Catherine Major a choisi de ne pas choisir. Pour son cinquième album, elle prend le contrôle des rythmes électroniques et délaisse le piano pour que tout prenne racine en elle. Carte mère est l’emplacement géographique ou elle se trouve après vingt ans de carrière.

Catherine MajorLe poète Jeff Moran, qui partage sa vie avec la chanteuse, signe tous les textes de l’album sauf Tableau glacé, un hommage à une amie emportée par la maladie. « C’est un projet avec lequel on a tout commencé avec la musique et les mots sont venus après », dit Catherine. « La mélodie était déjà découpée rythmiquement et Catherine m’avait mis des onomatopées partout où il fallait des mots », complète Jeff.

Catherine se réveille la nuit pour créer, enregistrer ses dernières inspirations sur son téléphone. « Il y avait un désir de respecter son univers », dit Jeff. « Elle s’amusait beaucoup avec l’aspect technologique et moi j’ai l’habitude d’écrire pour Catherine. Ça fait un bout de temps qu’on est ensemble. On vit à peu près la même vie donc on n’a pas besoin de se parler longtemps pour savoir de quoi est fait notre quotidien. »

Le couple qui élève ses quatre enfants à la campagne souhaitait que le nouvel album parle de cette cohésion familiale, mais qu’il parle aussi de toutes les familles, dans l’ensemble de ses possibilités.

Cette complicité musicale est magnifiée et intensifiée par Antoine Gratton qui a réalisé des arrangements de cordes interprétés par le Bratislava Symphony Orchestra, sous la direction de David Hernando Rico.

Les chansons Sanglot orchestral et L’espace occupé ont fait partie de la course au titre d’album, mais l’idée de la carte mère était tellement évocatrice dans l’esprit de Catherine Major qu’il n’y avait aucune autre possibilité après ce déclic. « Ça rejoint l’ordinateur et tout ce que j’ai réussi à faire, pour la première fois, avec la technologie, mais ça ramène également à mon rôle de mère tellement central en ce moment », rapporte-t-elle.

Jeff Moran souhaite appartenir à une branche de la poésie qui soutient une certaine critique sociale tout en demeurant évasive. Dans sa description « magnifiée » du quotidien, il veut que ses mots soient universels. « Personne ne fait jamais face à la maladie, explique-t-il. Tout le monde comprend l’amour charnel, l’amour des enfants. C’est ce que j’ai écrit. »

« Je crois que les gens ont besoin de recevoir cette charge émotive »

Le commentaire social se fait tout de même plus soutenu sur L’espace occupé où l’on ouvre la voie vers la réflexion au sujet de la loi 21. « On avait besoin de souligner que c’était injuste que des profs excellentes ne puissent plus enseigner à nos enfants sous prétexte qu’elles portent le voile », dit Catherine. « Il y a plus de droits acquis et d’avancement sur des affaires aussi anodines que l’installation de fosses septiques », renchérit Jeff.

Les enfants gravitent dans la vie des deux parents tout comme ils se placent en piliers discrets au cœur des chansons. « Ça ne pourrait pas être un projet plus familial », lance Catherine qui a mis au monde une fille il y a moins d’un an. La famille se dresse aujourd’hui au plus près d’eux étant donné les règles de confinement que l’on vit.

« C’est un album intense qui cadre avec ces moments troubles, soutient Catherine Major. Je n’ai jamais prétendu être légère de toute façon. Ce que je fais, en ce moment, c’est charnu, musicalement. Les textes peuvent se mériter quelques relectures. Je crois que les gens ont besoin de recevoir cette charge émotive », croit-elle, soulignant la densité du projet. Puis, toute la place que prend désormais l’électro trouve sa contrepartie dans les cordes. « L’aspect organique d’un orchestre symphonique équilibre la présence de la machine », remarque Catherine.

Le lancement virtuel de l’album aura lieu ce vendredi 15 mai, de 17h à 18h. « C’est rare de vendre une place pour aller sur Internet, mais il faut réfléchir collectivement à ce qu’on peut faire pour rémunérer les artistes adéquatement malgré ce qui nous arrive », explique Jeff Moran.

Vingt années de musique créent des sillons solides derrière Carte mère et Catherine Major et c’est le bonheur qu’elle voit comme une facette tangible qui la distingue de ce qu’elle était au début. « Je suis bien plus heureuse maintenant et ça s’entend. On se juge longtemps durant sa vie, surtout dans l’art, croit-elle. On a souvent une petite voix qui nous dit de ne pas faire quelque chose ou de ne pas chanter ce qu’on voudrait. Peut-être que je suis, pour la première fois, à l’intérieur de moi au lieu d’être à côté. »