Alain Macklovitch, mieux connu sous son pseudonyme A-Trak, est un des leaders de la « DJ culture » et un pionnier de la musique électronique dont la carrière dure depuis déjà 20 ans. A-Trak est une des forces vives derrière la renaissance de la musique électronique des dix dernières années et qui lui a notamment valu de figurer sur la liste des 50 personnes les plus importantes du domaine de l’EDM établie par le magazine Rolling Stone. Il est né et a grandi à Montréal et habite désormais L.A. En compagnie d’Armand Van Helden, il est la moitié du duo nommé aux Grammys Duck Sauce et il est le cofondateur du label électronique/hip-hop Fool’s Gold Records, dont l’écurie est notamment composée de Chromeo, Kid Cudi et Run the Jewels, entre autres. C’est lorsqu’il a été choisi pour être le DJ de tournée de Kanye West, en 2004, que son étoile a atteint son apogée. Depuis, A-Trak a produit ou remixé pour d’innombrables artistes, dont Kid Cudi, Kimbra et Jamie Lidell. Après avoir complété une tournée australienne à la fin de 2016, A-Trak a lancé son tout premier « greatest hits » intitulé In The Loop : A Decade of Remixes, regroupant le meilleur de son travail dans le domaine de l’EDM. Plus tôt cette année, nous l’avons joint pour un entretien sur l’évolution de sa carrière et son influence sur la culture mondiale de l’electronic dance music.

Te souviens-tu du premier album qu’on t’as demandé de remixer ?
Bien sûr. C’était pour [le groupe pop australien] Architecture in Helsinki. J’avais fait un remix auparavant, mais il n’avait pas pu être publié pour des raisons de libérations de droit d’un échantillonnage. J’ai fait un travail de remix pour Bonde do Rolê, un groupe brésilien sur le label Mad Decent. J’ai fait leur remix avec énormément d’échantillonnage. Il n’a donc jamais vu le jour.

Pour quelle raison ?
D’un point de vue stylistique, il s’inscrivait plutôt dans la veine de mes productions plus anciennes, quand je faisais un travail uniquement avec mes tables tournantes et que tout était basé sur l’échantillonnage. Lorsque j’ai commencé à produire sur ordinateur et que je travaillais plutôt par la fusion de sons électroniques et d’autres sonorités, j’ai réalisé que « je suis un DJ », et la musique que je faisais jouer dans mes sets avait évolué au fil du temps…

À l’époque, les musiciens, les DJs et les producteurs de partout dans le monde se réunissaient sur MySpace. Les remixes étaient une façon d’entrer en contact avec d’autres gens qui faisaient de la musique cool… Lorsque j’ai reçu un courriel de Architecture in Helsinki, je les connaissais déjà, car je jouais un autre de leurs remixes dans mes sets… Je cherchais simplement des façons de faire plus de productions, tu vois. J’avais une idée de ce que je voulais faire comme pièces, mais je ne me sentais pas encore prêt à me lancer tête première dans la production de mes propres chansons.

À ce moment-là, j’étais déjà très bien établi en tant que DJ depuis une dizaine d’années, après avoir gagné le championnat mondial, été le DJ de tournée de Kanye, et tout ça. Mais… en tant que producteur, je n’étais encore qu’un novice. J’avais des idées et une certaine notion de la production. J’ai observé mon [grand] frère [David Macklovitch] produire de la musique pendant des années, même avant Chromeo, à l’époque où il faisait des « beats » hip-hop à Montréal. Je connaissais les rudiments de la production et comment réaliser certaines choses, mais lorsqu’il était question de compléter une pièce, je trouvais que le remixage était une façon idéale d’essayer plein de trucs.

LE premier est venu par courriel. Mais la grande majorité de ces projets me sont venus en personne. De nos jours… il y a une infrastructure, tu sais ? C’est une industrie, une très grosse industrie. Les choses se déroulent au niveau des gérants et parfois des représentants de labels, des avocats et tout ça… Avant, c’était plutôt du genre « Hé, un ami m’a filé ton courriel. Est-ce que je peux t’envoyer un fichier à télécharger ? Dis-moi ce que tu pourrais faire avec ça. »

Tu as commencé comme « turntablist » avec des influences essentiellement hip-hop, et te voilà, 10 ans plus tard, soulignant ton travail de remixeur. Il y a eu beaucoup de changements au cours des 20 dernières années, non ?
Ça s’est produit progressivement… La musique évolue. Je crois que c’est vers le milieu de 2005 que j’ai commencé à m’intéresser à d’autres musiques… J’ai découvert certains styles de musique électronique qui me plaisaient, qui attiraient mon oreille hip-hop. Je m’intéressais peu à la musique électronique avant ça, car je trouvais ça, pour la vaste majorité, trop froid, mais il s’est produit une fusion vers cette époque et des groupes indie ont commencé à faire de la musique électronique. Puis il y a eu ce son électro qui utilisait des « riffs » musicaux, de la distorsion et d’autres trucs du genre. Ils faisaient fi des règles des deux genres et quand j’ai entendu ça, ça m’a tout de suite allumé.

La musique évolue, et j’ai aussi évolué comme DJ. Je suis toujours attiré vers de nouvelles sonorités intéressantes qui m’accrochent.

