Si John Alexander n’avait connu qu’une seule réussite dans sa carrière s’étalant sur plusieurs décennies – offrir un contrat à Alanis Morissette et jouer un rôle clé dans la parution de son album marquant, Jagged Little Pill – ça aurait été suffisant pour confirmer sa position dans l’histoire de l’industrie.

John Alexander, Aerosmith

John Alexander (en bas) avec Steven Tyler et Joe Perry d’Aerosmith (left/gauche).

Mais tout au long de sa longue et fructueuse carrière d’artiste, de gérant, de son travail pour des maisons de disque, en édition, en droits d’exécution et, désormais, en tant que consultant, la vision de John Alexander a connu de nombreuses réussites grâce à son sens aigü des affaires.

« J’ai toujours réussi à négocier des ententes bénéfiques et équitables, des spectacles, des contrats de disque et des ententes d’édition pour mes artistes », confie Alexander, dont la carrière a commencé vers le milieu des années 70 alors que, sous le nom de John Pulkkinen, il était le chanteur du groupe pop Octavian, un septuor d’Ottawa connu pour ses succès « Good Feelin’ (To Know) » et « Round and Round ». Le groupe a lancé un seul album intitulé Simple Kinda People.

« J’étais enseignant à l’époque », se souvient-il. « Lorsqu’on nous a offert ce contrat, j’ai dit à mes parents, à leur grand dam, que j’allais quitter l’enseignement pour faire carrière dans le rock. Ils n’étaient pas très heureux, jusqu’à ce qu’ils m’entendent à la radio ; là ils m’ont dit que c’était cool. »

Octavian est parti en tournée d’un océan à l’autre, mais le groupe s’est séparé en 1979. Alexander s’est associé au bassiste Terry McKeown pour fonder Alexander/McKeown Management qui représentait des artistes signés chez Warner dont notamment David Roberts and the Teddy Boys, l’auteure-compositrice-interprète montréalaise Luba et les rockeurs torontois Sheriff, qui signeront éventuellement tous deux chez Capitol. C’est sous la gouverne d’Alexander que Sheriff a enregistré « When I’m With You », une chanson qui, contre toute attente, atteindra la sommet du Billboard Hot 100 en 1989, quatre ans après la dissolution du groupe.

« Nous avons envoyé Jagged Little Pill à toutes les maisons de disque américaines et canadiennes, incluant MCA. Elles l’ont toutes refusé. »

John Alexander, Alanis, Ringo

John Alexander avec Alanis et Ringo.

Mais sa plus grande réussite était encore à venir. MCA Records l’a invité à diriger sa division A&R canadienne et c’est alors qu’il a reçu un démo sur cassette d’une jeune artiste d’Ottawa qui voulait faire carrière en musique. « J’ai reçu une cassette d’Alanis alors qu’elle n’avait que 10 ans, elle chantait une chanson intitulée « Fate Stay with Me » », se souvient Alexander. « J’aimais sa voix, mais j’étais si nouveau dans le monde du A&R que je me suis dit que si je signais une fillette de 10 ans originaire de la même ville que moi, je ne serais pas dans le domaine du A&R bien longtemps. Il a fallu quatre autres années avant que nos chemins se recroisent. »

C’est par l’entremise du musicien Leslie Howe que leurs chemins se sont recroisés après que Howe ait fait parvenir à Alexander un démo de son groupe One To One, suscitant suffisamment l’intérêt d’Alexander pour que ce dernier décide de lui rendre visite dans son studio d’Ottawa. Pendant sa visite, Howe lui a demandé s’il avait quelques minutes pour écouter une jeune artiste avec qui il travaillait à cette époque.

« Il m’a fait visionner une vidéo qu’il avait tournée à Paris avec Alanis Morissette, et j’ai été si intrigué par ce que j’ai vu que je suis rentré à Toronto. Et je n’ai pas signé One To One. » Il a plutôt offert un contrat à Alanis. C’est tout de même Howe qui a réalisé les deux albums dance pop d’Alanis parus chez MCA Canada – son premier album éponyme, suivi de Now Is The Time – qui s’écouleront à plus de 200 000 exemplaires chez nous en plus de lui valoir une nomination aux JUNOs dans la catégorie Chanteuse la plus prometteuse.

