Né d’un père paraguayen et d’une mère mexicaine, Daniel Russo Garrido (alias Boogat) attrape la piqûre d’écrire des chansons lorsqu’il entend le célèbre « Prose combat » de MC Solaar. C’est en 2004 qu’il débarque avec un premier album, Tristes et belles histoires. Un deuxième opus plus assuré, Patte de salamandre, suivra en 2006, puis un disque de remix tiré à quelques centaines d’exemplaires physiques (Rmx Vol. 1) en 2008. Après trois compacts de hip-hop servis dans la langue de Molière, l’homme faisait paraître en février dernier l’éclectique El Dorado Sunset. Un album entièrement en espagnol (à l’exception d’un titre, « Wow », avec Radio Radio). Un changement de cap nécessaire pour celui qui arpentait la scène hip-hop montréalaise depuis déjà plusieurs années.

« J’avais le cul assis entre deux chaises. Je faisais de la musique trop intellectuelle pour plaire à la clique hip-hop et trop rap pour une scène qui aime la chanson. J’avais toujours des problèmes au niveau de la catégorisation. Pour le booking des spectacles, ça devenait pénible et ça marchait plus ou moins. Vers 2007, j’ai commencé à jouer avec des groupes de salsa et de rock qui exigeaient que je rappe en espagnol dans leurs shows. À partir de ce moment, je n’avais plus besoin de dire aux gens de lever les mains. Ils dansaient pour vrai et avaient le goût d’être là et de passer une bonne soirée. Ce changement m’a permis de graviter autour d’autres scènes et de voir d’autres gens. C’était évident qu’il fallait que je poursuive dans cette direction, » raconte le volubile auteur-compositeur-interprète et producteur de 33 ans.

«À partir de ce moment, je n’avais plus besoin de dire aux gens de lever les mains.»

Ça donne un déferlement de rythmes chauds et lascifs, empruntant autant à la musique urbaine et électronique qu’au dancehall et aux musiques latines, un son naturel, organique, de fortes mélodies et des arrangements audacieux. Bref, une proposition tout à fait moderne et ambitieuse qui donne envie de bouger. Épaulé par Ghislain Poirier à la réalisation, Boogat estime que ce dernier fut d’une aide précieuse. « Il m’a appris à tester mon matériel devant un public avant de l’enregistrer. Presque toutes les chansons de l’album furent jouées devant une foule avant d’entrer en studio. Je voulais voir la réaction des gens et ça m’a grandement aidé. Poirier m’a beaucoup ouvert les yeux. Et le résultat détonne. Pour quelqu’un qui connaît la musique, cet album est un beau bordel total! Il y a plein de choses, qui normalement ne devraient pas aller ensemble, qui se rencontrent. Bref, c’est comme la vie. »

Ayant comme sous-titre « el gran baile de las identidades » (le grand bal des identités), le disque se veut une véritable célébration des cultures, latino-américaine certes, mais aussi québécoise. Pour Daniel, la langue ne doit pas être un obstacle à la musique. S’il écoute peu d’artistes francophones, c’est qu’il croit que cette scène se retrouve face à un problème majeur. « Lorsque je faisais de la musique en français, je pensais beaucoup aux radios commerciales, puis à pénétrer en France. C’était les seules options! Aujourd’hui, penser que la langue empêche l’art de circuler, c’est faire fausse route. Il est difficile de percer à New York parce que la musique est de très haut niveau. Musicalement parlant, la proposition de beaucoup de musique francophone est moche. C’est une musique qui n’a pas une facture actuelle. Il faut se mettre au niveau des productions internationales. On va y arriver un jour. Ça prend un groupe qui va fonctionner en français à l’extérieur de la francophonie pour ouvrir les yeux aux gens. »

« Je voulais voir la réaction des gens et ça m’a grandement aidé. » – Boogat

Malgré l’affluence d’artistes et l’industrie musicale vacillante, le jeune homme garde la tête haute. Pas question de s’apitoyer sur son sort. Il explique : « Ceux qui pleurent que l’industrie musicale va mal sont essentiellement des gens de la vieille garde. Ce discours nostalgique ne me touche pas. Aujourd’hui, je considère que le pouvoir est aux musiciens. J’ai une plus belle carrière depuis qu’on dit que l’industrie musicale va mal. Le monde change, évolue. On n’y peut rien. Il suffit de s’ajuster. Plus que jamais, on ne peut plus se permettre d’être un musicien du dimanche. Ça devient de plus en plus difficile d’être populaire et de remplir des salles avec une seule bonne chanson. Si tu veux gagner ta vie en étant musicien, t’es mieux d’être bon! Les gens qui fréquentent les salles de spectacles connaissent la musique. Ils voient immédiatement si tu es bon ou mauvais. On est de retour au même endroit qu’on était avant que la musique ne soit enregistrée. C’est un retour à la scène, à la vraie performance, à l’idée artistique qui prime. »

Si l’homme cultive l’ambition d’exporter éventuellement sa musique à l’étranger, il concentre son énergie sur le Québec. Après avoir tourné deux clips (pour les chansons « Eres Hecha para Mi » et « Único »), Boogat planifie une escale européenne cet automne tout en gardant l’œil ouvert afin de faire paraître l’album dans des territoires à l’extérieur du Canada. Pour l’artiste, pas question de penser en fonction de marchés distincts. « Quand tu produis une œuvre artistique, tu ne dois pas songer à ça. Si ta proposition est intéressante ici, elle le sera ailleurs aussi. J’aime me concentrer sur une chose à la fois. Ne pas brusquer quoi que ce soit. Ça m’agace lorsqu’on avance que le Québec n’est pas une province cool. Elle est magnifique et unique! Un artiste n’a qu’à présenter son matériel d’une façon intéressante et le monde va embarquer! »