques du monde : « Cante a la Tierra » (« Song for the Earth »), par exemple, propose un savoureux mélange d’instrumentation africaine et de chants brésiliens, tandis que « Lahzeye Sokut » met en vedette le sitar d’Anwar Kurshid, le tar (un luth iranien à long manche) de Padideh Ahrarnejad, le flûtiste Lasso du Burkina Fasso, et Dora Wang à la flûte de bambou chinoise. La musique qui en résulte ne semble pas forcée et demeure totalement accessible et agréable, véritable testament de la virtuosité des membres de KUNÉ.

Mehta dit avoir eu l’inspiration de former KUNÉ lors des dernières élections fédérales lorsque l’ancien premier ministre, Stephen Harper, a utilisé l’expression « Canadiens de souche » (« old stock Canadians ») en réponse à une question concernant son soutien d’une couverture d’assurance maladie réduite pour les réfugiés. Comme bien des gens, Mehta a trouvé la déclaration de Harper déroutante et diviseuse.

« Je suis un immigrant arrivé ici en 1961 », dit-il. « Alors, je suis de souche ou pas ? Ça me situe où, ça situe mon enfant où, lui qui est issu d’un mélange d’ethnicités ? J’ai donc réfléchi et je me suis demandé ce que nous faisons vraiment, en tant que pays multiculturel, pour refléter cette diversité, que ce soit dans les salles de presse, les conseils d’administration ou sur scène. »

Alyssa Delbaere-Sawchuk

Alyssa Delbaere-Sawchuk (Photo: Kyle Burton)

La chanteuse et violoniste Métis Alyssa Delbaere-Sawchuk affirme que pour quelqu’un provenant de la tradition classique et qui a toujours été intéressée par les musiques traditionnelles de partout dans le monde, la chance de jouer avec KUNÉ arrivait à point nommé.

« Je cherchais une idée pour mon prochain projet et cette opportunité répondait à mon désir de collaborer et d’apprendre des autres traditions musicales du monde », explique-t-elle. « L’autre avantage était que je n’avais pas d’attentes et pas de pression pour réussir. »

Lorsqu’on lui demande ce qu’elle apporte à ce festin de musiques du monde, Delbaere-Sawchuk répond : « j’essaie toujours d’aller au-delà des notes et d’être présente sur scène. J’ai étudié avec plusieurs maîtres musiciens qui m’ont appris comment penser les harmonies et la tension, et c’est ce que je veux apporter dans ce cadre de musique traditionnelle. »

Le directeur artistique de KUNÉ, David Buchbinder, explique que lui et Mehta se relançaient des idées musicales depuis quelques années lorsque ce dernier lui a parlé de son rêve de mettre sur pied un orchestre canadien de musique globale.

« Quand Mervon m’a parlé de ce qu’il souhaitait faire, une des premières choses qu’il m’a dites c’est : “nous devons créer de la musique originale, car autrement nous allons nous retrouver avec 12 groupes médiocres composés d’une seule vedette par groupe” », se souvient en riant le trompettiste et compositeur primé. « Je crois que lorsque vous faites quelque chose d’original, vous exprimez la voix du compositeur. C’est très important pour moi. »

David Buchbinder

David Buchbinder

On pourrait être tenté d’imaginer Buchbinder et Mehta enfermant 12 compositeurs dans une grande pièce pendant des semaines avec une date butoir pour produire un album, mais ça ne s’est pas passé ainsi. « Il y a eu de longues discussions afin que tout le monde apprenne à se connaître lors de notre première rencontre, et David a fait un travail remarquable pour que nous nous sentions tous comme les membres d’une grande famille », raconte Delbaere-Sawchuk. « Des conflits sont inévitables lorsque vous réunissez 12 personnalités fortes, mais ça ne s’est pas produit. Nous sommes réellement comme une grande famille heureuse et unie. »

Buchbinder attribue la musique organique et sans frontière du groupe — qui est réellement à l’image de la mosaïque culturelle canadienne — à la confiance qui s’est établie entre les membres du groupe et l’esprit de famille décrit par Delbaere-Sawchuk.

Mais tout ça ne s’est toutefois pas produit du jour au lendemain, et c’est là que Buchbinder a élargi son rôle de directeur artistique. « Je forme des groupes depuis longtemps, et j’utilise une technique que j’ai développé qui implique de travailler avec les histoires des gens », explique-t-il. « On a discuté, chanté, mangé, on a même passé une journée à la ferme en plein milieu de l’hiver » raconte le musicien. « C’était magnifiquement canadien et nous avons tissé des liens solides. »

Pour tout émouvant que cela soit, on n’échappe pas au fait que créer de la musique pour un groupe de 12 musiciens représente un défi de taille. Les auditions pour trouver chacun des musiciens ont duré des mois durant lesquels plus de 150 candidats ont été entendus. Buchbinder raconte qu’il cherchait des réponses à quatre questions durant ces auditions : « Savez-vous jouer ? Pouvez-vous apprendre quelque chose, une composition jazz, par exemple, qui n’est pas de votre tradition musicale ? Pouvez-vous apprendre une pièce traditionnelle d’une autre culture ? Êtes-vous capable de travailler en équipe ? »

« À la fin de ce processus, nous savions qui seraient les bons candidats », se souvient-il. En raison de la taille du groupe, poursuit Buchbinder, c’était impossible d’effectuer le chemin entre l’écriture, les répétitions, l’enregistrement et les prestations de manière collective.

Durant tout ce processus, « certains d’entre eux écrivaient leurs pièces, mais avaient besoin d’aide pour les arrangements. D’autres arrangeaient leurs propres pièces. Les musiciens ont participé à des ateliers de composition et ils ont tous écouté les mélodies des autres. C’était une leçon sur la façon de passer de quelque chose de traditionnel à quelque chose d’unique. À mesure que les arrangements évoluaient, la question devenait “comment pouvons-nous continuer à peaufiner tout ça ?”

“Ils travaillent magnifiquement bien ensemble et nous sommes tous curieux de voir jusqu’où tout ça peut aller”, raconte-t-il.

Et Delbaere-Sawchuk d’ajouter : “Il y a tant de possibilités que nous n’avons pas encore explorées. J’ai très hâte à la prochaine phase de création.”

Les membres de KUNÉ
Padideh Ahrarnejad (Iran): Tar & Vocals
Sasha Boychouk (Ukraine): Woodwinds & flûtes ethniques ukrainien
Alyssa Delbaere-Sawchuk (Canada – Métis): Violon, Viola & Voix
Luis Deniz (Cuba): Saxophone
Anwar Khurshid (Pakistan): Sitar & Voix
Lasso (Salif Sanou) (Burkina Faso): Flûte fulani, N’goni, tambour parlant, DjembeDoum-Doum & Voix
Paco Luviano (Mexique): Basses acoustique & électrique
Aline Morales (Brésil): Percussion Brésilien & Voix
Demetrios Petsalakis (Grèce): OudLyra, guitares acoustique & électrique
Matias Recharte (Pérou): Cajón,  batterie & percussion
Selcuk Suna (Turquie): Clarinette
Dorjee Tsering (Tibet): Dranyen, Flûte, Piwang & Voix
Dora Wang (La Chine): Flûte bambou, flûte , Hulusi & Xiao

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La musique de KUNÉ