Le musicien Eric West-Millette rêvait de trains depuis une bonne vingtaine d’années.  Du Transsibérien au Shinkansen japonais, il a arpenté les chemins de fer du monde entier, recueillant des sons et des idées qui ont finalement abouti sur West Trainz, un projet hybride qu’on pourrait situer quelque part entre le documentaire, le carnet de voyage et l’exploration musicale. Un projet qui a finalement vu le jour (dans un impressionnant coffret réunissant deux CD et un livre) grâce à la collaboration essentielle de Louis-Armand Bombardier et de sa boîte L-A be.

LA-BEL-A be n’est pas exactement un label. Son fondateur et président en parle plutôt comme d’une « boîte de développement culturel ». Entendez par là que Bombardier ne se considère pas comme un patron classique; plutôt comme un partenaire ou un facilitateur. « Histoire de rester dans les métaphores de train, disons que ce n’est pas moi la locomotive; je suis plutôt l’ingénieur qui se trouve dans la tour de contrôle pour s’assurer que les trains arrivent à destination. » Parler de train et d’ingénierie avec le petit fils de Louis-Armand Bombardier, quoi de plus normal après tout ? S’il est conscient de l’attrait de son célèbre patronyme, Louis-Armand ne tient pas à jouer la carte du Québec Inc. L-A be renvoie bien sûr à ses initiales, mais pour lui, comme pour tous ses collaborateurs, l’acronyme veut d’abord dire Let Artists Be.

Eric West Millette« J’aurais bien voulu m’autoproduire parce que c’est un projet très personnel, mais c’était si complexe que je suis heureux d’avoir eu de l’aide, explique West-Millette. Louis est le partenaire idéal parce qu’il est intéressé à tout ce qu’on fait et parce qu’il comprend la musique, tant d’un point de vue artistique que technique. Et puis il a voulu que le disque soit abordable à tous parce qu’au fond, c’est un patron socialiste », lance-t-il avec un sourire. Bombardier ne le contredit pas, mais il avoue du même souffle qu’il ne s’est pas lancé dans cette aventure, qui dure maintenant depuis près de 15 ans, pour perdre de l’argent. «  Si tu veux faire un retour rapide sur ton investissement, tu ne prends pas de risques et moi j’aime le risque! Je préfère les projets audacieux, qui ne semblent pas évidents au départ, mais qui auront un impact à long terme. Mon but avec L-A be c’est d’abord de vivre une aventure humaine, mais aussi de laisser quelque chose dans la culture d’ici, une trace. Ça peut paraître un peu prétentieux, mais on veut contribuer à la société. »

Reste qu’on ne peut que s’étonner, à notre époque de dématérialisation de la musique, que cette trace prenne la forme d’un format aussi physique qu’atypique. Comment diable compte-t-il faire ses frais en vendant des disques-objets comme West Trainz? « Bien sûr, les jours du CD sont comptés, mais pour le peu d’années qui lui restent, aussi bien en faire des objets désirables », lance Bombardier. Mission accomplie avec West Trainz, qui succède à un autre  projet hors norme piloté par L-A be: l’impressionnant Voyage d’hiver de Keith Kouna.

Le voyage d'hiverAdaptation très libre de Die Winterreise, célèbre collection de lieder de Schubert, le disque a d’abord été présenté dans un emballage luxueux, format 33 tours, qui tenait plus du livre que du disque, avant d’être offert en téléchargement. Un artiste de rock underground qui s’attaque à l’œuvre d’un compositeur du XIXe siècle avec une voix aussi particulière, ce n’est pas exactement la recette pour percer le marché des radios commerciales. Mais Bombardier voit plus loin et il croit à tous ses bébés avec le même enthousiasme. « C’est l’exemple idéal de cette philosophie du long terme dont on parlait. Keith, je l’appelle notre projet « Oeuf Cadbury », c’est un truc intemporel, qu’on peut ressortir chaque hiver et décliner sous différentes formes, exactement comme West Trainz. »

Pour financer ses projets les plus fous, Bombardier essaie de maintenir un équilibre entre artistes marginaux et populaires, en espérant que les uns bénéficient des succès des autres. Ainsi, on trouve chez L-A be des artistes comme Jérôme Couture ou Jonathan Painchaud, capable de rallier de vastes publics.  Mais il peut aussi s’appuyer sur une autre ressource essentielle: son propre studio d’enregistrement.

 

StudioInstallé dans la maison familiale des Bombardier, à Valcourt (un bijou d’architecture moderne des années 1960) le studio B12 pourrait prendre la suite du célèbre Studio de Morin-Heights, qui a accueilli son lot de légendes  avant d’être laissé à l’abandon. « Mon but était de construire un lieu de vie, pas juste un studio, explique Louis-Armand. On peut y enregistrer, mais surtout y vivre et y créer. Et je veux l’ouvrir à d’autres gens que des musiciens; à des auteurs, qui voudraient y faire une résidence ou à des techniciens, qui pourraient venir tester de nouveaux équipements. »

Bref, ce ne sont pas les idées ni l’ambition qui manquent chez L-A be. Reste à voir quels projets l’ingénieur en chef mettra sur les rails dans les années à venir.

Liens
http://l-abe.com/
http://westtrainz.com/fr/
http://keithkouna.com/