« Trop à perdre, mais j’suis prêt à tout miser », proclame Imposs au tout début de son troisième album, Élévaziiion (société distincte). Vingt ans après avoir essentiellement dit le contraire au sein de Muzion (sur la chanson Rien à perdre), le bâtisseur du rap québécois nous fait part d’une révélatrice évolution à travers cette phrase d’ouverture.

Imposs« La différence entre moi à l’époque et moi maintenant, c’est que je suis plus accompli et plus équilibré comme personne. J’ai une famille, je vis quand même bien, je suis heureux… Bref, j’en ai beaucoup plus à perdre qu’avant, mais j’y vais quand même à fond », explique le charismatique rappeur au téléphone. « Je suis convaincu de mon potentiel et, surtout, je le fais pas pour avoir la validation ou l’approbation des autres. J’ai quelque chose à amener sur la table. »

Huit ans séparent ce troisième album de son prédécesseur, Peacetolet, qui avait connu un succès en demi-teinte. À l’époque, le rap québécois sortait à peine la tête de l’eau après une période plus sombre, sans grand coup d’éclat. « C’était mort dans le hip-hop », tranche-t-il. « On transitionnait vers le streaming, personne savait où tout ça s’en allait. Je manquais de motivation [pour continuer]. »

Imposs est donc retourné à New York aux côtés de son bon ami et confrère haïtien Wyclef Jean pour enchaîner les contrats de publicité à titre de rappeur, parolier et réalisateur. « Ça roulait là-bas », raconte celui qui avait auparavant collaboré avec le membre des Fugees sur la chanson 24 heures à vivre. « À côté de ça, je faisais des contrats d’écriture et de réalisation au Québec, notamment pour Vrak et Ubisoft. Pendant trois ou quatre ans, j’ai pas vu le temps passer. Je suis entré dans l’engrenage et je faisais juste accepter tout ce qui se passait. Le seul problème là-dedans, c’est que je travaillais pas pour moi, mais bien pour d’autres. J’étais sous le radar. »

Puis est arrivée la naissance de sa fille, Nayla, qui a tout chamboulé ses plans de carrière. « J’ai dû faire un choix : je continue à ce rythme de fou ou j’essaie d’être le plus présent possible pour elle. Pendant un moment, j’ai essayé de jongler avec les deux, mais c’était impossible. Ça allait me rendre malade », confie-t-il.

« J’avais aucun plan précis pour revenir dans la musique, mais tranquillement, j’ai senti l’inspiration revenir. Le fait d’être obligé de me poser, ça m’a amené vers une introspection. Et c’est là que j’ai compris que, parfois tu penses que tu es en train de gagner, mais dans le fond, t’es en train de perdre. Tu veux tellement toujours aller chercher plus que tu perds toute ton énergie. Oui, ta business roule, mais tu n’as aucun temps pour les gens autour de toi. Moi, avant sa naissance, j’étais à fond dans la machine et je vivais juste pour travailler. Je ne dormais plus, je faisais de l’anxiété… À partir de là, j’ai choisi un chemin plus centré et plus efficace pour canaliser mes énergies. »

La musique l’a rattrapé au tournant de ces réflexions, quelque part en 2016. Devant la revitalisation de la scène rap québécoise et sa plus grande visibilité auprès des médias et de l’industrie, Imposs a compris que l’eau avait coulé ses ponts depuis cette période plus obscure du tournant de la décennie. « De voir tout ce talent, ça a été ma plus grosse surprise. Il y avait pas un ou deux artistes qui étaient bons comme en 2007, mais des dizaines et des dizaines. »

Encore une fois, le rappeur s’est retrouvé devant un dilemme: « Soit que je fais ce que tout le monde fait, mais en mieux… Soit que je fais quelque chose que personne n’a encore fait. » Et avec le riche bagage musical et humain qu’il traîne, Imposs n’a pas eu à creuser bien loin pour amener quelque chose de nouveau sur la table du rap québécois. Il n’avait qu’à mettre sur papier son foisonnant parcours et témoigner des 25 dernières années qu’il a passées à représenter et défendre cette scène qui lui est si chère. Comme un pont entre les époques.

Réaliste, le défi lui aura finalement monopolisé quatre ans de sa vie. « J’ai écrit et enregistré une centaine de tracks. Ça a été le plus gros casse-tête de ma vie », admet-il.

À ses côtés depuis 2017, l’équipe de Joy Ride Records l’a aidé à faire le tri dans toutes ces chansons, à l’instar de plusieurs amis de longue date comme Blaz, Dramatik et sa sœur Jenny Salgado. « Tout le monde avait son opinion. J’ai dû en prendre et en laisser. Puis, je me suis retiré et j’ai pris le temps de méditer là-dessus », dit le rappeur originaire du quartier Saint-Michel « J’ai choisi de revenir à la source et de montrer mon évolution, mon élévation. Y’a plein de gens qui viennent d’où je viens et qui ne voient aucune possibilité de grandir ou de s’émanciper. Je voulais leur montrer qu’on peut le faire, tout en restant intègre. »

Pour arrimer le fond à la forme, Imposs a fait confiance à une vingtaine de producteurs doués comme Major, Banx & Ranx, Ruffsound, Odious Love, Farfadet et Alain Legagneur, qui lui ont bâti une riche et vibrante charpente, empruntant autant aux racines boom-bap new-yorkaises (Daisy) qu’aux plus récentes évolutions du trap (Gaillance).

En ressort un album aux allures de bilan pour le rappeur qui vient tout juste d’avoir 40 ans. « Je dirais plus rétrospection », précise-t-il, dévoilant un habile mot-valise regroupant « rétrospective » et « introspection ». Car, c’est vrai, Élévaziiion (société distincte) n’est pas juste un simple C.V. rappelant les accomplissements de son auteur, mais aussi un témoignage sincère des émotions qui l’habitent. « Je voulais pas juste laisser mon ego parler. Je voulais aussi montrer ma vulnérabilité. J’ai voulu dire que, des fois, j’aurais pu faire mieux. Je voulais admettre certains torts. »

À travers certaines chansons plus engagées comme Jaco et J’ai essayé, Imposs a aussi cherché à s’insérer dans la discussion sociale. La « société distincte » à laquelle il fait référence, c’est autant le Québec comme seul bastion francophone en Amérique du Nord que Saint-Michel comme incarnation de la position marginalisée des ghettos

« Je viens d’un milieu complètement distinct, que les gens connaissent à peine. En tant que personne marginalisée, c’est mon droit et même mon devoir de prendre position. Mais je le fais à ma manière, en voulant rassembler les gens. Je m’adresse au monde entier au lieu de parler juste aux gens de mon quartier. »