Il n’y a pas que le scénario de Louis Morissette et la réalisation de Ricardo Trogi qui donneront au film Le mirage, sa signature. La trame sonore de Frédéric Bégin alimentera aussi l’univers de cette comédie dramatique. «Ricardo avait déjà placé deux pièces de musique classique du XIXe siècle au montage, Le danube bleu de Strauss et L’Arlésienne de Bizet. Et oui, c’est vrai qu’elles sont très connues, mais elles sont utilisées en contrepoint. Ça alimente aussi le côté aristocratique des personnages qui viennent d’un milieu économiquement aisé. » Afin de répondre aux besoins du montage, ces deux pièces ont été réarrangées par Frédéric Bégin et enregistrées par les 69 musiciens de l’Orchestre Symphonique de Prague.
Le MirageBégin compose ensuite quelques pièces supplémentaires, empreintes de la même saveur classique. « Je voulais soutenir les premières intentions musicales de Trogi. On a donc l’impression en écoutant mes compositions que ce sont des pièces musicales connues. Mais ce n’est pas le cas. » Bégin admet que le film Le mirage se déploie en laissant de plus en plus de place au silence et au drame.  « Comme compositeur, il faut savoir mettre son ego de côté afin de voir ce dont le film a besoin. On a un rôle de soutien, comme la section rythmique d’un groupe de rock. On accompagne un « chanteur », une locomotive qui est le film. »

Les besoins musicaux des films sont aussi divers que la nature des projets et de leurs histoires. Et travailler avec le même réalisateur depuis plusieurs années n’implique pas une routine de travail préétablie. Bien au contraire. Bégin rencontre Ricardo Trogi à sa sortie de l’Université de Montréal, après un baccalauréat en technique d’écriture. Il signe pour lui le thème musical d’une publicité. Quelques mois après, Bégin gagne le pitch qui poursuit leur collaboration sur la série télévisuelle Smash. Pour le compositeur, il s’agit d’un moment déterminant. « C’est mon premier projet de fiction, la première série de Trogi. Et cette expérience m’a mis au monde comme compositeur. J’ai puisé dans toutes ces années de création anonymes, des thèmes que j’ai composés adolescent et jeune adulte. Smash m’a permis de me libérer des airs de piano qui m’habitaient depuis longtemps. »

La suite révèle une relation de travail fructueuse entre Trogi et Bégin, de séries télévisuelles comme Les étoiles filantes et Le berceau des anges jusqu’aux films L’horloge biologique,  1981, 1987 et Le Mirage. Frédéric Bégin laisse aussi sa trace musicale sur d’autres films québécois tels Le bonheur des autres de Jean-Philippe Pearson et Le journal d’Aurélie Laflamme de Nicolas Monette.

Le compositeur originaire de Trois-Pistoles, qui travaille dans son studio maison montréalais et chez Studio Apollo, aime bien être contacté au début des processus de création. « C’est un luxe, on s’entend. » Il cite en exemple le film Interstellar où le réalisateur Christopher Nolan interpelle Hans Zimmer autour d’un café en lui demandant de débuter la composition d’une musique sur une relation père-fille. Jamais Christopher Nolan ne mentionne que le film baigne dans un monde de science-fiction !

Le Berceau Des AngesAvec Trogi, Bégin lit souvent le scénario avant même d’avoir vu un premier montage. Ce fut le cas pour la série Le berceau des anges où Bégin s’est mis à la composition après une lecture inspirée de cette histoire de vol de bébés. À quelques mois de devenir papa, il est alors touché par l’histoire. « C’est une des séances où je me suis senti le plus inspiré. J’ai composé pendant deux mois sans voir une seule image de la série. Et étonnamment, tout a collé ensemble. Ça me fait d’autant plus plaisir que j’ai obtenu ce printemps deux nominations pour cette série. » Les gagnants de ces catégories seront connus cet automne au Gala des Gémeaux.

Bégin chérit les moments de création sans filet. Il est actuellement à l’écriture d’une musique de scène pour un spectacle qui souligne les 100 ans de la présence du Comité olympique international à Lausanne. Un travail orchestré par l’équipe d’Olivier Dufour, créateur de Québec de réputation internationale, qui se spécialise dans les productions multimédias. Bégin souligne la nature narrative de cette musique de performance qui établit, sans l’utilisation de paroles, un parallèle entre le parcours d’un musicien-soliste et celui d’un athlète de haut niveau. La musique accompagnera patinage, feu d’artifice et projections vidéo. Le défi nourrit son désir constant de se dépasser.

« C’est une musique qui doit énormément suggérer, transporter, ponctuer sans l’utilisation de mots. Les opéras avaient ce genre de mission et ils prenaient des années à écrire. Là, je n’ai que quelques mois. C’est une expérience unique, mais si exigeante que mon équilibre entre ce genre de musique et celle pour le cinéma m’est vital. »