Martine Groulx alias Camaromance est le genre de personne sur qui on finit par tomber un jour ou l’autre lorsque l’on s’intéresse à la musique dite émergente au Québec. Avant de bosser chez C4 – refuge des Fred Fortin, Gatineau et autres Dale Hawerchuk –, elle était à la tête de la SOPREF (Société pour la promotion de la relève musicale de l’espace francophone) et de LOCAL Distribution. Une incontournable en autres mots.

 

Mélomane très active dans le milieu, elle a mis un peu de temps avant d’oser faire le saut elle-même. « Je ne suis pas arrivée à la musique à 15 ans comme bien des musiciens, mais plutôt à 25, ce qui est assez tard dans ce milieu. Ça s’est fait par hasard et ça m’a prise par surprise. J’avais un studio que je louais à des amis, quelques chansons qui s’accumulaient… À un moment je me suis dit, tant qu’à y être, je vais les enregistrer. » Un premier album a vu le jour (Empty Picture Frames, 2004), puis un second (Different Paths, 2006), réalisé par Patrick Watson.

 

Ce printemps, Martine a lancé un troisième opus intitulé The Parade. Elle y affiche un bel aplomb, acquis au fil du temps avec l’expérience et la maturité. « C’est l’album que j’ai toujours voulu faire, musicalement parlant. D’abord, j’avais envie d’un son plus americana que folk. Les musiciens qui évoluent dans ces genres-là ont tendance à prendre la guitare acoustique; moi, j’aime les guitares électriques et au cours des dernières années, j’ai acheté plein de pédales d’effets. Alors j’ai approché Serge Nakauchi-Pelletier (Pawa Up First) avec qui j’avais collaboré sur le deuxième album et dont je savais qu’il comprenait ma vision. » Résultat : la patine éthérée de Different Paths cède la place à quelque chose d’enraciné où des riffs mordants s’épanouissent. On y retrouve aussi quelques touches de shoegaze (courant rock britannique de la fin des années 80 où les pédales d’effets coloraient beaucoup le son), qui reflètent les affinités de Serge et Martine avec Lush et Slowdive.

 

La fuite

 

Le choix du titre, The Parade, n’est évidemment pas innocent : « À cause de mon travail, je passe pas mal de temps dans les petites salles de spectacles et les bars. Aussi, j’avais tendance à juger les gens qui deviennent veges à force de fumer trop de pot, de boire trop de bière ou de regarder trop de télé… Puis un jour j’ai réalisé que j’étais une vraie workaholic, et que je fuyais moi aussi, à ma manière, en m’étourdissant ainsi… Ça nous arrive tous : on s’embarque dans quelque chose et tout à coup on réalise que trois ans ont passé et qu’on ne les a pas vus. Mon album est une réflexion sur le sujet – je suis la fille d’un psychiatre et d’une psychologue alors l’introspection j’ai ça dans le sang! – et en même temps une résolution : m’efforcer de prendre un peu plus de temps pour profiter de la vie. »

 

Le bilan de la trentaine aidant (Martine a 33 ans), cette lauréate du programme pour la Musique Saint-Ambroise (une initiative de la Brasserie McAuslan visant à encourager les musiciens indépendants) a décidé de faire de la place, dans sa vie, à cet album qui lui colle à la peau pour le porter comme il se doit.

 

La voie qu’elle a choisie est celle de l’indépendance. Martine Groulx a fondé un label ironiquement baptisé Lazy At Work sur lequel elle a lancé son gravé. Elle enregistre aussi des artistes de son réseau qui ont envie de s’impliquer dans le processus de mise en marché et de promotion (Jeune Chilly Chill, Hexes & Ohs, Le Roi Poisson, etc.). « C’est sûr que quand t’es indépendant, l’argent est une préoccupation constante. Je veux pouvoir payer mon monde, mes musiciens et mes collaborateurs, dit la titulaire d’un baccalauréat en administration. Ce n’est pas tous les artistes qui aiment se mêler de comptabilité ou qui ont la patience que ça nécessite; moi je n’ai pas de problème avec le fait de dresser un plan en vue d’atteindre mes objectifs, je suis vraiment une gestionnaire. La distribution en magasin et la diffusion à la radio, ça ne va pas de soi non plus quand t’es indépendant. La distribution, c’est le truc qui est le plus sujet aux lois de l’offre et de la demande. Placer l’album d’un petit band émergent de Montréal dans un magasin de Saskatoon n’est pas nécessairement profitable; l’artiste est aussi bien d’aller y jouer et de vendre son album en show ou alors de le rendre disponible sur iTunes, en numérique. » Car comme le souligne mademoiselle Camaromance, si l’industrie du disque va mal, l’industrie de la musique, elle, se porte à merveille.