Même s’il fait généralement consensus que BadBadNotGood est un groupe jazz/rap, il est beaucoup plus difficile à catégoriser qu’il n’y paraît : BBNG est un de ces rares groupes qui est réellement impossibles de catégoriser aisément.

En fait, de l’aveu même du bassiste du groupe torontois, Chester Hansen, les membres eux-mêmes ne savent pas exactement comment définir leurs propres créations musicales. « À un certain moment, l’étiquette jazz/rap était une bonne description de ce que nous faisons, mais maintenant nos influences sont tellement différentes », explique-t-il. « Nous avons toujours les mêmes influences qu’à cette époque, mais nous avons ajouté une tonne de trucs qui nous avons découverts depuis. »

Cela saute aux oreilles sur l’album IV paru en 2016, leur premier album où leur collaborateur de longue date, le saxophoniste et multi-instrumentiste Leland Whitty, figure comme membre officiel et à plein temps du groupe. Même si Whitty a fréquemment enregistré et tourné avec le groupe avant la création de IV, BBNG était jusqu’alors un trio composé de Hansen, du claviériste Matthew Tavares et du batteur Alexander Sowinski.

« Ça fait des années que nous jouons avec Leland, et toutes les fois que nous pouvions l’inviter dans un de nos spectacles, que ce soit à Montréal, Ottawa, ou ailleurs, nous l’invitions », raconte Hansen. « Mais depuis les 18 derniers mois, il est toujours là. »

Les membres du groupe, incluant Whitty, se sont rencontrés alors qu’ils étudiaient le jazz au Humber College et ont décidé de former un groupe en 2010. Leur premier spectacle consistait en un « mash up » de pièces rap interprétées à la sauce jazz pour une prestation devant jury de Sowinski. Les membres de ce jury nommés par le collège ont immédiatement déclaré que cette prestation n’avait aucune valeur musicale.

À la lumière du succès d’estime et du succès populaire du groupe depuis, ce jugement est, dans le meilleur des cas, particulièrement myope et, dans le pire des cas, complètement erroné.

« Chaque fois que vous ajoutez une personne, cela apporte une nouvelle dimension, un nouvel ensemble d’opinion, et plus d’idées musicales. » — Chester Hansen, BadBadNotGood

BBNG a connu énormément de succès depuis ses débuts, tant sur scène qu’en studio, et ils ont collaboré avec de nombreux artistes, dont notamment Ghostface Killah sur l’album Sour Soul paru en 2015. Sur IV, lancé en juillet 2016, la liste des collaborateurs inclut Sam Herring de Future Islands, le saxophoniste Colin Stetson, l’artiste hip-hop Mick Jenkins, le finaliste à la courte liste du prix Polaris, Kaytranada, ainsi que l’auteure-compositrice Charlotte Day Wilson.

Les collaborations, tant au sein même du groupe qu’avec d’autres artistes, ont eu un impact indéniable sur le processus de création et d’enregistrement de BBNG. « Nous collaborons quotidiennement », explique Chester Hansen. « On est un groupe de quatre musiciens, mais les idées que nous avons ne sont pas nécessairement les mêmes lorsque nous sommes deux ou trois. Chaque fois que vous ajoutez une personne, cela apporte une nouvelle dimension, un nouvel ensemble d’opinions, et plus d’idées musicales, surtout lorsque ces collaborateurs sont eux-mêmes des artistes accomplis qui ont leur propre répertoire. »

D’abord encensé pour ses reprises jazz de pièces hip-hop, BBNG écrit et enregistre désormais ses propres pièces.

« On écrivait très peu à nos débuts », poursuit Hansen. « Les “covers” étaient une façon amusante et rapide de commencer à jouer ensemble, et lorsqu’est venu le temps de créer notre propre musique, cela nous a servi. C’est réellement une progression naturelle d’être des musiciens qui jouent ensemble. C’était la prochaine étape après celle de monter sur scène, retourner en studio ensemble et créer de la nouvelle musique tous les jours. Et chaque jour, nous en apprenons un peu plus sur notre façon de composer. »

Leur processus de création et d’enregistrement était et est toujours très ouvert. « Neuf fois sur dix, nous sommes tous dans la même pièce, mais avec un instrument différent à chaque fois », explique le bassiste. « C’est comme ça qu’on trouve nos idées, mais ça n’est jamais pareil d’une fois à l’autre. Nous n’avons pas de formule. »

Avec Whitty à bord comme membre à part entière, BBNG a grandement élargi sa palette instrumentale. « Il y a beaucoup d’instruments — les vents et les cordes — dont les autres gars ne jouent pas, ce qui laissait une grande place aux arrangements », explique Leland Whitty au téléphone depuis l’aéroport Pearson de Toronto alors que le groupe est sur le point de s’envoler vers le Japon pour une prestation au Summer Sonic Festival d’Osaka.

En plus des nouveaux instruments et de leur amour des collaborations, l’évolution même du groupe fait fi des distinctions de genres et démontre un appétit de plus en plus dévorant pour l’intégration d’une variété de styles musicaux dans leur musique. Il en résulte ainsi un amalgame de soul, de jazz, de hip-hop avec des éléments électroniques qui, malgré le vaste spectre de leurs origines, donne une voix unique au groupe.

Tant sur scène qu’en studio, ils ne cherchent pas la perfection?; ils cherchent plutôt à saisir le moment, ce qui veut également dire saisir leurs différentes personnalités. « Nous adorons nous amuser et créer de la musique et chacun de nous sait jouer plusieurs instruments », explique Hansen. « Nous cherchons à créer une émotion, une vibe, et la meilleure prise est parfois celle qui contient une erreur vraiment flagrante qui irrite l’un d’entre nous, mais les autres lui disent “Come on, c’est excellent?! ” »

Il leur est désormais plus facile de capter ce genre de moment sur disque, car tous les collaborateurs qui ont participé à l’enregistrement de IV se sont rendus dans le studio de BBNG (un espace qu’ils ont repris des Cowboy Junkies). C’est de plus en plus rare de nos jours, puisqu’il est bien plus simple de transférer des fichiers que de se déplacer, même si rien ne vaut jouer ensemble, face à face.

« Tous les gens qui ont collaboré à cet album sont des gens avec qui on s’entend bien, des amis, alors travailler avec eux était naturellement extraordinaire », confie le musicien. « Nous avons rencontré la majorité des collaborateurs sur cet album dans des spectacles ou des festivals et nous avons appris à les connaître, c’est vraiment cool. »

BBNG a certes quelques détracteurs qui disent que le groupe ne correspond pas à la vraie définition du jazz ou du hip-hop ou de toute autre boîte stylistique dans laquelle ils voudraient le placer. Mais de toute façon, le jazz n’a jamais été un genre que l’on peut placer avec certitude dans une quelconque boîte. Quoi qu’il en soit, les membres de BBNG n’ont rien à faire des catégories. Ils font ce qu’ils ont envie de faire, peu importe votre définition de ce qu’est le jazz.

Pour eux, leur approche n’est qu’une parmi tant d’autres pour faire évoluer cette forme de musique.