Aux premières loges du rap québécois, les six jeunes hommes de Dead Obies incarnent à eux seuls toute une génération en fulgurante expansion. Venus au monde sur les consonances du rap américain de la fin des années 90, début 2000, et inspiré par une littérature disparate et polyglotte, le groupe marque le coup avec Montréal $ud en 2013 et récidive cette année avec Gesamtkunstwerk, loué par critique et public, mais pénalisé par les institutions qui ne blairent pas le franglais qui contamine l’œuvre du groupe.

Résilient au combat, mais porté par la soif d’être en phase et de s’approprier une culture polyphonique et déliée, le groupe persiste et signe : « At the end of the day, on s’exprime en français avec notre public, dans toutes nos publications, etc. Et je suis issu d’une famille francophone de la Rive Sud qui park le char dans le driveway. On exige habituellement 51% de contenu franco pour être considéré comme tel, mais une institution comme Musicaction exige 70% pour des raisons plutôt obscures. Et il y a à peu près juste Dead Obies qui tombe dans cette catégorie-là. Par chance, on a un label (Bonsound) qui peut et qui veut nous supporter. Mais ça envoie un drôle de message », résume Jo RCA, rappeur au sein de la formation.

Créer, ici, maintenant

DEAD OBIESPar-delà les foudres du financement public (le groupe doit rembourser les 18 000$ initialement octroyés par Musicaction pour cause de non-respect du seuil de contenu francophone), la proposition de Dead Obies rencontre manifestement son public, l’album ayant trôné au sommet des ventes du Québec lors de sa sortie (cinquième place canadienne), écoulant quelque 2200 copies dans sa première semaine de parution. Et ce, tout comme l’essentiel du rap fait ici, sans grand soutien des circuits commerciaux de diffusion qui, à ce jour, boudent toujours le genre.

Un décalage qui, logiquement, s’explique plus ou moins. D’un côté, les institutions et autres grands réseaux qui ne semblent pas trop savoir comment aborder le phénomène; de l’autre, un public issu de la génération du millénaire posé sur une identité culturelle née entre deux langues et quelques clics, qui en redemande jusqu’à plus soif.

Et c’est précisément dans l’entre-deux, dans cette instantanéité à quelques égards déconcertante, que Dead Obies trouve son compte et prend tout son sens. Envers ET contre tous. « On côtoie des gens des deux bords de la Main. »

L’Hydre de Lerne

 Si la formule consiste en un beatmaker au service de cinq voix distinctes aux plumes franches, le processus de création repose précisément sur l’amalgame de cet éclatement. « On travaille en groupe, on s’influence, on se donne des pistes de réflexion, même des rhymes, explique Jo RCA. On aime que ce soit représentatif de chacun d’entre nous. Les divergences viennent aussi nourrir notre processus, c’est ce qui fait l’unité de Dead Obies, c’est ce qui rend la cellule complexe et lui permet de ratisser aussi large. Il y a une connexion entre nous qui est hallucinante. »

Et les prémisses de leurs créations résident souvent dans quelque chose de plus ou moins saisissable, les lectures du moment, la réflexion individuelle des membres, pour une équation qui fait mouche : « On est beaucoup dans l’abstrait, c’est probablement l’un des trucs qui nous rassemble le plus dans la création. On déteste quand c’est tout cuit dans le bec, quand il n’y a pas place à la réinterprétation. Il faut que les pièces respirent et puissent vivre d’elles-mêmes. Et je crois qu’on se rapproche vraiment de ça sur le deuxième album. »

« Le principal souci est simplement de créer des bonnes chansons à la base, en espérant que le public réagira. Lorsqu’on crée une chanson, on l’écoute entre nous pendant des mois, un peu en vase clos. Et arrive le moment où on la lance dans le monde. C’est parfois étrange de voir comment vieillit une pièce créée dans un moment donné, un état d’esprit, avec la spontanéité de tout ça. Et ça m’arrive souvent de réécouter les trucs après coup et de percevoir quelque chose de complètement autre que ce que j’avais en tête au moment de le créer! »

Chose certaine, peu de gens sont aussi bien placés que Dead Obies, en ce moment, pour clamer haut et fort sa pertinence dans un paysage culturel pas toujours inclusif. Des deux côtés de la Main.