À la fin de l’été, Dany Placard a lancé Démon vert (Simone Records), un album qui, sans marquer un changement radical dans le parcours du musicien, nous emmène ailleurs, au plus près de lui, parmi les siens. Rencontré tôt ce matin-là au Café Placard sur Mont-Royal, Dany assure que ça va, qu’il fait partie des rares musiciens qu’on peut tirer du lit avant 10h pour une entrevue… « Je me suis levé à 6h27 ce matin, à cause de mon plus jeune, » précise-t-il.

Le détail n’est pas anodin puisque ceux qu’il chérit – ses fils et sa douce – sont les muses de ce quatrième album. Des chansons leur sont dédiées et le processus d’écriture est lié à la sphère domestique : « Je me réveillais la nuit vers 3h15. Une mélodie et un texte me venaient en tête. Je notais le premier couplet et le refrain; quand ça ne sortait plus je retournais me coucher. Je faisais ça dans la cuisine et m’enregistrait avec mon iPhone, à la voix, pas trop fort, sans guitare. Puis le matin, je poursuivais, » dit le porte-parole de l’édition 2013 des Francouvertes.

Pas si facile d’écrire sur sa bulle intime sans tomber dans la mièvrerie. Mara Tremblay, Julie Doiron et Michel Rivard y sont arrivé. Comment a-t-il trouvé l’exercice? « Je n’aurais pas pu le faire il y a sept ou huit ans. J’ai 36 ans et depuis deux ans, ça va bien, tout le monde me dit que j’ai l’air plus heureux et serein qu’avant, et c’est vrai. Comme j’étais prêt à écrire là-dessus, ça n’a pas été ardu. “Sarah”, “Robin”, “Lucky Luke”…: j’ai écrit ces chansons dans le respect des gens que j’aime. C’est pas toujours facile à chanter par contre. L’autre jour, j’étais en showcase dans une tournée du ROSEQ et j’ai failli me mettre à brailler en entonnant “Lucky Luke”… Ça va se tasser j’imagine! »

«J’ai écrit ces chansons dans le respect des gens que j’aime.»

Retour à un folk brut, sensible, mais pas si dépouillé pour autant. Entouré de ses complices habituels et des voix enjôleuses des Sœurs Boulay, la proposition musicale de Dany Placard est bien enracinée dans la lignée des maîtres, Dylan et Neil Young, qu’il a beaucoup écoutés au cours des deux dernières années. Ici et là, quelques clins d’œil à son ancien groupe (Plywood ¾) dans le recours au cuivres. Un harmonica chatouille la fibre mélancolique de l’auditeur et la pedal steel nous enveloppe de sa langueur. Par moments, quelques élans plus rock ravivent les origines saguenayennes de l’artiste établi à Montréal. Guitares franches qui laissent sortir le méchant – ou le « démon vert » plutôt, titre de l’album, en référence à un démon personnel croisé dans le couloir aux petites heures du matin.

Impossible de passer sous silence « Parc’qui m’fallait », chanson importante de l’album, voire du répertoire de Placard – il est question de son rapport à la création et à la vie d’artiste, aux idéaux et frustrations qui viennent avec. Chanson de dénonciation et d’affirmation : Placard a mis ses tripes sur la table. « C’est la première toune qui m’est venue. Fallait que ça sorte. J’avais écrit les chansons de l’album précédent avec, en tête, l’idée qu’elles puissent passer à la radio. J’avais pas tripé tant que ça, ce fut long et complexe comme processus d’écriture. Et les radios, à cette époque, ont presque arrêté de diffuser du rock en français donc je suis passé un peu à côté… En réaction à tout ça , je me suis donné liberté complète pour le nouvel album. Du Dany Placard brut, c’est ça que j’aime faire. »

Autrefois ébéniste, Dany Placard, devenu réalisateur (domlebo, Chantal Archambault, Francis Faubert, Louis-Philippe Gingras, Tire le coyote), aborde sur « Parc’qui m’fallait » un sujet sensible : le rapport à l’argent. « J’avais eu des discussions avec quelqu’un de fortuné qui me disait : “T’es ben, toi, tu passes la fin de semaine avec tes chums, tu pars sur la brosse.” Mais quand je lui ai révélé mon salaire annuel, il m’a dit de lâcher ça, que ça n’avait pas de bon sens… Mais non, je ne lâcherai pas parce que c’est ça que je veux faire dans la vie, ça que j’aime le plus. Dans cette chanson, je révèle mes états d’âme par rapport à mon métier et à la vie que je mène. C’est une chanson assez sombre, par moments négative, mais elle finit bien : avec l’amour. C’était la première fois que je m’exposais ainsi. Ensuite, les chansons plus personnelles me sont venues, comme si “Parc’qui m’fallait” avait ouvert la porte, » confie celui qui se dit inspiré par les trajectoires de Louis-Jean Cormier, de Julien Mineau et d’Olivier Langevin.

Cette prise de parole intègre et sans compromis, on risque de la retrouver sur des albums présentement en incubation. Le Printemps érable a réveillé quelque chose qui demande à éclore, à être dit et chanté. Monsieur Placard n’a pas tout dit. On n’en a pas fini avec lui et c’est tant mieux.