La création musicale n’est pas une activité dangereuse pour la santé, mais pour Kiesza, lauréate de trois JUNO, il a fallu apprendre à écouter sa tête et savoir quand prendre une pause après avoir subi un traumatisme crânien en 2017 quand son Uber a été percuté par un autre taxi. « Écrire le texte d’une chanson est exigeant pour notre cerveau », affirme-t-elle.

« Ce qui est étrange à propos des traumatismes crâniens, c’est qu’on fait des pas en avant, mais aussi des pas en arrière. J’ai souvent l’impression d’avoir surmonté un nouvel obstacle et paf ! je fais une rechute. Je ne m’effondre pas aussi souvent qu’avant, mais la semaine dernière, je me suis effondrée pendant toute une semaine. »

Kiesza — née Kiesa Ellestad à Calgary et désormais établie à Toronto — vient tout juste de lancer Crave (le 14 août), un deuxième album très attendu qui fait suite à Sound of a Woman (2014). Cet album, qui s’est écoulé à plus d’un million d’exemplaires, contenait l’immense succès « Hideaway » — avec ses relents des années 80 — qui aujourd’hui compte près d’un demi milliard de visionnements uniquement sur YouTube. Ce nouvel album n’est pas rempli de chansons sur la guérison, la santé ou les défis de la vie. En fait, si vous n’étiez pas au courant de l’accident qui a causé un arrêt total des impulsions électriques aux nerfs d’un côté de son cerveau, vous auriez l’impression que ces nouvelles chansons dance pop sont la suite logique de l’album qui l’a lancée il y a six ans.

« Je n’étais pas prête à revenir sur tout ce que je venais de vivre », dit Kiesza. « Ç’a été une période extrêmement sombre et il a carrément fallu que je sorte d’un immense trou pour enfin revoir la lumière. Ç’a été très difficile. Je n’ai jamais vécu quoi que ce soit d’aussi difficile. Quand je me suis enfin retrouvée dans un espace où je me suis sentie prête à me lancer de nouveau, je n’étais pas prête à revenir sur tout ça. Je voulais une énergie positive, à plus forte raison avec la pandémie que nous vivons. Je trouvais que le monde avait besoin de ça. J’ai donc choisi de faire un album vraiment entraînant et super positif. »

« Honnêtement, et de plus d’une façon, mon écriture est beaucoup plus solide »

« “Love Never Dies” est probablement la chanson sur laquelle vous vous approchez le plus de commencer à gratter la surface de tout ce qui m’est arrivé », dit-elle au sujet de l’avant-dernière pièce sur Crave, une puissante ballade qui serait parfaitement à l’aise comme chanson thème d’un film de James Bond. « Y’en a d’autres qui viendront. Il faut que je creuse dans cette profondeur, cette douleur et ces émotions. C’est un gros travail. Je me sens submergée. Je suis encore en convalescence et le stress ou encore ce sentiment d’être submergée causant carrément des rechutes. Donc même physiquement, ce n’est pas encore un espace que je peux revisiter. »

Collaboration en caution
Durant sa convalescence, Kiesza choisissait ses collaborations avec soin et elle a écrit pour Rihanna et Jennifer Hudson en plus de travailler avec Duran Duran, Skrillex, Pitbull et Diplo, sans parler de toutes les autres collaborations pour ses propres chansons. Sauf que maintenant, écrire pour d’autres artistes implique des règles qui n’existaient pas avant son accident : interdit de fumer, notamment. Elle a collaboré avec un bon nombre d’interprètes et de rappeurs de Toronto. « Je suis obligée de dire à tout le monde qu’ils ne peuvent pas fumer de pot », dit-elle en riant. « Normalement ça ne me dérangeait pas. Je ne prends aucune drogue, mais je suis très stricte. Mon cerveau ne tolère aucune fumée. » Et même si elle écrit encore très rapidement — « même aujourd’hui, je suis plus rapide que la plupart des auteurs » —, se concentrer sur l’écriture d’un texte peut provoquer des maux de tête, ce qui exige de ses collaborateurs de faire preuve de patience et de compréhension. « Il faut parfois que je dise aux gens quand ma tête fait mal et que je suis trop fatiguée et qu’on va devoir continuer une autre fois. Ou je leur dis simplement que je n’arrive plus à écrire parce que j’ai trop mal à la tête. Dans ce temps-là, je préfère continuer seule puis revenir pour l’enregistrement. »

Ce matériel sera « compartimenté », comme elle le dit, sur son prochain album. « Honnêtement, et de plus d’une façon, mon écriture est beaucoup plus solide parce que ce qui m’est arrivé a débloqué plein de choses qui m’habitaient pendant ma guérison », confie l’artiste. « Mes textes ont évolué. J’ai commencé à écrire des trucs vraiment plus personnels qui remontent à mon enfance. J’ai exprimé autant de vérités intérieures que je pouvais, j’ai extériorisé des trucs au sujet de mon corps et de mon âme sur tout support à portée de la main, que ce soit du papier ou une tablette. J’ai beaucoup de travail de déchiffrage à faire pour comprendre tout ça. »

« Le prochain album aura un son et une atmosphère différente. Ça me plaît, parce que je choisis mes listes d’écoute en fonction de mon humeur. J’approche mes albums de la même façon. J’ai des chansons folk acoustiques. Comment est-ce que je vais sortir un album de musique à la guitare après Crave ? Je vais le faire, c’est tout. Ça pourrait confondre certaines personnes, mais c’est important pour moi de m’assurer de sortir tout ça, parce que si je ne le fais pas, les gens ne me connaîtront pas vraiment. »

Elle affirme créer dans « tellement de genres musicaux ». Son tout premier album, écrit et lancé pendant son deuxième semestre au Selkirk College de Nelson, en Colombie-Britannique, à l’aide d’une bourse qu’elle a gagnée dans une nouvelle (à l’époque) station de radio de Calgary, était « très éparpillé et expérimental », comme elle l’avait expliqué à la SOCAN en 2014. « Il y a des chansons orchestrales, une chanson avec un “big band” jazz, une chanson funky, une chanson country qui devient gospel, et même du soft rock aux accents soul. »

Cette aptitude pour s’adapter lui a permis d’écrire pour une vaste palette d’artistes en plus de lui permettre de se révéler un peu plus. « Les gens qui travaillent avec moi sont souvent un peu confus, mais j’accepte totalement ce côté de moi », affirme-t-elle. « C’est ce qui me rend unique, cette capacité de passer d’un genre à l’autre. J’essaie donc de trouver des façons de combiner tous ces styles d’écritures où je me sens à l’aise. »

« Je veux des fans qui me suivront toute la vie, ça, c’est sûr. C’est pour ça que c’est si important pour moi de m’assurer que ma musique est le reflet de tout ce que je suis. »