« Je suis jamais chez nous, je suis tout le temps parti. Y’a tellement d’action, de la route, y’a tellement de monde, du nouveau monde. Vraiment, j’ai jamais parlé autant que ça… Pis c’est pas comme si c’était un succès démesuré… » Bernard Adamus semble bien et reste modeste, mais quelque peu abasourdi par la tournure des événements. Il n’y a pas si longtemps que son aventure avec la musique a commencé. Il y a à peine quatre ans, Adamus constate que ses chansons connaissent un accueil heureux dans les fêtes d’amis, que plusieurs fredonnent les refrains, particulièrement sa première chanson écrite en français, « Brun (la couleur de l’amour) ». Encore aujourd’hui, cette chanson est emblématique de son univers folk et blues, teintée par Montréal, une dégaine festive et un joual poétique qui suscite le rictus. « Brun est une pure joke. On étaient en train de manger un déjeuner à 6-7 heures du matin au restaurant du Village sur la rue Wolfe. On ne s’étaient pas encore couchés. On étaient sur la grosse brosse. Le waiter, un grand hispanophone, nous a demandé si on voulaient du pain blanc ou du pain brun. Je lui ai répondu comme si c’était une évidence que j’allais prendre du pain brun, parce que brun, c’est la couleur de l’amour. On l’a ri longtemps. »

 

La petite histoire de l’album Brun, son premier disque, se réalise sous le signe de la simplicité, à la « va-comme-je-te-pousse ». Éric Jarry, batteur et réalisateur d’album, fait une offre amicale à Bernard Adamus lors du spectacle solo de chansons jazz de Benoît Paradis, également tromboniste à ses heures pour Plywood ¾. Jarry propose à Adamus d’enregistrer un disque dans son studio pendant une semaine, « des prises live comme les albums de blues en ’62 ». La réalité est tout autre. « Les horaires, la job, les vacances, la vie, le temps s’est étiré. » Après six mois, Bernard Adamus, toujours en compagnie des fidèles Paradis et Jarry, finalise enfin Brun, lancé au printemps 2009, quelques semaines avant le Festival en chanson de Petite-Vallée.

 

Et heureuse surprise : là-bas, en Gaspésie, loin de Montréal et de ces chansons qui la racontent, l’homme né en Pologne qui arrive au Québec à trois ans avec maman et grand frère, gagne les cœurs. Il met la main sur six des douze prix convoités. « Les concours te permettent de rencontrer tout plein de monde. Et pour moi, Petite-Vallée a été le début de l’affaire… J’ai rencontré [l’attachée de presse] Lise Raymond qui s’est arrangée pour faire jaser ça encore plus. » Loin de se satisfaire de ces bons mots, Adamus poursuit sa conquête. Il gagne le premier prix du FestiBlues International de Montréal le même été, et met la main à l’automne sur le prix ÉCHO de la chanson, décerné par la SOCAN, pour « La question à mille piastres ». Il signe avec le label étoile Grosse Boîte et remporte récemment le concours Les Francouvertes. Pourtant, Bernard Adamus n’a rien du lauréat léché et aseptisé, de l’élève doué, du premier de classe. Chez lui, la musique est avant tout une question de gros « plaisir sale et gratis ».

 

« Et c’est pas à cause de mes grands talents de guitariste que tout ça m’arrive. Je suis un piètre joueur, je ne fais pas de solos, mais je sais jouer fort, » précise-t-il. Non, le succès ne s’explique pas facilement. Il est toutefois possible d’affirmer que la livraison de Bernand Adamus dégage sa propre couleur (eh oui, le brun). Si on pense à quelqu’un, c’est à Plume Latraverse, un modèle que Adamus rencontre lors d’une entrevue pour l’hebdomadaire Voir en juillet 20l0. « Je n’aurais pas pu rencontrer plus grande rock star pour moi dans ma vie. Y’a pas d’artiste que j’aie écouté plus que lui. On se ressemble, oui, sur certains points. Dans l’énergie, dans l’humour. Pis lui aussi, y’a niaisé avec le brun. Mais comme Plume disait, c’est plus une question de culture musicale que d’influences. »

 

Aujourd’hui, la route prend tout, mange tout le temps. Du Nord au Sud, d’Est en Ouest, Adamus et ses cinq musiciens répandent avec succès un message d’amour aux tonalités brunâtres que la foule chante souvent à l’unisson. « En général, quand on termine avec la toune “Cimetière”, on est tous morts, on a réussi à les faire chanter, à les faire taper du pied. À un show à l’Hôtel de Chicoutimi, je me demandais si on allait y arriver. Dans une place qui ressemble à une salle de conférence, où tout le monde était assis, la grosse foire a finalement pogné. J’étais surpris, vraiment. Même chose à Québec où j’étais ému d’avoir fait sold out au Cercle. J’avais les larmes aux yeux. »

 

Aussi, ne questionnez pas Bernard Adamus sur la suite des choses, sur le prochain album. Pour le moment, l’homme qui vit trop pour avoir le temps d’écrire emmagasine les souvenirs, les paysages, le petit bonheur de jouer devant des gens un peu partout au Québec.