Beyries

Photo: Fany Ducharme

On dit souvent qu’en 2017, les compositeurs font face à un défi de taille parce que tout aurait déjà été dit, particulièrement en musique folk. Réinventer la roue serait quasi impossible. Quinze ans de journalisme musique tendent à confirmer l’hypothèse. Avec le temps, le critique de disque finit même par abandonner sa quête d’originalité au profit d’une recherche d’authenticité. C’est en montrant ce qu’il a dans le ventre que l’artiste se distingue. Ça passe autant par les sons que par la dynamique de jeu, l’énergie et la sensibilité. Lorsque les éléments sont réunis, même l’oreille la plus critique aura l’impression de découvrir quelque chose de neuf.

Dans le lecteur depuis une minute et 34 secondes à peine, le premier disque de Beyries lancé en février 2017 touche la cible. Jusqu’à ce moment sombre et fragile, la première pièce de l’album, Alone, déploie alors ses ailes dans une montée mélodique à donner la chair de poule. Comme si un rayon de lumière venait de transpercer la mélancolie, donnant une tout autre dimension au piano, à la guitare et la voix d’Amélie Beyries. Devant l’adversité qui abreuve ses chansons, l’auteure-compositrice-interprète répond avec une résilience et une force de caractère toutes personnelles, poignantes.

Puis l’information arrive telle une clé du casse-tête. La musicienne de 38 ans a fait mille et un métiers avant d’avoir le courage de partager ses chansons. Seul un cancer du sein sévère, avec récidive, a changé la donne, poussant la musicienne dans ses derniers retranchements d’où elle émergea avec sous le bras le magnifique Landing, un album cathartique.

« Je lâche prise sur ce que je ne contrôle pas. Je suis beaucoup moins dure avec les autres et avec moi-même. »

« Les médias ont abondamment parlé du fait que j’avais eu le cancer, que je ne l’avais pas eu facile.  Mais des gens qui souffrent, il y en a partout. Ça peut être la maladie, la mort, un divorce, une dépression… Pour moi, la question la plus importante demeure : que feras-tu de ta souffrance ? Mon album est un processus de l’après, une croissance post-traumatique. »

Beyries l’avoue sans filtre, il n’y a pas que sa profession qui a changé après l’annonce du diagnostic. « Je vais aujourd’hui dans des zones où je ne serais jamais allée avant la maladie. Ma vision de l’échec a complètement changé. Je lâche prise sur ce que je ne contrôle pas. Je suis beaucoup moins dure avec les autres et avec moi-même. J’accueille les mauvaises nouvelles et les imprévus de manière beaucoup plus zen. Par contre, je me rends compte que j’ai beaucoup moins de patience avec les gens qui passent toujours leur temps à chialer contre les mêmes maudites affaires. À un certain moment, il faut arrêter de se victimiser, ça donne rien et ça nous empêche d’avancer. »

En transformant sa souffrance en sagesse, Beyries débarque dans le milieu de la musique avec un bagage dont rêverait un jeune de 20 ans. « Débuter une carrière musicale avec un peu plus d’expérience de vie te permet de mieux voir la marde venir. Quand je me retrouve en concert vitrine à Paris, Londres ou New York et que presque personne n’écoute dans la salle parce que c’est bar open depuis deux heures, j’arrive à rester concentrer et à me dire que j’ai besoin d’une seule personne attentive pour que ça vaille la peine. À mon âge, tu deviens plus analytique. Tu apprends à ne pas te prendre au sérieux. C’est plus facile de se poser les bonnes questions et de se rappeler pourquoi on fait ça. »

La maturité n’a toutefois pas empêché Beyries de vivre ses premiers pas de musicienne envahie par un sentiment d’imposteur. « J’ai un sentiment d’étrangeté, mais de grand bonheur en même temps. Ça m’a pris la reconnaissance de gens qualifiés (dont Alex McMahon qui a réalisé Landing et Louis-Jean Cormier qui y chante une pièce en duo avec Beyries, J’aurai cent ans, finaliste au Prix de la chanson SOCAN 2017) pour que je commence à croire que j’avais ma place. Depuis la sortie du disque, je n’ai reçu aucun commentaire négatif. Au fond, je pense que peu importe ton âge, si tu arrives avec une proposition personnelle, tu pourras faire ta place. »

La musique folk a beau afficher plusieurs décennies au compteur, tout reste encore à faire pour l’artiste qui mettra ses tripes sur la table. Landing le prouve à chaque tour dans le lecteur.