On dit que le second disque est le plus difficile à faire, relève l’auteure, compositrice et interprète Émilie Kahn. « Les gens nous mettent beaucoup de pression pour qu’on arrive à sortir un meilleur album que le premier. C’est ça qui peut être difficile à gérer ; personnellement, je ne me disais pas : ‘Faut que ce soit un meilleur album. Mon problème, c’est que j’avais plein d’idées pour ce disque. J’ai eu de la misère dès le départ parce que je forçais mes chansons dans toutes sortes de directions musicales. »

Brûlons le punch tout de suite : Outro est un meilleur album que le précédent, 10 000, paru en 2015 sur étiquette Secret City Records. Sur le plan de l’écriture autant que de la réalisation. « Moi aussi, je trouve », abonde Émilie. Ceci étant dit, posons d’emblée la question urgente : pourquoi avoir choisi de présenter cet album sous ton nom civil, Émilie Kahn, plutôt que le nom de scène Émilie & Ogden ? Elle l’attendait, celle-là.

« J’ai fait ça pour plein de raisons. Au départ, j’avais envie d’un nom de band, je n’aimais pas l’idée d’attacher qui je suis en tant qu’artiste à mon nom, une manière de reconnaître que dans le milieu dans lequel j’évolue, il faut savoir se mettre en marché. J’aimais l’impression de faire une séparation entre l’artiste et la personne, mais… je ne sais pas, je réalise que c’est impossible de faire ça. Il n’y a pas de séparation entre moi et l’artiste. Aussi parce que même après trois ans, y’a des fans qui ne savaient pas encore c’était quoi, au juste, Ogden… »

Ceux qui savent, savent qu’Ogden est son instrument fétiche. Ogden, du nom d’une gamme d’instruments conçus par les facteurs de harpes Lyon & Healy de Chicago, des harpes privilégiées par les instrumentistes de folk et de pop en raison de leur poids, plus léger, et de leur polyvalence. Ogden est le signe distinctif d’Émilie qui fait évoluer ses chansons indie pop dans ses soyeuses harmonies, lesquelles confèrent à ses chansons quelque chose de suspendu, une certaine tension, l’impression de l’écouter entre deux états de conscience, entre pop éthérée et indie rock obscurci par la batterie et les guitares.

« La harpe, on a l’impression que c’est difficile, mais ça ressemble beaucoup au piano », estime celle qui fut d’abord initiée à la flûte à bec grâce à laquelle elle a été admise au baccalauréat en musique classique. « Mais c’est arrivé au cégep que j’ai eu le coup de foudre pour la harpe ; je me suis trouvée une professeure sur internet et j’ai commencé à prendre des cours privés. »

Parce qu’elle est « plus vieille aujourd’hui » et qu’elle se connaît mieux, ce disque sous son vrai nom paraîtra plus personnel et sincère, concède Émilie. « Mais de Émilie & Ogden à Émilie Kahn, c’est l’évolution naturelle. » Une évolution qui ne s’est pas faite dans la facilité, reconnaît la musicienne qui, en préparation de ce deuxième album, avait enregistré une pile de démos pour ensuite tout jeter aux poubelles.

« J’ai traversé une crise, explique Émilie. Je savais dès le départ que je voulais travailler cet album avec Warren [C. Spicer, guitariste et chanteur de Plants & Animals, alors j’ai fini par l’appeler pour lui dire que je ne savais plus ce que je faisais… Il m’a dit : On va s’asseoir ensemble, tout va se calmer, on va jouer de la musique. On va prendre les chansons que t’as déjà, et regarder où ça s’en va. »

Après la crise, elle s’y est remise. Une semaine d’écriture, tous les jours, jusqu’aux petites heures du matin. « C’est drôle, lors de la sortie du premier album, c’était une question qu’on me posait souvent : comment composes-tu tes chansons ? Je ne savais jamais quoi répondre parce que pour moi, c’est un processus très intuitif. Je ne sais jamais comment commence une chanson. Or cette année, j’ai écrit davantage avec d’autres musiciens et fait des sessions de travail. C’est là que j’ai réalisé qu’il y a plusieurs manières différentes d’écrire une chanson. »

« J’ai l’impression que beaucoup de musiciens ont tendance à commencer par la musique – ils trouvent les accords, le rythme, trouvent ensuite leur mélodie et placent les paroles là-dedans. Mais moi, j’ai toujours accordé le plus d’importance aux paroles. Dans mes chansons, j’aime que ma voix ressorte bien du mix et que l’on comprenne bien les paroles. »

« J’ai toujours aimé écrire, depuis que je suis toute jeune. Écrire mes émotions en paroles, c’est ce qui m’aide à les faire sortir le mieux. Alors je commence par des mots sur une mélodie. Juste une phrase, et la chanson part de là. Mais cette année, j’ai fait l’exercice de composer différemment – de manière plus pop. J’ai un ami qui est producteur, il fait des beats sur son ordinateur, et je compose des paroles par-dessus. Avec ce nouvel album, j’ai réalisé que j’avais envie d’aller davantage dans la pop », entrevoit la musicienne, qui chérit les compositions qui surgissent à la hâte.

« Mes chansons préférées, ce sont celles que j’ai écrites en dix minutes, en one shot. Et en général, celles qui se sont retrouvées sur ce nouvel album ont été écrites rapidement. Partir d’une seule phrase me venant en tête, et tout le reste qui déboule d’un coup… c’est une sensation difficile à décrire. »