« You can dance if you want to ». Une missive en provenance de Montréal. Un ordre imposé par des accords de synthés irrésistibles, un chant à la limite du rap et un beat au tempo modéré parfait pour taper des mains et bien sûr… danser ! Oh ! et il ne faudrait pas oublier le célèbre vidéoclip à saveur médiévale où Ivan Doroschuk fait référence au joueur de flûte de Hamelin auprès d’un groupe de danseurs autour d’un arbre de mai.

C’est cette chanson atypique qui a permis à Men Without Hats de se faire connaître hors du Canada à l’apogée de l’époque new wave, atteignant la 3e position sur le palmarès Billboard et sur les palmarès en Australie, en Allemagne, au Royaume-Uni, et ailleurs. En 2010, « Safety Dance » a connu un regain de popularité grâce à l’immense succès de la série télé Glee. Doroschuk a donc saisi l’occasion pour enregistrer Love in the Age of War (2012), mettre sur pied un nouveau groupe et partir en tournée mondiale. La SOCAN s’est entretenue avec lui depuis sa maison à Victoria, en Colombie-Britannique.

Parlez-nous de la scène montréalaise qui a vu naître Men Without Hats.
Il y avait beaucoup d’expérimentation, et pas seulement en musique, mais en mode, en peinture, en audiovisuel, et la technologie changeait rapidement. Quand on a commencé, on n’avait aucun synthé, on était un groupe noise issu d’une école des beaux-arts. J’ai eu la chance d’essayer des instruments électroniques et c’est là que nous avons pris une nouvelle direction. Il y a eu une époque ou punk et new wave étaient considérés comme une seule et unique chose. On partageait tous les mêmes scènes et les mêmes idéaux. L’un des avantages de Montréal, créativement, à cette époque était que tous les sièges sociaux des maisons de disques étaient à Toronto. Ça nous donnait beaucoup de liberté pour nous exprimer. On n’avait pas la pression de devenir les prochains Parachute Club ou les prochains Spoons. Il n’y avait aucune chance qu’un représentant d’une maison de disque soit à notre spectacle, au fond de la salle, prêt à nous endisquer.

Comment avez-vous découvert les synthés ? Ils étaient encore rares et très dispendieux à l’époque.
J’ai pris des leçons de piano toute ma vie. Ma mère enseignait à McGill et j’ai grandi entouré de musique classique et que ça. J’étais donc mûr pour l’aspect technique de la chose. J’aimais beaucoup les groupes de rock progressif comme Genesis et Yes. Là où j’allais à l’école, j’avais beaucoup d’amis très riches. Lorsque nous avons reçu des investissements, c’est une des premières choses que nous avons faites : avoir accès à ces équipements.

Est-ce vrai que vous avez écrit « Safety Dance » après avoir été expulsé d’un bar parce que vous « slammiez » ?
C’est pas mal ça. C’était dans les derniers jours du disco. De temps en temps on entendait une pièce de Blondie ou de Devo dans les clubs. C’est là que mes amis et moi on se mettait à faire le pogo, un ancêtre du slam dance. Les gens ne comprenaient pas ce qu’on faisait. Ils croyaient qu’on cherchait à se battre et alors on se faisait jeter dehors. C’est essentiellement pour ça que j’ai écrit cette chanson.

Votre façon de chanter sur cette pièce est presque parlée. D’où vous est venue l’idée ?
Vocalement, je dois beaucoup à Bryan Ferry et Lene Lovich. Mais pour la version 12 pouces, nous devions étirer la sauce, alors j’ai eu l’idée de parler. C’était une décision à brûle-pourpoint. En fait, je me suis largement inspiré de Grandmaster Flash et des débuts du rap pour ce qui est d’épeler les mots. On n’a jamais utilisé ça sur une autre pièce. C’était un truc spécifique à ce moment et à cet endroit.

Pourquoi croyez-vous que la pièce est devenue si populaire ?
À cause du message : vous pouvez danser si vous en avez envie. Ç’a rejoint les gens. Ça, et le vidéoclip. Il n’avait rien de new wave : pas de lunettes soleil ou de souliers pointus. Tout le monde pouvait l’apprécier. Les jocks, les punks, les goths, votre mère. Elle touchait tout le monde et n’imposait aucun uniforme, aucune coiffure. Et parce que le clip était médiéval, il devenait intemporel.

Vous avez vraiment créé le concept de « Safety Dance » à partir de rien. À quel point jouer avec la langue est-il attrayant pour vous lorsque vous créez une chanson ?
C’est la magie de la musique. Parfois ça fonctionne. Musicien et magicien sont des mots qui sont très similaires. La formule magique peut parfois se cacher dans les paroles.

Comment cette chanson a-t-elle changé votre vie ?
C’est clair qu’elle a changé ma vie. MTV n’avait pas des tonnes de clips à diffuser à l’époque, alors nous nous sommes retrouvés en rotation intense. Je me souviens être descendu d’un bus de tournée dans le nord de l’État de New York pour entrer dans un commerce, et la caissière m’a pointé du doigt en criant « C’est lui ! » J’ai cru qu’elle me confondait avec quelqu’un qui avait dévalisé le commerce ou un truc du genre. Elle en pleurait, littéralement. « C’est le gars du clip. » C’est à ce moment que j’ai compris que les choses seraient différentes, à l’avenir. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ç’a été intéressant. Personne ne s’assoit pour écrire une mauvaise chanson. Mais lorsque celle-ci traverse les époques, c’est une belle leçon d’humilité. Aujourd’hui, la chanson est bien plus grande que moi. Je ne suis que son ambassadeur — je fais le tour du monde pour la présenter aux gens. Beaucoup de gens ne connaissent même pas le titre de la chanson, le nom du groupe ou mon nom à moi.

Et vous n’avez pas de soucis face à cela ?
Absolument aucun. C’est génial. Ça vous fait prendre conscience que le monde est vaste.

Que pensez-vous lorsque vous voyez des gens qui dansent au son d’une chanson que vous avez créée au sujet d’une personne qui voulait vous empêcher de danser ?
Je me dis que le message est passé. Mon vœu a été exaucé.