Thor Simonsen, est en mission.

Le propriétaire du label « solutions complètes » Hitmakerz basé à Iqaluit est déterminé à aider les musiciens et interprètes du Nunavut à se bâtir des carrières durables grâce à de nombreuses initiatives.

Un de ses programmes, Arctic Hitmakerz, permet à un collectif de musiciens du Nunavut de visiter les communautés nordiques les plus éloignées du plus vaste territoire canadien — la plupart du temps dans des écoles — afin d’y présenter des ateliers sur la création musicale, l’enregistrement et l’instrumentation.

« Notre programme est conçu pour être offert durant un long week-end », explique Simonsen. « Habituellement, nous donnons un concert le vendredi soir, puis samedi et dimanche on présente nos ateliers. Dans certaines communautés, on présente également un spectacle où les étudiants présentent les chansons qu’ils ont écrites. »

« Les commentaires qu’on reçoit sont incroyablement positifs. » — Thor Simonsen de Hitmakerz

Mais là où Arctic Hitmakerz excelle vraiment c’est que l’équipement qu’ils apportent avec eux — ordinateur portable, microphone, casque d’écoute et un clavier MIDI — reste sur place après leur départ, permettant ainsi aux étudiants de continuer à explorer et à s’exprimer.

« On leur apprend comment s’en servir pour qu’ils puissent s’enregistrer eux-mêmes et poursuivre leur apprentissage », explique Simonsen. « On fournit également une équipe d’instructeurs inuits, la plupart du temps des artistes du Nunavut déjà établis. On a reçu Kelly Fraser et Angela Amarualik qui ont chanté et donné une conférence à Inuktitut. »

En 2019, Hitmakerz a visité des milliers de personnes dans une douzaine de communautés éloignées, et la réception a été phénoménale, selon Simonsen. « Les commentaires qu’on reçoit de notre communauté sont incroyablement positifs », dit-il. « Dans la majorité des communautés, il y a des écoles qui ont un programme musical, mais il y a clairement un manque de ressources, d’instruments et particulièrement d’équipement d’enregistrement. C’est comme ça qu’on a réalisé qu’on peut apporter une grande valeur en offrant à chaque communauté un petit studio portatif. »

Le Nunavut, un territoire de 1 877 millions de kilomètres carré que se partagent 35 000 habitants, doit surmonter des défis considérablement plus grands que la plupart des communautés, particulièrement au chapitre du développement de carrière. Même dans la capitale, Iqaluit, il n’y a pas de grande salle de spectacle, et c’est sans parler du coût de la vie incroyablement élevé qui fait que même un simple contenant de jus d’orange coûte 27 $.

Angela Amarualik, Hitmakerz

Angela Amarualik

« C’est difficile de se bâtir une carrière durable », reconnaît Simonsen. « Le coût des déplacements est très prohibitif. C’est très cher de voyager dans le Grand Nord. Les déplacements et l’hébergement représentent la quasi-totalité de notre budget, c’est réellement un défi de présenter ces ateliers. »

La distance est un autre obstacle. « Le Nunavut est la plus vaste région du Canada et on a seulement visité trois de ses régions à date », poursuit Simonsen en ajoutant que c’est généralement le gouvernement fédéral et d’autres organisations qui le financent. « On a visité 13 communautés et en général, pour présenter un atelier, on doit voyager de deux à six heures au nord d’Iqaluit, et Iqaluit même est à trois heures d’avion au nord d’Ottawa. »

Les résultats parlent d’eux-mêmes, et Angela Amarualik, une auteure-compositrice-interprète originaire d’Iglulik. « Angela étudiait à Iqaluit quand on a commencé en 2017. Elle utilisait le studio et prenait nos ateliers de création très au sérieux. Moins de deux ans plus tard, elle a lancé son premier album éponyme et a reçu trois mises en nomination aux Indigenous Music Awards. Elle anime un autre atelier pour une autre compagnie maintenant et elle donne des spectacles partout au Canada. C’est marquant pour nous qu’elle revienne chez Hitmakerz en tant qu’instructrice. Elle transmet son savoir aux plus jeunes et les inspire par l’exemple. »

En tant que label, Hitmakerz a récemment lancé Ajungi (prononcé ail-U-ni), une impressionnante compilation de 12 pièces par des artistes nunavummiuq (le nom des habitants du Nunavut) dont Aocelyn, FXCKMR, Kelly Fraser, Angela Amarualik, Stuart Qiyuk et d’autres.

« Ajungi est le prolongement du travail que nous accomplissons à travers nos ateliers », affirme Simonsen. « Ce qu’on constate, c’est qu’il y a un immense bassin de talent dont le reste du Canada n’a jamais entendu parler, et parce que nous sommes en mesure de leur offrir un accès à des studios et qu’on les inspire à prendre l’initiative et à bâtir leur carrière, on a réussi à lancer cet album d’artistes des quatre coins du Nunavut. »

« On les a mis sous contrat et ils sont venus à notre studio d’Iqaluit pour une production, un mixage et un matriçage de calibre professionnel, et je crois que le résultat saura plaire à l’auditoire du sud. Chanter et raconter nos histoires à nos compatriotes du Nunavut est une chose, mais c’en est une autre de communiquer ces idées, ces sentiments et ces histoires au reste du Canada et au monde entier. »

L’album propose des étincelles électroniques et hip-hop de la vie au Nunavut telle que perçue par leurs créateurs et une partie des recettes sera versée au Kamatsiaqtut Nunavut Helpline, une ligne téléphonique d’assistance en santé mentale. « C’était important pour nous de donner à la ligne d’assistance, car plusieurs des pièces abordent la santé mentale, qui est une problématique sérieuse dans le Grand Nord », explique Simonsen.

L’ampleur du problème est devenue on ne peut plus évidente quand Hitmakerz a appris la tragique nouvelle que Kelly Fraser, qui avait été en nomination pour l’album de musique autochtone de l’année au JUNO 2018 pour son deuxième album intitulé Sedna, s’était enlevé la vie la veille de Noël dans sa demeure de Winnipeg à l’âge de 26 ans. Son importance pour la scène musicale du Nunavut était telle que même le New York Times a publié un article sur sa mort.

Pour Simonsen, Fraser était « une membre importante de notre équipe. On ne serait pas où on est rendus aujourd’hui sans elle. Hitmakerz a essentiellement vu le jour grâce à la production de son album Sedna. Elle laisse un immense vide dans la scène musicale inuite. On espère pouvoir continuer le travail qu’elle a entrepris, c’est-à-dire d’inspirer les jeunes inuits et de les aider à poursuivre leurs rêves. »

Parlant de rêves, Simonsen affirme que l’objectif de Hitmakerz est de remporter quelques prix Grammy pour le Nunavut. « On veut élargir notre équipe, professionnaliser notre travail et arriver à réellement monnayer cette musique afin que nos artistes puissent en vivre. »