Kae Sun a déjà chanté en pidgin sur des rythmes tendance afro-beat, mais aujourd’hui, c’est le monde en constante évolution du r&b qui occupe ses pensées. L’auteur-compositeur-interprète montréalais né à Accra, capitale du Ghana, a lancé en février dernier l’envoûtant mini-album Midnight and Other Endings sur lequel il poursuit ce virage en direction d’un r&b moderne et exploratoire, amorcé sur son précédent album, Whoever Comes Knocking, paru en 2018 sur le label Moonshine. « C’est le côté abstrait, impressionniste, de l’écriture de chansons qui m’intéresse aujourd’hui », nous explique le musicien.

Le r&b en mutation est un terreau fertile pour le compositeur, qui s’inscrit dans le sillon des têtes chercheuses Moses Sumney, serpentwithfeet et, dans une autre mesure, Frank Ocean. Ces comparaisons, acquiesce Kae Sun (né Kwaku Darko Mensah-Jnr.), ont l’avantage de délimiter ses choix esthétiques : « Y’a cette qualité que je retrouve chez ces artistes – particulièrement chez Frank Ocean – qui touche à leur manière d’écrire des chansons. Ça m’intéresse parce que j’ai étudié l’écriture, la poésie. Ils ont une manière singulière de lier les mots et la musique; avant, dans mon travail, j’avais tendance à dire les choses plus directement, tout en essayant d’être lyrique. Mais on note aujourd’hui l’émergence d’une nouvelle génération de compositeurs r&b qui s’intéresse autrement à la poésie, et je trouve ça très intéressant. »

Reçu au Canada à l’adolescence comme étudiant international, Kae Sun a commencé à composer et produire sa propre musique à la fin de ses études, alors établi à Toronto – sa famille a depuis quitté le Ghana pour s’établir dans la région d’Atlanta. Sur ses précédentes parutions, la soul rencontrait le folk, la pop, le reggae et, occasionnellement, les rythmes de son pays d’origine. « Ce n’est que plus récemment que je me suis tourné vers le r&b, mais je dirais qu’il reste toujours un peu de l’influence du Ghana en filigrane de ma musique – et par ailleurs, la culture musicale est si riche au Ghana qu’elle ne peut que laisser des traces dans ce que je fais, sans avoir à insister. Ces influences sont plus subtiles, plus directes. »

Kae Sun, en ce sens, est le produit de son environnement sonore. Enfant, il a été marqué autant par la pop américaine et britannique qui tournait à la radio que par le gospel (à la manière, bien distincte, d’Accra) et, inévitablement, par le high-life, cette fusion du jazz et des rythmes traditionnels ghanéens apparue au milieu du XXe siècle dont l’influence, même à l’époque, a grandement traversé les frontières du pays – l’afro-beat nigérian est d’ailleurs largement tributaire du son du Ghana; une version moderne, plus pop-reggae-funk née auprès de la diaspora ghanéenne en Allemagne qu’on a baptisée le « burger-high-life », tournait aussi abondamment dans la radio des souvenirs de Kae Sun.

L’autre ingrédient musical formateur du musicien lui a été transmis par son père, grand amateur de soul et collectionneur de disques. « Stevie [Wonder], Marvin [Gaye], les Ohio Players, tous ces disques jouaient à la maison. J’ai des goûts musicaux éclectiques! », abonde le musicien qui compose à la maison, dans son petit home studio, souvent à partir d’idées trouvées à la guitare, son premier instrument.

« La mélodie vient toujours en premier, ensuite je trouve les mots, explique Kwaku. Parce que parfois, t’as beau avoir les plus beaux mots, ils auront toujours besoin d’une bonne musique – à mon sens, c’est toujours la mélodie qui dirige la chanson. Parfois aussi, je vais écouter un truc que quelqu’un a composé, un beat, et je prends des notes. J’essaie de trouver des pistes de mélodies qui pourraient s’y attacher. »

S’il a beaucoup composé et réalisé ses premiers projets, pour Midnight and Other Endings, Kae Sun s’est tourné vers ses collaborateurs montréalais, en premier lieu le beakmaker Yama//Sato : « Pour ce projet, je cherchais à atteindre un son plus lent, plus coulant, plus brumeux, justifie-t-il. Yama//Sato fait ce type de production, très atmosphérique » qui va comme un gant à la voix fine du musicien et à ses tendres chansons. Sur ce mini-album, « mes chansons parlent du désir, le désir d’intimité, bien sûr, mais aussi d’avoir un chez-soi, d’un port d’attache. J’ai beaucoup bougé ces dernières années, alors je voulais exprimer cette envie d’une place à soi, cette envie d’aimer et d’être aimé ».

Au moment de quitter Toronto il y a quelques années, une ville où la scène r&b est clairement plus valorisée qu’à Montréal, « il y avait plein de trucs intéressants qui s’y passaient – en tous cas sur le point de vue de l’industrie de la musique, estime Kae Sun. Mais je crois que pour un artiste, un créateur, il faut pouvoir s’extraire de l’industrie. Sur le plan créatif, je me sens plus à l’aise à Montréal; la scène culturelle ici est tellement stimulante, il y a tellement de bons musiciens, de bons créateurs, des talents provenant de différents horizons – des designers, des artistes visuels, des réalisateurs, etc. Oui, Toronto a le vent dans les voiles en ce moment, mais la scène est très « cut throat » (coupe-gorge). J’ai le sentiment que pour revenir à la création, Montréal est le bon endroit pour moi. »