Quel conseil donnerais-tu à un producteur ou à un DJ qui commence ?
Ce que je préfère dire aux gens qui débutent c’est de se concentrer sur ce qui fait d’eux qui ils sont. C’est important de trouver son son et de se concentrer sur ça dans leur travail. Il y a des milliards de mixeurs, de producteurs et tutti quanti. Il faut presque donner une raison aux gens de porter attention à ce que vous faites, et parfois, la qualité brute est ce qui les attire. Si une personne est simplement bonne, elle est bonne. Les gens viendront, mais, comme c’est souvent le cas, je crois qu’il est important de savoir qui on est et quel est notre son au fil de son évolution. Ça devient quelque chose qu’ils peuvent nourrir et, inévitablement, il en ressortira quelque chose qui se démarque du reste. Se démarquer est ce qu’il y a de plus important, de nos jours.

Alors, j’ai commencé… sur certaines pièces qui étaient plus électroniques, mais qui, à mon avis, trouvaient leur place dans mon nouveau set. Et je me souviens que je pensais qu’il fallait vraiment qu’elles soient en lien avec le hip-hop, alors j’ai commencé à faire des mash-ups, qui étaient « big » à l’époque… J’utilisais des pistes de voix hip-hop sur mes pièces électroniques afin qu’elles s’insèrent mieux dans mon set. Lorsque j’ai eu suffisamment de ce genre de pièces, j’en ai fait un mixtape intitulé Dirty South Dance qui est sorti en 2006 avec la collaboration de la marque de vêtements OBEY…

Deux mois plus tard, j’ai lancé mon label Fool’s Gold et je produisais pour Kid Sister. On a signé Kid Cudi et on lui a fait quelques remixes, c’était le tout début de la fusion de la musique électronique et du hip-hop pour nous. Je ne ressentais déjà plus le besoin de mettre de pistes de voix hip-hop sur tout ce que je faisais, et mes sets ont commencé à inclure de plus en plus de house, d’électro et d’un peu de tout… C’est à ce moment que j’ai formé Duck Sauce avec Armand Van Helden, et nous faisions un type de house qui utilisait beaucoup d’échantillonnages…

Je me souviens que j’ai commencé à utilise de plus en plus de pièces électroniques dans mes sets. C’était un peu un acte de foi, car certains de mes pairs, ceux contre qui je me mesurais dans les DJ Battles et tout ça, n’avaient pas encore fait le saut. Je me souviens que je jouais pour un nouvel auditoire et qu’il se produisait une certaine séparation, mais j’ai été rassuré, deux ans plus tard, quand tous ces DJs qui ne jouaient que du hip-hop auparavant ont eux aussi commencé à incorporer d’autres styles musicaux dans leurs sets… La musique évolue, et j’ai aussi évolué comme DJ. Je suis toujours attiré vers de nouvelles sonorités intéressantes qui m’accrochent, puis je trouve une façon de les mettre en contexte avec tout ce que je fais, musicalement.

Les créateurs de musique font souvent référence à une mélodie, des paroles, ou une certaine sonorité comme point de départ pour la création d’une chanson. En tant que DJ ou producteur, comment crées-tu ta musique ? Par où commences-tu ?
Si je suis en studio et au début du processus de création d’une nouvelle pièce… Je n’ai pas de méthode… Je crois que si j’étais surtout ou uniquement un producteur et que je créais des beats tous les jours, une méthode de travail finirait par s’imposer naturellement. Mais je fais plein de choses en même temps, DJing, tournée, m’occuper de Fool’s Gold, collaboration sur des pochettes, des productions, des remixes. Comme ce n’est qu’une des nombreuses choses que je fais, j’ai toujours un pied dedans et un pied en dehors. Et ce que j’aime de ça, c’est que chaque fois que je produis une pièce, j’essaie quelque chose de nouveau, et je crois que ça s’entend sur la compilation : chaque pièce a une idée de départ, pour chacune d’elles je me disais : « Sur celle-ci, je vais essayer X, Y, Z… »

Quant à la production, j’aime l’idée de ne pas savoir exactement où je m’en vais, parce que je crois que d’heureux accidents sont derrière certaines des meilleures chansons, et j’aime ça. Quant à la question « quel est le point de départ » d’une chanson, ce n’est jamais pareil. J’ai toujours des idées en tête et il peut parfois s’agir d’un remix où j’ai isolé un élément que je veux utiliser ou encore une idée pour la batterie. D’autres fois, tout part simplement d’un son… C’est vraiment, vraiment très varié.

Est-ce différent lorsque tu produis un remix ?
Je suis toujours très conscient du fait que la version originale atteignait un but précis et que mon remix doit la transporter ailleurs. Je porte donc attention au style de production de cette pièce et même à son tempo. Beaucoup de mes remixes sont dans le tempo de la house, mais si on me demande de remixer une pièce house, il y a de très bonnes chances que je ne la laisserai pas à son tempo original. Je vais chercher une façon de transporter ce tempo ailleurs. Ou alors, si je garde le tempo original, je vais intervenir au niveau du style de production afin d’en modifier véritablement l’identité. Donc, souvent, je commence par réfléchir à l’intention de la pièce… Une fois que j’ai identifié ça, je vais aller chercher quelques éléments que je souhaite garder et je vais bâtir à partir de ça… Si tu travailles à partir d’un élément d’une pièce qui existe, qui est complète, et que les gens ont aimé, tu travailles avec un point de départ auquel tu peux faire confiance. Le plus gros défi pour nous c’est ce moment de confiance, le moment où on décide de plonger ; où on se dit « OK, ce point de départ est assez bon pour que je m’en serve comme fondation ». Ça aide à effectuer ce premier pas.

Considères-tu que tu as une grande liberté créative en tant que remixeur et producteur ?
C’est génial d’avoir cet élément de confiance lorsque l’on remixe, c’est presque sacré. C’est un artiste ou un label qui te contactent et te disent « Je fais confiance à ce que tu peux faire avec ces éléments, laisse-toi aller. » Là, ça devient excitant.