«  Le partage, l’échange avec des artistes issus d’autres communautés, c’est ça l’esprit de ma musique », déclare d’emblée Florent Vollant. «  Je pense que j’ai hérité ça des Anciens: aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu aller vers l’autre grâce à la musique et je peux dire que j’ai été béni, car j’ai partagé des scènes avec des artistes vraiment inspirants. »  C’est le moins qu’on puisse dire! Depuis maintenant 25 ans, Florent Vollant parcourt les scènes d’ici et d’ailleurs, représentant fièrement la langue et la culture de la communauté innue de Maliotenam à travers le monde. Des belles années de Kashtin à sa florissante carrière solo, l’auteur-compositeur-interprète s’est imposé comme l’un des visages les plus reconnaissables de Premières Nations. Avec la sortie de son plus récent disque, l’excellent Puamuna, Vollant confirme qu’il n’a pas fini de nous enchanter. 

« C’est vrai, je suis un nomade parce que je suis presque toujours en tournée. »

S’il ne fait pas dans la musique traditionnelle à proprement parler (son approche folk rock le rapproche plus de son ami Richard Séguin que des rythmes aborigènes) Florent Vollant est conscient de l’importance des traditions ancestrales de son peuple. C’est même grâce à elles qu’il s’est découvert une âme d’artiste: « Ça remonte à ma plus tendre enfance, explique-t-il. Je regardais les chanteurs traditionnels monter le tambour avec ces gestes rituels qui remontent à des millénaires et j’étais fasciné. Tendre la peau et préparer le tambour avant les cérémonies, c’était une façon pour moi d’avoir accès à toute cette culture et surtout une manière de renforcer le sentiment de communauté. »

Il fondera ensuite Kashtin avec son ami Claude McKenzie au milieu des années 80 et le premier album éponyme du groupe, porté par la chanson E Uassiuian, fera le tour du monde, tout ça dans une langue parlée par seulement une poignée de personnes. L’aventure prit fin au milieu des années 90 et les deux chanteurs partirent chacun de leur côté. À la manière de ses ancêtres, qui se déplaçaient sur le territoire en quête de gibier, Florent passera le plus clair de son temps à chasser les scènes. « C’est vrai, je suis un nomade parce que je suis presque toujours en tournée, au point où j’ai parfois l’impression d’être sur la route depuis des lunes. Mais qu’est-ce que tu veux, faut que je bouge!… »  Malgré cette bougeotte quasi compulsive, Florent Vollant a quand même senti le besoin de se poser en plantant de solides racines dans la terre de Maliotenam, où sa famille s’est installée alors qu’il était encore jeune, après avoir été chassée de son Labrador natal par une compagnie minière.

Florent

 

C’est là qu’il a construit, en 1997, son propre studio d’enregistrement, Makusham. Au fil des ans, le studio est devenu un véritable pôle culturel pour la communauté, mais il a aussi accueilli des artistes de l’extérieur, comme Richard Séguin, Zachary Richard et Marc Déry. Étrangement, il a fallu attendre Puamuna pour que Florent Vollant enregistre un album entier à Makusham. «  Pour chacun des autres projets, j’avais fait une partie du travail au studio, mais cette fois-ci, j’ai senti le besoin de le faire entièrement ici. Ça a changé l’esprit, le feeling du disque, je crois. Il y a quelque chose de plus apaisé, qui tient certainement à l’environnement. Avant d’enregistrer, je prenais de longues marches dans le bois, dans ce décor magnifique, ou j’allais voir la famille et les amis. C’est peut-être pour ça que j’ai mis près de trois ans à faire le disque! »

On serait bien mal venus de lui reprocher d’avoir pris son temps, car Puamuna est une véritable réussite. Construit sur le même modèle de folk et de sons du terroir nord-américain que les disques précédents, il nous présente un Florent Vollant serein, un pied bien ancré sur terre et l’autre pointant vers les étoiles. Car il y a ici quelque chose d’aérien, en lien avec le titre de l’album, qui se traduit en français par « rêve ».  «  Le rêve est essentiel dans notre culture, explique Florent. Au contact des aînés, j’ai appris que le chant n’était pas un jeu ou un simple divertissement. La culture, la musique, c’est à travers ça qu’on existe et toute l’inspiration vient des rêves. Ensuite, c’est à nous de transmettre ces rêves au monde par le chant et le tambour. »

Et si l’album porte le nom du chanteur, c’est toute une équipe qui a contribué à sa création. Florent l’a réalisé en compagnie de Kim Fontaine et de Réjean Bouchard, ses deux frères de son. Pascale Picard est venue chanter avec lui l’une de ses propres chansons adaptées en innu. Et il y a l’ami de longue date, Richard Séguin, qui lui a offert la seule chanson en français de l’album, la magnifique Tout est lié, qui parle du lien indéfectible qui relie les membres des Premières Nations à la terre. «  Quand j’ai lu les paroles, j’étais franchement impressionné et j’ai demandé à Richard où il était allé chercher tout ça. Il m’a répondu qu’il s’était contenté d’écrire des trucs que je lui avais dit et ma première réaction a été de répondre « je dis des affaires belles de même, moi? », explique Florent en riant. « On est comme des frères et on a plusieurs points en commun, à commencer par le fait qu’on a tous les deux joué au sein de duos avant de se lancer en solo. Mais plus sérieusement, il y a une parenté musicale, amicale et sociale évidente entre nous. Richard, c’est pas le genre de gars à rester à Montréal pour écrire une chanson qui parle d’Indiens. Il est venu dans la communauté, il a partagé, nos rituels, notre culture. Pour moi, il fait partie des porteurs de rêve. »

Avant de le laisser reprendre la route (au moment de notre conversation, il quittait Maliotenam pour aller donner un concert à Rouyn-Noranda), on ne peut s’empêcher de questionner Florent sur la Commission Vérité et Réconciliation, qui a remué de douloureux souvenirs pour tous les autochtones de sa génération. « C’est une période difficile, mais absolument nécessaire si on veut aller de l’avant », explique le chanteur.

« Il faut qu’on regarde vers l’avenir maintenant. Tu sais, 50% de la population autochtone du Canada a moins de 30 ans et on les voit de plus en plus dans les conseils de bande, même comme chefs. Ces jeunes n’ont pas connu les pensionnats, mais ils vivent quand même avec les mêmes vieux clichés, les mêmes stéréotypes dont ont toujours été victimes les autochtones. Ça peut sembler sombre, mais je suis très encouragé quand je regarde autour de moi et que je vois des jeunes honorer leurs racines en faisant des trucs complètement nouveaux. Des artistes excitants comme Samian, A Tribe Called Red, Shauit… ça brasse des affaires et ça donne une image positive de notre culture. »

Optimiste, Florent Vollant ? «  Pas le choix, répond-il. Je me dois de l’être. Pour mes enfants, pour les générations à venir, il faut absolument croire que les choses peuvent s’améliorer. »  Et Florent Vollant continuera de contribuer au mouvement, un rêve à la fois.

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