« Plus ça change, plus c’est la même chose. » — Jean-Baptiste Alphonse Karr (Les Guêpes, 1849)

Ce célèbre épigramme du critique et auteur français du 19e siècle est devenu un adage québécois. Il fait référence au fait que de profonds changements peuvent paraître monumentaux en surface, mais lorsqu’on s’y attarde, les fondements sont demeurés les mêmes.

Lorsque nous avons joint Dennis Ellsworth pour discuter de Things Change, son cinquième album solo, nous avons trouvé un homme de 41 ans occupé par sa vie quotidienne. Il arrivait tout juste de Home Depot où il avait été choisir des armoires de cuisine et des échantillons de peinture. L’épigramme de Karr résume bien l’état d’esprit actuel de l’auteur-compositeur, et c’est également un slogan approprié pour décrire son nouvel album.

Ellsworth est devenu sobre il y a un peu plus d’un an, sa femme et lui ont acheté une maison près d’où il a grandi, en banlieue de Stratford, IPE (sur l’autre rive de la rivière Hillsboro, à Charlottetown), et il est sur le point de devenir papa pour la première fois. À la première écoute, on pourrait avoir l’impression que Things Change marque un virage pour l’auteur-compositeur. Plus aucune trace de l’alt-country qui fut de longue date sa timonerie. On y entend plutôt un « wall of sound » formaté pour la radio avec des touches de pop. Mais écoutez plus attentivement, et vous entendrez les mêmes paroles poétiques et le talent unique d’Ellsworth pour que chacun d’entre nous s’identifie à cette chanson, ce qui confirme l’adage de Karr. Les fondements du talent de cet auteur-compositeur sont demeurés les mêmes.

« Je ne voulais pas me confiner à la même routine que tout le monde dit qu’on doit suivre. »

À la poursuite des placements

Imaginez allumer votre téléviseur et entendre votre chanson dans une populaire série dramatique sur les ondes de la CBC. C’est une chose dont Dennis Ellsworth peut désormais se vanter. Sa chanson « Hazy Sunshine », tirée de l’album du même nom paru en 2013, a été entendue dans la série Heartland, la saison dernière.

Vince Degiorgio, le président et fondateur de Chapter Two Productions (dont fait partie Cymba Publishing) a fait la connaissance d’Ellsworth lors d’un camp d’écriture il y a quelques années. Il a immédiatement été impressionné par le talent de l’artiste et, un an plus tard, lui a offert un contrat d’édition.

Parmi ses autres placements d’édition récents, on retrouve la comédie romantique The New Romantic, qui a été présentée en première en mars dernier dans le cadre du festival SXSW. « Vince m’a envoyé un message me demandant si j’avais une chanson qui ressemble à “Skinny Love” de Bon Iver », raconte Ellsworth. « Je lui ai dit que je venais justement de terminer l’écriture d’une chanson qui s’en rapprochait suffisamment et je lui ai envoyé le démo. Vince m’a rappelé sur-le-champ et m’a demandé quand je pouvais entrer en studio. »

Ellsworth a enregistré la chanson, l’a fait parvenir à Degiorgio qui l’a fait parvenir à Instinct Entertainment, l’entreprise torontoise de direction musicale et de licences qui représentait The New Romantic. Son éditeur s’est ensuite rendu au Japon pour plus d’un mois et l’auteur-compositeur est resté sans nouvelles. « Je me suis dit qu’ils n’étaient pas intéressés », avoue Ellsworth. « Mais le lendemain de son retour à la maison, Instinct a contacté Vince pour l’informer que la chanson figurerait dans le film ! »

« Ce n’est pas tant que j’ai donné une nouvelle direction à mon écriture, mais plutôt que je suis retourné à mes racines », explique Ellsworth. « Je suis un enfant de la fin des années 70. Quand j’ai commencé à collectionner des disques, ce que j’écoutais, c’était des trucs de la fin des années et du début des années 90. Le début des années 90 a été marqué par la musique alternative bourrée de guitares, et cette musique m’a beaucoup inspiré durant mes années formatrices. »

« Lorsque j’ai entrepris l’écriture des chansons pour ce disque et que j’ai commencé à voir ma direction se dessiner, j’ai consciemment choisi d’écouter des artistes comme Matthew Sweet, The Lemonheads and The Jesus & Mary Chain », poursuit-il. « Leur musique a été ma source d’inspiration. »

Une fois le squelette en place, le « glaçage sur la gâteau » fut l’embauche de Joel Plaskett pour assurer la réalisation de l’album. Ils ont collaboré au studio New Scotland Yard, à Dartmouth, Nouvelle-Écosse, du lauréat de nombreux prix JUNO. « Sur Thrush Hermit, il évoluait totalement dans ces eaux rock alternatif et Sub Pop [Records] des années 90 », dit Ellsworth.

Histoire d’en rajouter une couche, Plaskett a fait appel à Super Friendz (Dave Marsh et Charles Austin) à la section rythmique. « Cette séance d’enregistrement nous a tous fait retomber dans notre vingtaine », avoue Ellsworth. « La nostalgie prendre de plus en plus de place dans ma vie à mesure que je vieillis. J’ai choisi la musique comme mode d’écriture et d’expression. Avec un recul de six mois, je pense que Things Change est le meilleur album que j’ai fait. »

Sans aller jusqu’à dire qu’il s’agit d’un album concept, plusieurs des chansons — « Absent Mind », « Caught in the Waves » et « From the Bottom » — décrivent un certain ennui par rapport à sa carrière ainsi que la transformation personnelle qu’il a vécue au cours de la dernière année, surtout au chapitre de la décision d’arrêter de boire.

« Je n’étais pas un buveur jusqu’à l’abus », confie-t-il. « J’étais un buveur social sans interruption. Je n’avais pas envie d’arrêter parce que j’aime le goût de la bière, du scotch et du vin rouge, mais j’ai réalisé que je devais me prendre en main un peu plus, à un niveau personnel, afin d’améliorer mes chances de survie. Les bénéfices sont bien plus importants que les inconvénients. »

Après deux décennies de carrière artistique, la musique d’Ellsworth s’améliore constamment. Et avec la maturité, il a également remis en perspective ses priorités. Cela se traduit par plus de temps passé en studio à enregistrer des démos, à écrire et à coécrire des chansons, semaine après semaine, et moins de temps passé en tournée, loin de chez lui. C’est la signature d’une entente d’édition, il y a trois ans, avec Cymba Music Publishing (voir encadré) qui a été la locomotive de ce changement.

« Je suis plutôt un auteur-compositeur qu’un interprète, de toute façon », conclut Ellsworth. « J’ai simplement changé les paramètres et la structure de ce qui m’anime. Je ne voulais pas me confiner à la même routine que tout le monde dit qu’on doit suivre. Je veux toujours faire de la musique, écrire des chansons et enregistrer des albums, mais si je peux me concentrer sur l’écriture plutôt que la scène, c’est une transition qui me plaît. »