On ne l’espérait plus ce deuxième album de Gros Mené. Treize ans après la parution du quasi-mythique Tue ce drum, Pierre Bouchard, le clan ressurgissait l’automne dernier avec Agnus Dei. Toujours ancré dans les racines stoner rock, la nouvelle cuvée du Mené proposait un rock lourd, sale, déglingué et groovy, aux relents psychédéliques et bluesés. Une bouillabaisse sonore décapante, certes, mais moins brutale que la première livraison. Appelons ça une pointe de raffinement. Si la bête s’est quelque peu calmée, elle aurait pu ne jamais ressortir de son antre.

« Honnêtement, ce n’était pas prévu que je fasse un autre album de Gros Mené, lance Fred Fortin, maître du projet. C’est un accident de parcours, ni plus ni moins. Ce n’était pas primordial pour moi. À un moment donné, l’envie m’a pris de faire quelque chose de différent de ce que je faisais habituellement. Je me suis lancé tête première là-dedans, sans trop réfléchir et je l’ai fait. Ça s’est construit rapidement. En 13 ans, on a tous évolué. L’expérience emmagasinée, le bagage d’influences entrent en ligne de compte. C’est clair qu’on n’avait pas envie de refaire un Tue ce drum, Pierre Bouchard. J’ai ramassé des tounes et j’ai commencé à enregistrer avec du monde en assemblant des trios selon le besoin des chansons. Gros Mené stimule d’autres paramètres, d’autres façons de faire au niveau de la composition. C’est une direction artistique complètement différente de mes albums solo. Et il y a du fun à avoir avec ça! »

« Un jour, tu te rends compte que tu es trentenaire et que la musique est tout ce que tu as fait de ta vie. Tu n’as plus le goût de retourner à l’école […] ou d’aller travailler dans une shop de 9 à 5. J’ai 41 ans et je ne pense pas encore à la retraite. Il y a trop de belles choses à vivre dans ce métier pour arrêter. »

Histoire de vieux chums
Celui qui a réussi à faire paraître trois albums solo depuis le nouveau millénaire s’est une fois de plus bien entouré. Collaborateurs de la première heure chez Gros Mené, Olivier Langevin et le fameux Pierre Bouchard reviennent à bord. « On est des vieux amis. C’est la musique qui nous unit tous les trois. Lorsque tu as des chums que t’apprécies, tu t’arranges pour les garder près de toi, » raconte Fortin. Souhaitant procurer une force de frappe encore plus imposante et galvanisante à l’ensemble, Fred a recruté Pierre Fortin (Galaxie) et Robbie Kuster (Patrick Watson) à la batterie. Parmi les autres collègues repêchés pour Agnus Dei, notons Jocelyn Tellier et Noël Fortin (le père de Fred).

Alors qu’au niveau créatif, Fortin s’occupe de l’échafaudage des pièces du nouveau Mené, les musiciens invités fignolent autour de ce qui leur est proposé. « Il ne faut pas oublier que Gros Mené demeure mon projet. C’est du Fred Fortin déguisé! Les gars apportent leur contribution tant au niveau de la personnalité dans leur jeu, des arrangements que des solos. Mais il ne faut pas oublier que les textures chez Gros Mené, c’est vraiment sur le fly. Rien n’est vraiment prévu d’avance. On vit avec beaucoup d’accidents. Beaucoup de verres de vin renversés aussi! » rigole Fortin.

Faire vite et bien
Malgré ses projets en solo, son implication au sein de Galaxie, ses contrats de réalisateur et ses nombreuses collaborations, Fortin considère qu’il est possible de tout faire sans pour autant devenir fou. La clé du succès? Bien faire les choses, et surtout, rapidement. « Tu fais ce que tu peux avec la famille et une foule d’autres facteurs. Je ne suis pas quelqu’un qui écrit à l’année longue. Il faut que je m’enferme, que je sois isolé du reste du monde. Lorsque je vais m’embarrer dans mon chalet pour travailler, il faut que je négocie avec ma blonde et mes enfants! C’est une période très condensée. Ça se fait vite. Je n’ai pas besoin de gosser trop longtemps une chanson, contrairement à beaucoup d’artistes que je connais. En tournée avec Galaxie, je prends parfois du temps pour écrire des tounes ou préparer mon prochain projet. Même chose pour Olivier. On se pousse dans le dos et se motive l’un et l’autre. Puis les autres offres viennent au hasard. Quelqu’un te propose quelque chose et si ça fitte dans ton horaire, tu acceptes, » avance-t-il.

Les joies et aléas du métier
Lorsqu’on demande à l’auteur-compositeur quels conseils il prodiguerait à un jeune artiste souhaitant réussir dans le métier, il réagit vivement. « Dans le fond, c’est de ne pas faire ce que j’ai fait depuis mes débuts! Sans blague, il faut être acharné, avoir une tête dure et un caractère fort pour persévérer et ne pas lâcher le morceau. Aujourd’hui, les moyens pour enregistrer sont plus flexibles et pour se faire connaître, on peut s’ouvrir un compte Facebook. Mais pour organiser une tournée, c’est plus difficile pour quelqu’un qui débute. Il y a tellement d’albums qui sortent. Se distinguer de la masse devient un véritable casse-tête, » soutient Fortin, Verdunois de tête, mais Jeannois de cœur.

Alors que les gars de Gros Mené trimballeront allègrement leur rock de garage (ou plutôt de chalet) sur les routes québécoises au cours des prochains mois, notre slacker favori se contente de savourer pleinement les petits bonheurs du métier. « Je n’ai pas de projets grandioses pour l’instant. Tu sais, j’aime encore faire de la trail les fins de semaine sur les routes, participer aux festivals, enregistrer des tounes dans mon chalet. Je n’ai jamais eu trop d’attentes face au métier. J’ai vécu des périodes où c’était difficile, d’autres où tout allait bien. Puis, un jour, tu te rends compte que tu es trentenaire et que la musique est tout ce que tu as fait de ta vie. Tu n’as plus le goût de retourner à l’école. Lorsque tu as encore du plaisir, tu n’as pas envie d’aller travailler dans une shop de 9 à 5. J’ai 41 ans et je ne pense pas encore à la retraite. Il y a trop de belles choses à vivre dans ce métier pour arrêter. »