Quand la pianiste ottavienne Christina Petrowska-Quilico n’avait que 10 ans, elle a interprété le concerto en ré majeur de Joseph Haydn avec l’orchestre du conservatoire de Toronto — et complètement renversé l’auditoire. À peine adolescente, le New York Times qualifiait sont talent de prométhéen, phénoménal, et décrivait son « étourdissante virtuosité » et son « exécution parfaite ».

Quilico est ensuite devenue l’adulte incroyablement talentueuse que l’on imagine lorsqu’on écoute un enfant prodige. Depuis bientôt six décennies de carrière, les éloges et les récompenses — notamment quatre nominations aux JUNOs — ont continué d’affluer pour son interprétation d’un riche répertoire de musique solo, orchestrale et de chambre sur quatre continents.

La musique de Quilico voyage dans l’espace
En 2006, son immense talent a dépassé toutes les frontières. L’un de sa cinquantaine d’albums, un enregistrement d’un concerto pour piano composé spécifiquement pour elle par David Mott a connu une première spatiale lorsque l’astronaute Steve MacLean l’a emmené avec lui sur la navette spatiale Atlantis. C’était ainsi le premier CD à transporter de la musique humaine aux cieux. Lorsque Quilico, qui est également professeure de piano et de musicologie à la York University, est entrée dans sa salle de classe ce matin-là, « tous les étudiants se sont mis à applaudir », se souvient-elle. « Je leur ai demandé ce que j’avais fait, et ils m’ont répondu “vous n’avez pas vu les journaux ?”  Je ne savais même pas. C’était très excitant. »

Aujourd’hui, ce qui est excitant, c’est l’anticipation de son interprétation d’un concerto de Claude Champagne en tant que soliste avec l’orchestre symphonique de Toronto et le maestro Victor Feldbrill, les 21 et 22 octobre prochains au Roy Thomson Hall. Feldbrill, qui est le curateur du programme de la soirée intitulée With Glowing Hearts, explore la riche histoire des compositeurs canadiens de musique classique.

« Le concerto que j’interprète a été composé en 1948 et il est simplement merveilleux », se réjouit Quilico, qui a interprété plus de 35 concertos. « J’ai l’occasion de jouer des passages impressionnants, d’autres plus romantiques ; c’est bien de pouvoir jouer de la musique qui est un reflet de la musique canadienne de cette époque. J’aime toutes les musiques, mais j’aime vraiment jouer des concertos. Je suis vraiment transportée lorsque je joue avec un orchestre. »

Ces concerts sont également l’occasion de la réunion de deux des plus respectés porte-étendards des compositeurs canadiens contemporains : Feldbrill et Quilico. Cette dernière a présenté en première plus de 150 œuvres contemporaines, notamment des œuvres de membres SOCAN renommés comme Violet Archer et John Weinzweig. Son dévouement lui a valu le Prix Amis de la musique canadienne présenté par le Centre de musique canadienne (CMC) et la Ligue canadienne des compositeurs (LCC). Puis, en 2010, elle était désignée co-lauréate du tout premier Harry Freedman Recording Award en compagnie de la compositrice Constantine Caravassilis. « Je veux soutenir la musique canadienne parce que nous avons tant de compositeurs magnifiques qui sombrent dans l’oubli », explique celle qui est saluée pour sa capacité à interpréter avec virtuosité les compositions contemporaines parfois difficiles.

« Je veux soutenir la musique canadienne parce que nous avons tant de compositeurs magnifiques. »

À leur tour, les compositeurs canadiens sont si reconaissants qu’elle interprète et fasse connaître leurs œuvres que plusieurs d’entre eux, comme les membres SOCAN David Mott, Larysa Kuzmenko, Steven Gellman et Heather Schmidt, entre autres, écrivent des pièces spécialement pour Quilico. La regrettée Ann Southam, reconnue pour son style minimaliste, avait une profonde confiance en Quilico pour faire justice à ses œuvres. « Il fallait vraiment que je me batte pour jouer sa musique, car dans le domaine de la musique, il y a bel et bien un phénomène de “saveur du mois”, et dans les années 80, cette saveur n’était pas minimaliste », raconte la pianiste. Elles ont collaboré une première fois en 1982 lorsque Southam a demandé à Petrowska Quilico d’enregistrer un démo de sa pièce Rivers. « Je trouvais sa pièce particulièrement lente », se souvient Quilico. « Je devais être enceinte de 7 ou 8 mois à ce moment, et je me suis dit qu’elle ne crierait pas sur une femme enceinte. Je lui ai téléphoné et je lui ai dit “tu sais, j’ai changé pas mal de trucs.” Elle m’a dit “Eh ! bien, fais-moi entendre ça.” Elle a adoré, et elle m’a dit “tu peux faire ce que bon te semble avec ma musique”. »

C’était le début d’une amitié et d’une collaboration professionnelle qui durerait 30 ans. Quilico lancera d’ailleurs un album des premières œuvres de Southam en 2018. On retrouvera quelques belles surprises sur cet album qui est un bel exemple de son immense créativité », confie Quilico dont l’horaire — partagé entre l’enseignement, les prestations et les enregistrements — est de toute évidence surchargé.

En septembre 2017, Quilico avait déjà donné une demi-douzaine de concerts durant l’année, notamment un récital mettant en vedette les œuvres pour piano solo de son regretté mari, Michel-Georges Brégent, dans le cadre des célébrations du 50e anniversaire de la Société de musique contemporaine du Québec, à Montréal. Elle a également lancé Worlds Apart, un album double célébrant les compositeurs canadiens. Plus tard cette année, le 28 novembre 2017, elle donnera un concert intitulé Global Sirens mettant en vedette des œuvres solo de compositrices dans le cadre de la série Groundswell, à Winnipeg. Elle collabore également avec David Jaeger afin de mettre en musique une sélection de poèmes qu’elle a écrits dans sa jeunesse.

Comme si être une jeune prodige du piano n’était pas assez, elle était également poétesse, et certains de ses écrits ont été publiés dans le New York Times. « J’ai parlé avec l’un des éditeurs et il m’a dit “Tu dois te décider ; j ’aime ta plume, mais si tu choisis d’écrire, tu ne peux pas être une pianiste de concert aussi” », se souvient-elle.

Heureusement pour les compositeurs canadiens et la musique classique, Quilico a choisi le métier de pianiste de concert. « Jouer était tellement facile pour moi, alors je me suis laissée porter par ça », dit-elle. La musique, c’est des sons et des émotions et elle n’a aucune limite. Elle change constamment. C’est ce que j’aime. C’est comme une aventure. »