Il est plutôt rare d’observer autant d’unanimité et de passion de la part du public, des médias et du milieu de la musique pour un premier essai discographique officiel. Il n’aura fallu aux sœurs Boulay (Stéphanie et Mélanie, originaires de la Gaspésie) qu’une douzaine de chansons enregistrées sur un album intitulé Le poids des confettis, pour s’imposer comme la nouvelle sensation de la chanson québécoise de cette première moitié de 2013.

On pourrait croire à un succès soudain, un coup de chance ou un heureux alignement des astres. Il y a un peu de ça, effectivement, dans le buzz qui entoure Les sœurs Boulay. Mais il y a beaucoup plus. Il y a surtout dix ans de tâtonnements, de rendez-vous manqués avec l’inspiration, de travail acharné à soutenir celui d’autres artistes. Dix ans qui ont mené à cette signature musicale, à cette façon d’harmoniser leurs voix, et à cette aisance dans l’écriture dépouillée mais pas simpliste, qui va droit au cœur.

Mélanie : « On chante depuis l’enfance toutes les deux. On était dans une chorale et on chantait parfois en duo dans les spectacles de fin d’année. Par la suite, on a fait toutes sortes d’affaires chacune de notre côté. On a toutes les deux étudié en musique. Stéphanie a accompagné Kevin Parent en tournée après ses études à Montréal. Moi, j’étudiais et j’écrivais des chansons et Steph aussi de son côté. C’était tough, ça ne marchait pas. On n’avait pas encore trouvé notre son. Et il y a environ deux ans, le projet des sœurs Boulay est né un peu par hasard. On a enregistré une toune, “The Boxer” de Simon & Garfunkel, et on a mis ça sur Internet. On a reçu des commentaires d’amis qui tripaient sur ce qu’ils entendaient! C’était enregistré avec l’ordi de Steph, avec un son vraiment mauvais… mais les gens en redemandaient ! »

Stéphanie : « Alors, on a monté un spectacle ! Ce qui était clair, c’est qu’on ne voulait pas faire un show de covers. On a pris des chansons de Mélanie et de moi, et on a travaillé des harmonies vocales. Notre répertoire avait fini par grandir à une dizaine de tounes quand on a participé aux Francouvertes l’an passé. Ensuite il fallait se planifier des petits moments pour composer durant la tournée qui a suivi… C’était intense, mais on voulait absolument prendre la vague. On a vraiment senti un vent favorable. C’est comme si pour une fois dans notre vie, tout coulait de source, tout était facile ! Les gens avaient le goût de nous aider, de nous faire jouer, alors on s’est dit qu’on ne pouvait pas laisser passer ça ! »

Éric Parazelli : On a aussi souligné vos expériences avec des pointures comme Michel Rivard et Kevin Parent. Est-ce que ça a laissé des traces chez les Sœurs Boulay?

Mélanie : « Ç’a surtout laissé des traces dans la façon de voir le milieu artistique. De voir ces gens-là, qui ont beaucoup d’années d’expérience, qui ne sont pas blasés, qui tripent encore très fort à faire de la musique et des shows, et qui sont là pour les bonnes raisons, c’est sûr que c’est inspirant ! Quand on se plaint des fois parce qu’on est trop dans le jus, qu’on est fatiguées, ça fait du bien de repenser à ça. On est tellement chanceuses de faire de la musique ! »

Stéphanie : « Mais ç’a laissé aussi des traces musicalement. Quand on était choriste, il fallait qu’on harmonise de nouvelles chansons presque chaque semaine, ç’a vraiment forgé notre oreille. On a accompagné Dany Placard, Chantal Archambault, Alex Nevsky… c’était toujours du nouveau répertoire et veux, veux pas, c’est resté dans notre bagage musical. Ce qui fait que maintenant, on essaie d’aller chercher des subtilités dans nos harmonies vocales qui ne sont pas tout le temps tierces, on fait des unissons beaucoup. Et quand tu accompagnes d’autres artistes, tu apprends à prendre ton trou et à écouter. À saisir c’est quoi ta place. Les moments de silence et d’écoute sont aussi importants pour attraper la balle et la relancer après. Et ça se retrouve dans notre musique; ça respire, c’est épuré, il y a beaucoup d’espace qu’on ne remplit pas à tout prix. »

É. P. : Deux chansons ont été écrites par Stéphane Lafleur d’Avec pas d’casque. Expliquez-moi comment c’est arrivé et en quoi vous vous retrouvez dans ses textes? Le fait d’avoir des chansons écrites par quelqu’un d’autre ça peut aussi être à double tranchant, les comparaisons sont-elles inévitables ?

Mélanie : « On avait vraiment envie de se faire écrire un texte par lui, alors on a pris le risque de le lui demander. Sur le coup il a refusé, il était trop occupé. Puis, deux semaines plus tard, il nous a rappelées pour nous rencontrer afin de voir s’il était capable de nous saisir suffisamment pour nous écrire une chanson. On s’est confiées à lui pendant deux heures comme si c’était quelqu’un qu’on connaissait depuis dix ans ! Finalement, il nous a dit : “on s’en va écrire une toune, let’s go!”. Il nous a fait dire des choses que les filles ne disent pas généralement. “Ôte-moi mon linge”, c’est quand même une chanson sensuelle d’une fille qui parle à un gars, mais on n’aurait pas été capable de l’écrire comme ça nous-mêmes. »

Stéphanie : « C’est comme s’il nous avait amenées plus loin. Parce que notre quête sur cet album-là, c’était d’enlever la censure, d’être le plus vraies, d’être à la fois le plus vulnérables et fortes possible. Nos nouvelles chansons étaient beaucoup dans l’affirmation de soi et dans la revendication identitaire. On sentait que Stéphane pouvait nous mettre des mots dans la bouche qu’on était game de chanter, mais qu’on n’était pas nécessairement prêtes à écrire. Et on n’avait pas d’orgueil à se faire écrire deux chansons par quelqu’un d’autre, parce qu’autant on veut être reconnues comme des auteures-compositrices-interprètes, autant tout ce qu’on veut, c’est chanter des mots qu’on aime et qui nous ressemblent. »

Au cours de l’été, Les sœurs Boulay participaient aux FrancoFolies de Montréal et au spectacle des finalistes du Prix de la chanson SOCAN en préouverture du festival, le 12 juin, à L’Astral. En juillet, elles étaient en France et en Belgique, pour se produire aux Francofolies de Spa, entre autres. Elles retournent cet automne sur les routes du Québec et ont déjà des engagements jusqu’en 2015 ! C’est ce qu’on appelle entrer dans le cœur de son public par la grande porte.