Délivrez-nous du mal, c’est lui. IXE-13, c’est encore lui. Bonheur d’occasion, c’est toujours lui. Et puis Le Matou, Le Déclin de l’empire américain, Les portes tournantes, Jésus de Montréal et C’t’à ton tour Laura Cadieux. Chaque fois, c’est lui et personne d’autre.

Francois DompierreLui, c’est François Dompierre. Il n’a certes pas réalisé ces films qui font partie de notre patrimoine cinématographique, mais le compositeur émérite a créé la musique pour chacun d’entre eux.

Scruter la liste des longs et courts métrages auxquels François Dompierre a été associé, c’est un peu beaucoup décliner l’historique du cinéma québécois des années 1960 jusqu’au début du nouveau siècle. Tel un Mozart de son époque, le compositeur a incrusté sa signature musicale à une œuvre large et universelle.

Un parcours étonnant, en vérité, pour quelqu’un qui n’avait pas envisagé une telle carrière quand il était étudiant au Conservatoire.

« Au Conservatoire, on apprend la musique savante, que l’on désigne comme de la musique classique, note le principal intéressé. La musique de film n’était pas un plan de carrière. À 20 ans, je rêvais de faire de la musique de concert. Ce que je fais maintenant depuis longtemps ».

Le nom de François Dompierre est pourtant associé aux chanteurs et chansonniers du Québec au milieu des années 1960, en raison de ses collaborations avec Félix Leclerc, Pauline Julien, Louise Forestier, Pierre Calvé et autres Claude Gauthier, pour ne nommer que ceux-là.

« J’ai fait des arrangements avec des artistes et j’ai travaillé à l’Office National du film, notamment avec (Jacques) Godbout, précise le pianiste. Mais la musique de film est devenue un business un peu par hasard. »

Apprendre sur le tas

Godbout (IXE-13), Jean-Claude Lord (Délivre-nous du mal) et Marcel Carrière (O.K…. Laliberté) sont au nombre des premiers réalisateurs avec lesquels Dompierre travaille au tournant des années 1960 et 1970. Une époque où, ma foi, il n’y avait pas de manuel d’instruction pour composer de la musique de film.

« La musique de film, je l’ai apprise en la faisant. J’ai été chanceux d’être dans cette période-là. On pouvait faire des expériences. On était en apprentissage et on travaillait avec des réalisateurs qui étaient eux aussi en apprentissage. On bâtissait quelque chose. C’était une époque où tout était permis. On ne s’en rendait pas compte, mais rétrospectivement, oui, ce fut le cas. »

Francois DompierrePosez la question à un auteur-compositeur et interprète, et il vous dira qu’il compose une chanson en couchant de la musique sur des paroles ou en écrivant un texte pour une musique existante. C’est l’un ou l’autre. La création de musique pour une production cinématographique n’échappe pas à cette dualité, mais il y a quand même un mode opératoire précis.

« J’ai écrit de la musique sur des paroles et des paroles sur la musique. Dès les années 1990, la musique était devenue la dernière étape de création. On recevait des images sans musique et on devait s’en inspirer. Pour une comédie comme IXE-13, on a composé la musique avant le tournage. Mais dans 85 pour cent des cas, la musique est faite à la fin du film, avant le mixage. »

Les cas de figure

Faire un film est un gigantesque travail d’équipe, mais le compositeur est d’ordinaire plutôt seul dans son coin jusqu’au moment où il remet le fruit de son travail au réalisateur. En quatre décennies de création, on se dit que la vision de François Dompierre n’a peut-être pas été toujours en symbiose avec ce que les réalisateurs attendaient de lui.

« (Rire) J’ai eu droit à tous les cas de figure, mais les réalisateurs ajoutent toujours leur grain de sel. Et là, on joue le rôle de psychiatres. On demande, pourquoi veux-tu ceci? « Parce que ma blonde aime ça, parce les images demandent ça » Et pourquoi les images demandent ça? Vous savez, c’est très subliminal le processus de création de la musique. Mais les images tournées appellent à une certaine musique. »

« Il y a plusieurs sortes de réalisateurs, note Dompierre. Il y a ceux qui voient la musique comme un faire-valoir. Et il y a ceux qui savent exactement ce qu’ils veulent. Denys Arcand est comme ça. Denys aime la musique classique. Pour Le Déclin de l’empire américain, nous sommes partis du 5e concerto d’Haendel et j’ai composé des variantes sur cette base. »

Si le compositeur a créé la musique pour le tout récent film La passion d’Augustine, de Léa Pool, il a délaissé le genre depuis une quinzaine d’années en raison des visions distinctes des intervenants d’un film et l’apport technologique.

« Parfois, des producteurs veulent de la musique pour leur film, mais des réalisateurs n’en veulent pas. De nos jours, avec les nouveaux moyens technologiques, il y a moyen d’intervenir sur la musique. On peut, par exemple, enlever les cordes. Quand tu passes des heures à travailler sur une mesure et qu’un monteur la coupe… Mais il ne faut pas s’en faire. C’est la vie. »

« Il y avait une façon plus artisanale de travailler dans les années 1960 et 1970. On se donnait des conseils. On se parlait. Il y avait une équipe qui travaillait ensemble. Pour Les portes tournantes, j’ai travaillé en étroite collaboration avec Francis Mankiewicz. J’ai composé, j’ai proposé et quand Francis a accepté, il m’a laissé aller. »

Pour ce qui est de l’hommage que le Gala du cinéma québécois lui a rendu le mois dernier, François Dompierre commente avec la netteté d’une mesure de musique joyeuse, dénuée de superflu.

« Ça m’a fait bien plaisir. Ça coïncidait avec mes 50 ans de carrière. »