Habituellement, il y a les auteurs-compositeurs-interprètes d’un côté, les interprètes de l’autre, et les auteurs ou compositeurs au milieu. Parfois, tout ce beau monde se mélange, au bénéfice d’un répertoire qui s’enrichit de la force créatrice collective de ses acteurs. Comme c’est le cas pour le répertoire d’Hugo Lapointe, responsable de quatre albums en 10 ans, dont les deux derniers ont été concoctés avec l’aide de collaborateurs d’expérience comme Daniel Boucher, Luc De Larochellière, Daniel Lavoie, Jamil ou Lynda Lemay, pour son précédent effort homonyme en 2010, et de Térez Montcalm, Maryse Letarte, Edgar Bori, les deux Alexandre (Poulin et Belliard), et encore Boucher et Jamil pour son plus récent album, La Suite, paru fin 2013.

Alors qu’il avait tout composé seul pour ses deux premiers albums (Célibataire en 2004 et La trentaine en 2007), Hugo Lapointe a donc pris le chemin contraire de bien des artistes qui débutent leur carrière en se faisant aider, avant de voler de leurs propres ailes. Perte de confiance ? Manque d’inspiration ? Besoin d’aller voir ailleurs?

« J’avais définitivement besoin d’aller voir ailleurs, » me rassure Hugo Lapointe de sa voix légèrement moins rocailleuse que celle de son frère Éric, mais dont il ne peut éviter les intonations familiales. « Au départ, j’étais d’abord un interprète des chansons des autres. C’était ça mon école. Mais c’est devenu rapidement évident que si je voulais faire ma place dans le milieu, il était important que je présente du matériel original. J’ai donc décidé d’ajouter la corde de la composition à mon arc. Après mes deux premiers albums, j’ai eu envie d’explorer des avenues que je n’aurais peut-être pas empruntées si je m’étais moi-même chargé de l’écriture. » 

« C’est toujours un aspect délicat de jouer dans le texte de quelqu’un d’autre. »

Puis, Hugo avoue tout de même avoir ressenti un certain soulagement dans le fait de pouvoir s’appuyer sur la plume des autres : « Ce serait mentir que de dire que ça ne m’a pas aidé à alléger ma tâche, à m’enlever un certain poids de mes épaules… Le fait d’avoir de l’aide extérieure m’a permis aussi de m’impliquer davantage dans le processus d’enregistrement. Avant, j’avais la tête plongée dans les textes jusqu’à ce qu’on éteigne la console et qu’on mette la clé dans la porte du studio… J’étais trop absorbé par cet aspect au détriment du reste. »

Pour l’aider à se constituer une douzaine de chansons (dont quelques-unes écrites par lui-même), il n’a pas hésité à partir à la chasse aux mots et aux musiques, et à s’adapter au fur et à mesure des rencontres : « Pour la plupart, c’était des chansons clé en main! Avec d’autres comme Bori et Jamil, je me suis occupé des musiques. Par exemple, pour “Te retrouver”, la chanson de Bori, je lui ai fourni une musique que je trainais depuis cinq ans, sans pouvoir trouver les mots qui lui convenaient! Pour la chanson de Jamil, “Moi j’suis qui?”, c’était plus un work in progress à distance. Je lui envoyais ma musique, il me renvoyait des paroles. On a fait plusieurs aller-retour comme ça! »

Il continue : « Mais même lorsque c’était clé en main, il y avait toujours moyen de rectifier le tir en collaboration avec l’auteur si jamais il y avait un passage du texte qui me collait moins à la peau. » Pour Hugo Lapointe, cette nécessaire ouverture dans la collaboration est une chose qu’il faut établir dès le début de la relation avec un auteur pour éviter les malaises en cours de route. « C’est toujours un aspect délicat de jouer dans le texte de quelqu’un d’autre, mais j’ai eu la chance de collaborer avec des auteurs d’une générosité incalculable. »

Une générosité dont il n’a pas hésité à abuser lorsque la magie opérait particulièrement. Comme avec Maryse Letarte qui signe à elle seule trois chansons (« Soleil couchant », « Mon grand air » et « Valse d’ici ») et Térez Montcalm qui en a commis deux (« Complice » et « Inconsolable »). Considérant le côté très « gars » d’Hugo Lapointe, ce choix de plumes féminines peut surprendre. Pour le principal intéressé, ces collaborations ont fini par tomber sous le sens : « Au départ, je pensais que ce serait plus laborieux de travailler avec les textes d’une fille, mais en fin de compte, qui de mieux qu’une femme pour savoir ce que les femmes veulent entendre? Et on s’entend qu’en grande partie, mon public est féminin… »

Hugo Lapointe raconte d’ailleurs : « Après avoir reçu la première chanson de Maryse, on a osé lui en demander d’autres et à chaque fois elle tombait pile sur les sentiments que j’avais envie de véhiculer! Même chose pour Térez qui a su trouver les mots pour exprimer la relation que j’entretiens avec la musique sur “Complice”. »

Cette façon de proposer des thèmes aux auteurs invités s’est répétée au gré des rencontres. Pour la chanson « L’incendie », Alexandre Poulin a été inspiré par les motivations d’Hugo dans son rôle de porte-parole de la Maison Carignan, un centre de thérapie de Trois-Rivières pour se défaire de la dépendance à l’alcool. Daniel Boucher, lui, a accroché à une anecdote d’Hugo, qui dit que dans la vie de tous les jours, les gens ne le reconnaissent pas d’emblée. « Lorsqu’il m’est arrivé avec “Tu l’sais même pas”, c’était presque mot-à-mot un condensé des histoires que je lui avais racontées! »

« Au départ, quand je reçois une pièce, je l’apprends telle qu’on me l’a envoyée, explique Hugo Lapointe. Une fois que c’est fait, je la laisse mûrir dans ma tête un certain temps, quelques semaines ou même quelques mois sans écouter la version originale. Et après, je recommence tout du début, comme si c’était ma propre chanson, sans penser à la version originale. Ça me permet de la mettre à ma sauce. »

Mais en faisant appel à d’autres, est-ce que l’auteur-compositeur qu’est aussi Hugo Lapointe ne se coupe pas de certains revenus de droits d’auteurs ? Est-ce que le jeu en vaut la chandelle dans une industrie qui peine de plus en plus à trouver des sources de revenus? « Peut-être… Mais, en revanche, ces pièces qui s’ajoutent à mon répertoire me permettent aussi de toucher un public plus large, de me produire sur scène peut-être davantage et donc, potentiellement, de générer des revenus supplémentaires. Mais juste la chance d’avoir pu rencontrer et travailler avec ces artistes-là, d’avoir pu chanter des chansons inédites de leur cru, je pense que toute la paye, elle est là. Je me considère privilégié. »