À l’occasion de vingt ans de publication pour Paroles & Musique, nous avons réuni trois auteurs, compositeurs et interprètes pour jeter avec eux un regard sur deux décennies de création, de chansons… et de transformations. Daniel Boucher, Stefie Shock et Dumas, qui ont tous lancé un nouvel album l’automne dernier, jasent du métier et se projettent dans un avenir numérique.

Récemment, Daniel lançait Toutte est temporaire, Stefie, Avant l’aube, et Dumas, un album éponyme. Qu’est-ce que ça signifie pour vous, lancer un album en 2014?

Stefie Shock : Sortir un disque – l’objet physique – maintenant, ça ne veut plus dire grand-chose, mais l’intérêt n’est pas perdu à l’égard de l’oeuvre, juste pour l’objet. Moi le premier, je n’achète plus de disques physiques…

Daniel Boucher : En vérité, la raison pour laquelle je sors encore un album en format physique, c’est parce que mon distributeur m’a dit que le CD représentait encore la moitié des ventes d’album [au Québec]. Car mon projet de base avec Toutte est temporaire était de m’enfermer en studio et de sortir des chansons, une par mois.

Dumas, tu avais déjà saisi la transformation du marché en 2009, choisissant de lancer quatre EP en quelques mois seulement… 

« Si tu fais du bon travail, les gens vont s’y intéresser; il faut arrêter de dire que c’est la faute du consommateur qui n’achète plus de disques. » – Dumas

Dumas : Il y avait effectivement une volonté de bousculer les choses, notamment sur le plan du financement, chacun des EP servant à payer pour le prochain. Je suis content de l’avoir essayé, mais ce qui m’a surpris, c’est que malgré la transformation du marché, le moule était dur à briser. Par exemple, je ne voulais pas mettre dix chansons sur mes EPs, disons plutôt six. Sauf que le CD coûte aussi cher à produire, donc à vendre, ce qui n’était pas avantageux pour le fan. Avec le numérique, cette question ne se pose plus.

Daniel : On aimerait parfois, en tant qu’artiste, aller plus vite, être plus audacieux, mais il faut comprendre que ce n’est pas toujours possible…

Dumas : En quinze ans, on le sait, le Web a tout changé. Je me souviens à mes débuts, demander au label de nous aider à monter un site internet, c’était incompris, on se demandait à quoi ça pouvait servir! Aussi, à mon avis, le coût de production d’un disque n’a pas vraiment baissé. Bien sûr que la technologie a tout simplifié, mais mes collaborateurs, je ne peux pas les payer moins cher qu’il y a quinze ans. Pendant ce temps, on débat sur la valeur de la musique et les revenus ne sont plus là…

Daniel : Moi, donner un album, pas capable. Pourquoi? Pour essayer la musique? D’accord, alors dans ce cas, moi, je vais manger ici, et je ne paie pas. Même chose. Si j’aime ça, je reviendrai. La seule différence c’est que le repas, tu ne peux pas l’envoyer par courriel. Ça a des répercussions sur le métier d’auteur-compositeur-interprète. Je sens qu’on ne considère plus la musique comme un métier. Je suis ravi pour les artistes qui trouvent du succès en donnant gratuitement leur musique. Mais à mes yeux, c’est abandonner une partie des revenus, c’est séparer notre métier en deux : la scène et le studio. Une de ces deux parties serait du bénévolat?

Stefie : Il y a de bons exemples d’artistes d’ailleurs qui réussissent à se faire un nom, un public, en donnant leur musique, et tant mieux. On comprend que leur renommée est mondiale, leur public, international. Mais au Québec, tu peux difficilement générer un buzz et ensuite partir donner 200 concerts par année pour gagner ta vie.

Dumas : Avant, un label prenait un risque sur un album et pouvait réussir à en vendre. Parlons franchement ; aujourd’hui, on essaie de couvrir nos frais de production et de mise en marché de l’album en espérant faire des sous avec les éditions. L’enjeu, en 2014, ce sont les éditions. À cet égard, le disque est devenu une carte de visite qui te permet de donner des concerts et de jouer en festival.

Daniel : J’espère juste qu’à un moment donné, on trouvera comment parer la chute des revenus. Ça prend une manière de rapatrier l’argent sur le Web – peut-être à la manière d’une redevance plus substantielle aux artistes, comme les radiodiffuseurs qui envoient de l’argent à la SOCAN?

Dumas : Vrai, sauf que je trouve ça super pour les musiciens qui commencent. À l’époque, si t’étais en nomination au gala de l’ADISQ, disons, et tu ne faisais pas de performance télévisée, c’était à peine si on se souvenait de ton nom. Aujourd’hui, j’entends parler d’un artiste que je ne connais pas, je peux aller tout de suite sur iTunes, sur Bandcamp, écouter et acheter son travail.

On vit une époque géniale pour faire des découvertes.

Daniel : Ça, c’est sûr, mais encore faut-il que le travail soit bien récompensé…

Dumas : Au bout du compte, tout ce qu’un artiste peut faire pour s’accrocher, c’est composer de bonnes chansons qui vont rejoindre le public. Si tu fais du bon travail, les gens vont s’y intéresser; il faut arrêter de dire que c’est la faute du consommateur qui n’achète plus de disques.