Ariane Mahrÿke Lemire, qui lançait le 11 octobre dernier son troisième opus et premier album presque entièrement en anglais, Wrecked Tangles and Love Knots, joue sur plusieurs tableaux, entre le français et l’anglais, le folk et le jazz, la poésie et la ballade. De mère francophone, élevée aussi par un beau-père anglophone, l’auteure-compositrice-interprète d’Edmonton s’est abreuvée à de multiples sources d’inspiration pour son écriture.

« Mon père était musicien, guitariste classique professionnel et ma mère Gisèle Lemire jouait de la guitare et écrivait ses propres chansons, alors j’ai grandi avec la musique. Mais au départ, je voulais être écrivaine. Déjà à 10 ans, c’était mon but. L’auteure québécoise Manon Beaudoin, installée à Edmonton, fut mon mentor dans mon adolescence : elle faisait des critiques de mes textes, j’ai beaucoup profité de ses conseils. »

La musique viendra plus tard. La chanteuse à la belle voix claire précise : « J’ai toujours chanté, mais comme je suis sourde d’une oreille, mon enseignante de 3e année m’a dit que je chantais mal, que je faussais… » Ariane prend des cours de piano, mais ce n’est que vers l’âge de 21 ans qu’elle reçoit sa première guitare et maîtrise vraiment l’instrument. Elle décide alors de se lancer dans la chanson. « J’avais beaucoup écouté Brel, Cabrel, Ferré, Thomas Fersen, je lisais aussi des poètes comme Prévert. J’ai donc surtout fréquenté les grands de la chanson et de la poésie française, ce sont mes principales sources d’inspiration à cette époque. »

N’ayant appris l’anglais que vers l’âge de sept ans, celle qui tient beaucoup à son identité franco-albertaine et fransaskoise (par la famille de sa mère) a à peine trois chansons à son répertoire quand les organisateurs du Gala albertain de la chanson l’encouragent à participer au concours, qu’elle remporte en 1999. S’ensuivent des participations au Chant’Ouest et au Festival international de la chanson de Granby. Et pourtant, Ariane décide ensuite de prendre une pause de la chanson. « Je n’étais pas prête. J’avais à peine quatre ou cinq chansons, je chantais sans m’accompagner car je ne savais pas jouer de la guitare. Mon père devait m’aider pour les arrangements de mes mélodies. J’ai préféré arrêter et étudier. »

« J’ai donc surtout fréquenté les grands de la chanson et de la poésie française, ce sont mes principales sources d’inspiration à cette époque. »

Ses études en théâtre, puis en arts médiatiques et numériques la rendent beaucoup plus autonome aujourd’hui dans sa carrière. « En plus des concerts, je peux donner des ateliers d’écriture et de théâtre dans les écoles. Je connais le graphisme et le montage vidéo. J’ai appris plein de choses qui tournent autour de la musique, et donc ça m’a permis de conserver tout le contrôle créatif. » Celle qui a, par exemple, fait la direction artistique de la magnifique pochette de son dernier album concède : « Dans l’Ouest, il y a peu d’infrastructures, de maisons de gérance, d’éditeurs. La plupart des auteurs-compositeurs-interprètes sont indépendants. Mais en même temps, il y a beaucoup d’entraide et de solidarité. Par exemple, lors des concerts, on voit beaucoup d’autres artistes dans les salles… »

Après ses études, en 2005, Ariane Lemire recommence à donner des concerts. Son premier album, Double entendre, est mi-français, mi-anglais, reflétant la réalité de sa vie à cheval sur les deux cultures. « Maintenant, je ne me sens jamais vraiment complètement francophone ou anglophone, et j’ai l’impression de faire des fautes dans les deux langues, » confie celle qui s’exprime pourtant dans un français parfait.

Sa carrière recommence à décoller, quand, juste avant la sortie en 2009 de son deuxième opus Décousue, Ariane est victime d’un grave accident de voiture et de blessures au dos et au poignet. « Ça a ralenti ma carrière, car j’ai dû faire une assez longue convalescence. Pour les tournées, on doit avoir un dos en forme pour soulever l’équipement, et pour jouer de la guitare, un bon poignet. Je me débrouille maintenant mieux, je peux donner des concerts et jouer pendant deux heures, ce qui était impossible au début. »

Wrecked Tangles and Love Knots est une série de petits tableaux sur la vie de la chanteuse de 32 ans, ses amours, ses paysages, ses peurs et ses espoirs. Son folk lumineux et sa voix mélodique, qui l’ont déjà amenée à donner des spectacles jusqu’en France, seront en vedette dans les salles de concert du pays à partir du mois de mai. Et elle caresse déjà l’ambition de percer des marchés comme l’Australie et même d’aller à Dubaï, toujours grâce à des contacts.

Car tout est là : dans la grande famille de la Francophonie canadienne, l’entraide est de mise. Financée pour deux de ses albums par un réseau de radios de l’Alberta et de la Saskatchewan (Rawlco Radios) et par Musicaction pour l’autre, soutenue par des réalisateurs et musiciens de talent pour ses arrangements, stimulée par le foisonnement artistique récent d’Edmonton, Ariane prépare déjà son 4e album, dont le titre provisoire est Déjà rapiécée. « Après Décousue et aussi après mon accident de voiture, oui, ça se peut que le titre soit Déjà rapiécée. J’entre en studio pour enregistrer deux chansons dès janvier, le disque est presque complètement écrit. Ce sera un album en français cette fois. »

Bien implantée dans son milieu, elle ne songe guère à quitter son pied-à-terre d’Edmonton, même si elle doit vivre une partie de sa vie dans les valises. « C’est une ville qui stimule la créativité, mais les gens ne sont pas vantards. Oui, on vit aussi la concurrence de l’Internet, des immenses écrans qui tiennent les gens chez eux et qui les empêchent de venir nous entendre en concert. Les jeunes d’ici, par contre, se rebellent contre ce style de vie. C’est un milieu qui grouille, qui s’est beaucoup développé au cours des dernières années. La scène musicale est en effervescence, » conclut-elle avec enthousiasme.