Mais malgré ce succès, l’optionde Morissette chez MCA n’a pas été renouvellée et, comme nous le raconte Alexander, elle lui a dit qu’elle ne croyait pas avoir d’avenir en chantant les chansons des autres et qu’elle souhaitait chanter sespropres chansons. Alexander était alors devenu vice-président principal de East Coast Publishing pour MCA Music Publishing, à New York, et il était d’accord avec elle ; il est donc demeuré à ses côtés malgré son option non renouvellée. Il a ensuite demandé à son ami et auteur-compositeur professionnel, Glen Ballard, de rencontrer Alanis. Ballard était réalisateur pour Quincy Jones Productions et il avait collaboré aux classiques de Michael Jackson Thriller et Bad. Il a notamment coécrit le hit de MJ « Man In The Mirror », le No 1 de Jack Wagner « All I Need » et celui de Wilson Phillips, « Hold On ».

« Ce fut une contribution fortuite », euphémise Alexander. Le duo a coécrit le légendaire Jagged Little Pill, un album qui s’est écoulé à plus de 33 millions d’exemplaires à travers le monde en plus de rafler 7 Grammys et de lancer Morissette en tant que méga vedette internationale. La pièce phare du disque est bien entendu la corrosive « You Oughta Know », un brûlot féministe qui a pavé la voie à de nombreuses artistes dans la même veine comme Meredith Brooks et Tracy Bonham.

« Glen Ballard a réalisé l’album à la perfection », affirme Alexander. « Je ne l’ai pas payé, il a simplement pris des points de pourcentage sur les ventes. » Avec le recul, ce qui amuse le plus Alexander, c’est l’absence de réaction à Pill de tout ceux à qui il a soumis l’album. « Une fois l’album enregistré, j’ai embauché un gérant du nom de Scott Welch pour Alanis, et nous avons entrepris de l’envoyer à toutes les maisons de disques importantes aux États-Unis et au Canada, incluant à MCA. Elles l’ont toutes refusé », confie-t-il. C’est l’avocat Ken Hertz qui a finalement convaincu le cofondateur de l’étiquette Maverick Records, qui appartient à Madonna, ainsi que son directeur A&R, Guy Oseary, d’écouter l’album. Morissette a été mise sous contrat sur le champ. « Après avoir écouté l’album chez Glen, Freddy s’est tourné vers moi et m’a dit « John, je crois que tu a découvert le Bob Dylan féminin de notre génération » », se souvient Alexander.

John Alexander, Avril Lavigne

John Alexander avec Avril Lavigne.

Quant à l’entente d’édition, Alexander se souvient encore qu’on lui a posé la question – alors que l’écriture de Jagged Little Pill venait tout juste de commencer – si la compagnie devrait renouveller son option. Il n’y avait aucun doute, pour lui. « Dans notre milieu, quand on est en position de croire ou ne pas croire en un artiste, il faut avoir le courage de ses convictions », dit-il. « Je suis fier d’avoir dit « faites-le » », affirme Alexander qui a de plus négocier l’élimination de la claude du droit de refus qui a permis à Morissette de finir chez Maverick.

Sa carrière dans les maisons de disques et dans l’édition étant derrière lui, l’ancien vice-président de la division des membres d’ASCAP est désormais consultant et il a récemment conclu des ententes pour Yangaroo auprès de la NARAS (l’organisation derrière les Grammys), l’Academy of Country Music ainsi que HITLAB, une entreprise montréalaise du domaine des médias et du divertissement numériques.

Il se croise également les doigts afin que Boulevard, un groupe rock de Vancouver qu’il avait mis sous contrat chez MCA Canada en 1988, connaisse de nouveau le succès. Boulevard s’est séparé puis reformé en 2015 et a lancé un album intitulé Luminescence, en 2017, qui a été chaudement acceuilli en Europe.

L’avenir est rempli de promesses pour Alexander, et son passé est jalonné de décisions qui ont influencées plusieurs générations. Comme il le dit humblement, « j’ai apporté quelque chose à la scène musicale canadienne. »