Se rendre à Tchernobyl et constater la dévastation. Visiter Auschwitz pour se souvenir. Explorer les lieux d’un crash d’avion. Installer sa chaise pliante le long de la Bande de Gaza pour observer les bombardements en direct…

Le tourisme noir connaît une croissance partout sur le globe, une manière d’assouvir notre voyeurisme et de faire face à la mort pour se réconforter: nous sommes toujours vivants. Le phénomène a piqué la curiosité d’Antoine Corriveau au point de devenir l’étincelle derrière l’écriture de son troisième album, Cette chose qui cognait au creux de sa poitrine sans vouloir s’arrêter, un titre de circonstance.

« C’est en lisant un texte du cinéaste Denis Côté dans la revue Nouveau Projet que j’ai découvert l’existence de ce genre de tourisme », explique l’auteur-compositeur-interprète. « Ça m’a complètement fasciné. Pas que je voulais me rendre sur les lieux de différentes catastrophes, mais le simple fait de réfléchir sur cette attirance morbide de l’homme m’a allumé. »

Antoine a fait des recherches sur le sujet. Il a visité le passé, imaginé le futur. « J’ai commencé par écrire en m’imaginant ce que la visite de ces lieux pouvait bien éveiller chez l’être humain. Puis j’ai écrit du point de vue des victimes. Comment peut se sentir un pilote d’avion 30 secondes avant l’impact fatal ? Puis j’ai imaginé le futur. Avec tout ce qu’on voit dans les médias, les catastrophes et les génocides actuels, on peut déjà prédire quels endroits du monde feront l’objet de ce genre de tourisme dans 30 ans. C’est quand même inquiétant. »

« Il y a la mort, la vraie, mais il y a aussi la mort d’une relation ou d’une période de ta vie. »

Parmi les premières pièces écrites pour le disque, Croix blanche témoigne de ce pèlerinage sur les traces de la grande faucheuse. Or, à l’instar des autres titres de l’album, on y sent une touche personnelle, une sorte d’intimité qui se crée entre Antoine Corriveau et l’auditeur. On y trouve l’influence du tourisme noir, certes, mais il y a plus. On y mélange la description d’un quotidien, souvent nocturne, à travers lequel le narrateur célèbre sa propre vie. « Croix blanche fait d’abord référence à ces monuments qu’on érige souvent sur le lieu d’un accident mortel pour laisser une trace. Mais à force d’écrire, je me rendais bien compte que je devais transcender le thème et me l’approprier. Je ne voulais pas juste copier ce que je lisais sur internet. Il fallait que ça vienne de moi. Comme si je voulais transposer ces tragédies à un niveau plus personnel. Il y a la mort, la vraie, mais il y a aussi la mort d’une relation ou d’une période de ta vie. »

Le lauréat du Prix de la Chanson SOCAN 2015 pour la pièce Le nouveau vocabulaire ne s’en cache pas, les deux ans de gestation qui ont mené à la parution de Cette chose qui cognait au creux de sa poitrine sans vouloir s’arrêter ont été marqués par une rupture amoureuse, un crash qu’il a revisité dans sa tête à mainte reprise. « Lorsque tu te retrouves seul, tu ne dois plus rien à personne. J’ai eu envie de côtoyer l’inconnu comme on visite Tchernobyl. J’ai repoussé les limites. J’ai joué avec cette mince ligne au-delà de laquelle on perd toute stabilité. J’étais seul, face à moi-même. J’essayais plein d’affaires. J’ai rencontré du nouveau monde. J’ai découvert jusqu’où je voulais aller, et jusqu’où je ne voulais pas me rendre. L’effet euphorisant de la découverte est venu faire contrepoids avec la noirceur et l’imagerie de la mort. »

Il va sans dire, ce nouveau disque n’a rien d’un album Prozac. Armé de sa voix rauque et de son chant solennel, Antoine Corriveau poursuit ici son travail de précision. Avec son noyau de musiciens (Marianne Houle au clavier, Stéphane Bergeron à la batterie et Nicolas Grou aux guitares ainsi qu’à la réalisation), il accouche de compositions atmosphériques raffinées et rehaussées d’arrangements de cordes et de cuivres. « C’est vrai que ça sonne gros avec les orchestrations, mais les chansons sont plus simples que sur le précédent disque (Les Ombres longues, paru en 2014). Je voulais être capable de reproduire le disque même si le nombre de musiciens sur scène était plus limité. En tournée, Marianne joue du synthétiseur, et vraiment, même sans les cuivres et les cordes, on arrive à ne pas dénaturer les chansons. Le disque a davantage été pensé en fonction de la scène », un lieu qu’Antoine visitera abondamment au cours des prochains mois. Un lieu où, une fois de plus, il ira chercher les auditeurs un à un, leur plantant une flèche en plein cœur.