Vancouver, 1983. Âgé de 16 ans, le fils d’un sculpteur a les yeux rivés sur le monde de la radio. Il ne pense qu’à ça. Seul hic : il est trop jeune pour être disc jockey. Sa solution : travailler comme paysagiste en attendant d’être assez vieux pour aller en ondes.

Conte de fées ? Peut-être pour certaines personnes, mais pas pour Allan Reid ; c’est vraiment l’histoire de son entrée dans l’industrie de la musique. Trente-six ans plus tard, il est président et chef de la direction de la CARAS (ACASE, en français, l’Académie canadienne des arts et des sciences de l’enregistrement), l’organisation qui chapeaute les JUNOs.

Originaire de Kelowna, en Colombie-Britannique, Reid adorait les vinyls et enregistrait des « mixtapes ». La simple idée de travailler dans un endroit où une pièce serait remplie, du plancher au plafond, de disques était tout ce que cet adolescent avait besoin pour trouver sa vocation. Timide, la musique était la langue que Reid préférait.

« Je faisais des “mixtapes” pour mes blondes et je jouais dans l’orchestre de l’école, mais j’étais un musicien frustré », raconte l’homme aujourd’hui âgé de 52 ans. « La musique me permettait d’exprimer des émotions que je n’aurais pas su exprimer autrement. »

Dès l’âge de 18 ans, Reid avait occupé tous les emplois possibles à la station de radio locale et on l’y a nommé directeur musical, en plus de son boulot comme DJ dans une boîte de nuit. « Je venais tout juste de sortir de l’école secondaire et c’est moi qui choisissais ce qui jouait à la station », se souvient-il. « Petit à petit, j’ai fait la connaissance de tous les représentants de maisons de disque et je me suis dit que ce serait cool comme emploi. »

Le premier contrat A&R de Reid

Alors âgé de 24 ans, Reid a rencontré une artiste qui, 30 ans plus tard, est encore une de ses bonnes amies. Tout a commencé par un démo et une recommandation de Doug Chappell, le dirigeant de Virgin Records à l’époque. Doug a expliqué à Reid que son écurie était pleine et qu’il ne pouvait pas mettre sous contrat cette auteure-compositrice-interprète qui avait beaucoup de potentiel, alors il a insisté pour que son collègue écoute ses chansons. La première réaction de Reid : « des chansons complètement déprimantes. Tout ce que je voulais, c’était offrir un contrat à un groupe rock », dit-il. « J’étais à la recherche des prochains Tragically Hip. »

Mais par politesse pour Chappell, il a écouté les 14 chansons pendant une semaine. La voix était belle, mais Reid allait passer son tour. Une fois de plus, un événement déterminant, mais hors de son contrôle s’est produit. « Ce soir-là, j’ai eu une grosse dispute avec ma copine », raconte-t-il. « En me rendant au bureau via Warden Avenue, le lendemain matin, j’ai remis la cassette et la chanson “I Don’t Love You Any More” s’est mise à jouer et ça m’a déchiré le cœur ! Le temps était maussade et quand je suis arrivé au bureau, ma première idée fut d’appeler ma copine pour m’excuser. »

« Cette chanson venait me chercher, et je l’ai rejouée à tue-tête dans mon bureau », poursuit Reid. « Quelques collègues qui passaient par là m’ont demandé de qui il s’agissait. “Quelle voix !” m’ont-ils dit. Je leur ai dit “c’est Jann Arden”. Et soudainement, toutes les autres chansons de cet album trouvaient leur sens… J’étais ce jeune rockeur de 24 ans et cette musique venait me chercher, alors j’ai compris que je pouvais parler à plein d’autres gens. »

Le destin a comblé le souhait de Reid : il a reçu un appel de A&M Records qui lui offrait un poste de représentant à la promotion à Vancouver. Il a accepté sans hésiter une seconde cette prochaine étape de sa transformation de paysagiste à joueur majeur du paysage musical. Il a fallu peu de temps avant que les grands patrons à Toronto se rendent compte de tout le potentiel de Reid. Prochaine étape : travail de promotion à Toronto pour Polygram Records qui venait tout juste d’acquérir A&M.

« C’était au début de la vague de consolidation de la fin des années 80, début 90 », se souvient Reid. « Mon patron, Joe Summers, m’a convoqué à son bureau et m’a dit qu’il procédait à des changements et que j’étais le nouveau patron A&R. Je lui ai dit “je ne sais pas comment on fait des disques”. Joe m’a répondu, “peut-être, mais tu as un don remarquable pour choisir le ‘hit’ sur un album, alors va et trouve-moi des artistes qui font de l’excellente musique”. »

 

Reid ne croyait pas qu’il avait ce qu’il faut pour être A&R, mais Summers savait motiver les gens comme pas un, et Reid a accepté le poste. « J’ai hérité d’une écurie d’artistes et mon premier défi a été de décider ce que j’allais faire avec », nous raconte Reid. « Summers m’a dit qu’il fallait que je coupe la moitié des artistes. Ce fut un moment horrible de ma vie, mais j’ai quand même beaucoup appris sur cette industrie où il faut dire “non” 99 % du temps. »

Après avoir mis une première artiste sous contrat (voir encadré) chez Polygram jusqu’à son passage chez Universal Music, Reid a eu la chance de travailler bon nombre d’excellents artistes comme Sam Roberts, The Doughboys, Matthew Good et Jully Black. « J’ai eu l’immense privilège d’aider des artistes à évoluer dans leur carrière et être leur porte-étendard tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise. J’en compte encore plusieurs parmi mes amis. »

Puis, en 2011, Reid a été nommé directeur de MusiCounts, l’organisme caritatif de l’ACASE et, trois ans plus tard, président et chef de la direction. Il explique avec fierté les quatre piliers de l’ACASE : éducation, développement, célébration et honneur. « Nous accompagnons les artistes de la naissance jusqu’à ce qu’ils deviennent des mythes », dit-il. « Nous leur donnons leur premier instrument et les accompagnons tout au long de leur carrière jusqu’à ce qu’ils fassent partie du Panthéon. »

Il affirme que depuis qu’il dirige l’ACASE, il a constaté une explosion dans la qualité et la quantité des talents locaux. Cette année, les JUNO ont reçu plus d 2800 soumissions, le double d’il y a à peine sept ans.

« J’ai le meilleur boulot au monde », dit-il. « Il n’y a rien de plus vrai que le vieil adage qui dit que si on aime notre travail, on ne travaillera pas un seul jour de notre vie. J’ai l’impression que toute ma vie a été comme ça. Je suis un ambassadeur de la musique canadienne. Du jeune qui tondait des pelouses jusqu’à où j’en suis aujourd’hui, je n’aurais pas pu être plus heureux. »

« Il y a eu une explosion de création musicale et de gens qui veulent être reconnus pour cette musique, des artistes qui veulent simplement que leur musique soit entendue et remarquée », ajoute Reid. « Ce que j’aime par-dessus tout — c’est l’A&R en moi qui ressort —, c’est découvrir de la nouvelle musique ! Ça me motive. J’écoute toutes les candidatures et je trouve des façons de leur offrir une opportunité durant la semaine des JUNOs. »